La Convention d'Istanbul
Ce traité n'entrera en vigueur qu'à la dixième
ratification, et, pour le moment seuls l'Albanie, le Portugal et la Turquie l'ont ratifié. Quant à la France, elle s'est, bien entendu, engagée à ratifier le traité, mais elle ne l'a pas encore fait. Rien n'interdit néanmoins d'engager la procédure d'adaptation du droit positif à ses dispositions, et c'est précisément l'objet du projet de loi.
Parmi les dispositions de cette Convention, les plus importantes sont celles qui imposent aux Etats signataires de créer des infractions spécifiques pour réprimer les violences auxquelles les femmes sont plus particulièrement exposées. A dire vrai, le droit pénal français est déjà bien armé dans ce domaine, avec la répression du viol, des violences sexuelles, du harcèlement etc, mais la répression des mariages forcés demeure néanmoins très insuffisante. De nombreuses jeunes filles, souvent d'origine musulmane, sont cependant mariées contre leur gré, sous la pression de leur famille, le plus souvent dans un pays étranger.
Insuffisances du droit positif
Pour le moment, le droit positif se montre très modeste dans ce domaine. La Cour européenne, dans une
décision du 2 novembre 2010 Serife c. Turquie, précise que la législation turque qui impose un mariage civil et refuse de reconnaître une union purement religieuse ne viole pas le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la Convention. En imposant l'intervention des autorités étatiques, la loi limite ainsi, sans toutefois l'exclure totalement, le risque de mariages reposant sur la pression familiale.
La
loi française du 4 avril 2006 porte, quant à elle, l'âge requis pour se marier à dix-huit ans, aussi bien pour l'homme que pour la femme. L'âge du mariage est désormais celui de la majorité, ce qui permet aux jeunes femmes de s'opposer un peu plus efficacement à la volonté de leur famille. Là encore cependant, le risque n'est pas nul, loin de là.
La lutte contre les mariages forcés n'a pas dû mobiliser les mouvements féministes, sans doute trop centrés sur d'autres préoccupations, et très attachés au droit à la différence des populations étrangères. Dans l'indifférence générale, le droit positif se ramène donc à ces deux règles, bien insuffisantes. D'une part, elles se bornent à offrir quelques échappatoires à des jeunes filles particulièrement courageuses, sans empêcher réellement les mariages forcés de celles qui n'auront pas le courage ou les moyens matériels de couper les liens avec leur famille. D'autre part, ces principes ne s'appliquent que sur le territoire national, alors que nul n'ignore que les mariages forcés ont généralement lieu à l'étranger.
Chaos. Coline Serreau. 2001.
Rachida Brakni et Hajar Nouma
Pénalisation du mariage forcé
Le projet de loi, mettant en oeuvre la Convention d'Istanbul, introduit dans le code pénal un nouvel article 222-14-4 qui sanctionne d'une peine d'emprisonnement de trois années "le fait de tromper une personne aux fins de l'emmener à l'étranger pour la forcer à y contracter un mariage". Cette disposition est un instrument juridique fort utile, alors qu'il est pratiquement impossible de sanctionner l'union matrimoniale elle-même, considérée comme légale dans le pays où elle a été célébrée.
La nouvelle disposition ne sanctionne pas celui qui a célébré le mariage. Elle ne sanctionne pas davantage la contrainte elle-même, qu'il est généralement impossible de prouver, sauf si précisément la victime s'est enfuie. Mais, dans ce cas, le mariage forcé, par hypothèse, n'a pas eu lieu. Elle punit la tromperie, le mensonge d'un parent à l'égard de son enfant. La sanction touche ainsi la famille de la victime, qui est également l'auteur de son oppression. Conformément au droit français du mariage, ne considère pas le le père comme le "chef de famille", même s'il est, le plus souvent, à l'origine de l'union forcée. L'infraction permet évidemment le condamner, comme la mère ou le frère aîné qui, par leur silence, sont coupables de la même tromperie.
Le rejet du discours communautariste
Sur ce plan, le texte est fondamental, car il s'oppose de manière radicale à une vision communautariste de la famille, ce discours selon lequel notre vision du mariage est trop "européo-centrée", et que nous devons accepter les différences des autres sociétés. Et peu importe que les jeunes filles soient opprimées, traitées comme des objets que l'on peut vendre ou échanger... tous ces petits problèmes ne devraient ils pas disparaître dans quelques centaines d'années ?
De toute évidence, le projet de loi rompt avec ce discours, et affirme un volontarisme nouveau. Najat Valaut-Belkacem annonce d'ailleurs un second projet de loi sur les droits des femmes, qui devrait être déposé en mai 2013. Il devrait comporter "une disposition permettant aux femmes étrangères mais vivant sur le sol français (...) de bénéficier du droit français et non plus de leur droit d'origine pour ce qui est de leur droit personnel". Le droit français remplirait alors pleinement son rôle, qui est de promouvoir une politique d'assimilation dans le domaine des droits et garanties apportées aux femmes. Et, au premier chef, le droit de consentir à son propre mariage.