« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mercredi 27 juin 2012

Du CDD au CDI, la Chambre sociale lutte contre l'emploi précaire

La Chambre sociale de la Cour de cassation a rendu, le 13 juin 2012, deux décisions posant quelques bornes à une pratique relativement courante des entreprises. Elle consiste à recruter un employé en enchaînant emplois précaires et période d'essai, pour finalement refuser de signer un contrat à durée indéterminée (CDI). Il suffit ensuite de recommencer l'opération avec un autre salarié, comme si le CDI devenait une sorte de Graal, objet aussi désiré qu'inaccessible, objet que l'on fait miroiter au malheureux salarié qui, dans l'espoir, de l'obtenir, accepte la précarité, le petit salaire qui l'accompagne, et subit pour finir l'humiliation du renvoi pur et simple.

La période d'essai, ou la gestion de l'emploi précaire

Dans la première affaire, le requérant, salarié d'une association, a été mis à la disposition d'une entreprise pour une durée d'une année, avec une durée minimum incompressible de six mois. Après ces six mois, le salarié démissionne de son emploi à l'association, et est engagé par l'entreprise. Celle-ci lui demande cependant une période d'essai d'un mois, à l'issue de laquelle l'employeur refuse la signature définitive du CDI. 

Dans la seconde affaire, une employée a travaillé pour une entreprise avec quatre CDD successifs de courte durée (quatorze jours), puis un autre beaucoup plus long, de six mois et un jour. Après ces cinq CDD, l'entreprise lui propose un contrat de travail à durée indéterminée, incluant une période d'essai d'un mois. Comme dans l'autre affaire, l'employeur refuse le recrutement définitif à l'issue de cette période d'essai. 

Dans les deux cas, la période d'essai est manifestement conçue par l'employeur comme le moyen de se débarrasser d'un salarié en situation précaire, et non pas comme l'instrument du recrutement définitif d'un salarié déjà employé par l'entreprise. 



Les Temps Modernes. Charlie Chaplin et Paulette Godard. 1936
Comment Charlot obtient un emploi stable

Détournement de finalité

La Chambre sociale sanctionne les deux employeurs pour un détournement de la finalité de la période d'essai. Aux termes de l'article L 1221-20 du code du travail, celle-ci a pour unique objet de permettre à l'employeur d'évaluer les compétences du salarié et son adaptation au poste proposé. 

Dans le premier cas, le salarié avait exercé ses fonctions pendants six mois, durée durant laquelle l'employeur avait largement pu évaluer ses compétences. Si elles n'étaient pas suffisantes, rien ne lui interdisait en effet, de ne pas lui proposer de CDI et de mettre fin à sa mise à disposition, lui permettant ainsi de reprendre ses fonctions dans l'association dont il était auparavant salarié. La pratique de l'employeur est, dans ce cas, particulièrement cruelle, puisqu'elle interdit au salarié de retrouver son ancien emploi, dont il avait démissionné.

Dans le second cas, le salarié avait exercé un emploi de service pendant cinq CDD, ce qui laissait, là encore, largement le temps à l'employeur d'évaluer ses compétences. 

De ce détournement de finalité de la période d'essai, la Chambre sociale tire toutes les conséquences contentieuses. Elle considère en effet que cette période d'essai n'aurait pas dû exister, et n'a donc pas existé. Elle date donc le recrutement en CDI de la signature du contrat de travail. La période d'essai est donc considérée comme le premier mois de travail, dans le cadre d'un CDI ordinaire. Le refus de l'employeur de signer le contrat définitif est donc requalifié en rupture abusive du contrat de travail, qui donne lieu au versement de substantielles indemnités au profit des salariés requérants. 

Cette jurisprudence est une pierre dans la construction d'un statut juridique des salariés en situation précaire. Aux yeux du juge, la précarité ne doit pas être un instrument de gestion au service de l'entreprise, mais un état provisoire, qui doit logiquement prendre fin à la signature d'un contrat à durée indéterminée. Il était sans doute indispensable de le rappeler, hélas.


lundi 25 juin 2012

Laïcité : Don Camillo et les touristes

La décision rendue par le Conseil d'Etat le 20 juin 2012 aborde le principe de laïcité par l'un de ces conflits locaux entre le maire et le curé, identique à ceux qui ont fait le triomphe du "Petit monde de Don Camillo". L'action se passe aux Saintes-Maries-de-la-mer, cité touristique, dont l'église est fort réputée dans le Guide Vert pour son toit-terrasse et son chemin de ronde. Conformément au principe posé par la loi de 1905, l'édifice appartient à la commune, et des visites payantes à caractère touristique y sont organisées depuis 1963. A partir de 1985, la commune a confié cette mission à une société d'économie mixte locale, dans le cadre d'une délégation de service public. 

En décembre 2004, le Don Camillo local, desservant de l'église des Saintes-Maries, auquel s'est jointe l'association diocésaine de l'archidiocèse d'Aix en Provence, demande au Peppone des Saintes-Maries de mettre fin à ces visites qui, selon eux, entravent l'exercice du culte. Cette demande se heurte à une décision implicite de rejet du maire, décision confirmée par le tribunal administratif de Marseille. La Cour administrative d'appel annule cependant ce jugement, et enjoint au maire de faire cesser ces visites intempestives.

Affectation au culte et responsabilité du desservant

Devant le Conseil d'Etat, juge de cassation, le débat porte sur la notion d'affectation au culte.  Il n'est pas contesté que l'édifice, appartenant à la commune, n'a pas fait l'objet d'une mesure de désaffectation au culte, au sens de l'article 13 de la loi de 1905. La messe y est célébrée régulièrement, et les fidèles des Saintes Maries viennent y prier. Or, les dispositions combinées de la loi de 1905 et de la loi du 2 janvier 2007 énoncent qu'en l'absence d'association cultuelle, et c'est le cas aux Saintes Maries, les biens affectés au culte sont laissés à la disposition des fidèles et du desservant pour en organiser l'exercice. La Cour administrative d'appel en déduit que si l'église est laissée à la disposition du desservant, son toit et son chemin de ronde le sont aussi.

Le petit monde de Don Camillo. Julien Duvivier. 1952. Fernandel et Gino Cervi.


Les éléments de l'édifice "fonctionnellement dissociables"

C'est précisément ce point que censure le Conseil d'Etat. Il énonce, pour la première fois, un principe de détachabilité des éléments de l'édifice qui en sont "fonctionnellement dissociables". S'il est vrai que la toiture sert d'abord à protéger les fidèles des intempéries, et est donc, à ce titre, affectée au culte, il n'en est pas de même de la terrasse qui la surplombe. Cette dernière, comme le chemin de ronde, est accessible de l'extérieur du bâtiment, et la visite ne peut donc déranger la pratique religieuse.

Cette jurisprudence impose aux juges du fond une décision totalement dépendante des circonstances de l'espèce, ou, plus exactement, de la topographie des lieux. Le toit en terrasse de l'église des Saintes Maries peut désormais être visité par une nuée de touristes payants, ou utilisé pour un festival de musique organisé par la mairie. En revanche, les vitraux d'une église gothique, visibles de l'intérieur, seront accessibles gratuitement, mais en dehors des offices.

Considérée sous cet angle, cette décision du Conseil d'Etat constitue une incitation à la conciliation, à la gestion concertée d'un patrimoine commun. On se souvient que, tout récemment, dans un arrêt du 19 juillet 2011, la Haute Juridiction a admis la légalité de la construction d'un ascenseur par la ville de Lyon, dans le but de permettre aux personnes handicapées la visite de la basilique de Fourvière. Pour le juge, le concept d'intérêt général est au coeur de la mise en oeuvre de la loi de 1905. A Lyon comme aux Saintes Maries, il s'agit de répondre à un besoin touristique, et chacun sait que le tourisme est une ressource vitale pour beaucoup de communes. Sur ce plan, Don Camillo et Péppone doivent pouvoir trouver un terrain d'entente.

dimanche 24 juin 2012

QPC La prévention des mariages forcés, garantie de la liberté du mariage

Dans sa décision rendue sur QPC du 12 juin 2012, le Conseil constitutionnel valide le dispositif français de lutte contre les mariages forcés. Sans qu'il soit possible de les répertorier avec précision, on sait qu'ils sont fort nombreux. Des jeunes filles, souvent mineures et souvent d'origine musulmane, sont mariées contre leur gré par la seule décision de leur famille. Bien entendu, elles peuvent demander au juge la nullité du mariage, a posteriori, dès lors que le consentement libre et éclairé de l'un des époux n'existe pas. Le droit positif s'oriente cependant, de plus en plus, vers une action de prévention dans ce domaine.

L'âge du mariage, âge de la majorité

La loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple et commises contre les mineurs a porté l'âge requis pour se marier à dix-huit ans, aussi bien pour l'homme que pour la femme. L'âge du mariage est désormais celui de la majorité, ce qui permet aux jeunes femmes de s'opposer plus efficacement au mariage forcé, dès lors qu'elles ont le droit d'agir en justice.Il est vrai que le Code civil autorise le mariage d'une mineure, en cas de "motifs graves". Mais ces derniers sont appréciés par le procureur de la République, celui là même qui va apprécier l'éventuel absence de consentement. Dans ce cas, il peut s'opposer à la célébration du mariage  (art. 145 c. civ.). 

C'est précisément cette question du consentement qui est à l'origine de la présente QPC. L'article 146 du code civil fait du consentement des époux une condition de validité du mariage, et l'article 180 de ce même code précise que ce consentement doit être "libre". Est donc nul le mariage auquel l'un des époux n'a pas librement consenti. 


Pablo Picasso. L'Enlèvement des Sabines. 1962

La liberté du mariage

Le requérant soutient que le consentement au mariage est un acte formel, le "oui" fatidique prononcé par les époux suffisant à le caractériser. Il ne conteste pas l'existence d'une jurisprudence de 1963 affirmant que "le mariage est nul, faute de consentement, lorsque les époux ne se sont prêtés à la cérémonie qu'en vue d'atteindre un résultat étranger à l'union matrimoniale". Mais il insiste sur la consécration par le Conseil constitutionnel de  la "liberté du mariage", définie comme une "composante de la liberté individuelle" par la décision du Conseil constitutionnel du 13 août 1993, puis comme une "liberté personnelle" par celle du 20 novembre 2003. Aux yeux du requérant, le mariage conçu comme une liberté impose un régime répressif, le contrôle sur la réalité du consentement des époux ne pouvant intervenir qu'a posteriori, lors d'une action en nullité.

Le Conseil récuse cette interprétation. La liberté du mariage s'exerce, comme beaucoup d'autres libertés, dans le cadre des lois qui la réglementent. Le législateur peut donc librement établir un contrôle a priori, permettant d'apprécier l'effectivité du consentement des époux.

Un contrôle a priori

Depuis la loi Maîtrise de l'immigration du 13 août 1993, le parquet peut former opposition au mariage dans tous les cas d'éventuelle nullité. Ce principe était déjà acquis dans le cas des mariages blancs, dans lesquels les époux poursuivent un but étranger à l'union matrimoniale, puisqu'il s'agit généralement d'acquérir un titre de séjour, voire la nationalité française. Dans sa décision rendue sur QPC le 30 mars 2012, le Conseil admet la conformité à la Constitution de cette intervention du procureur de la république, faisant du détournement de finalité un vice du consentement. 

La décision du 12 juin 2012 reprend exactement ce raisonnement. Le Conseil constitutionnel considère que l'intervention du Procureur pour empêcher un mariage forcé se justifie par la non conformité de ce type d'union à l'ordre public français. 

Cette jurisprudence est très proche de celle de la Cour européenne des droits de l'homme. Dans un arrêt du 18 décembre 1987, F. c. Suisse, celle-ci précise que la loi peut restreindre le droit au mariage, à la condition toutefois qu'il ne soit pas atteint dans sa substance même. Plus tard, une décision de la Commission européenne des droits de l'homme du 16 octobre 1996 Dagan et Sonia Sanders c. France considère comme licite une ingérence du législateur dans la liberté du mariage, dès lors que les règles édictées ont pour objet de lutter contre les mariages blancs. 

Le terme d'ingérence, issu de la Convention européenne, est particulièrement bien choisi dans ce cas. Les dispositions qui autorisent le procureur de la république à contrôler la réalité du consentement, et donc à empêcher un mariage forcé, constituent certes une ingérence, mais certainement pas une restriction à la liberté du mariage. C'est au contraire la condition de son libre exercice. 



jeudi 21 juin 2012

Le harcèlement sexuel, entre vitesse et précipitation

Un nouveau projet de loi sur le harcèlement sexuel a été adopté au Conseil des ministres du 13 juin 2012. Son objet est de redéfinir une infraction que le Conseil constitutionnel avait jugé trop imprécise dans sa décision rendue sur QPC du 4 mai 2012. Il avait alors déclaré non conforme à la Constitution l'article 222-23 du code pénal, en se fondant sur principe de légalité des délits et des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration de 1789. Dans sa rédaction issue de la loi du 17 janvier 2002, ce dernier définissait en effet le harcèlement sexuel comme "le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle". Définir le "harcèlement" comme "le fait de harceler" ressemble fort à une tautologie, et cette incertitude entache effectivement ces dispositions d'un défaut de lisibilité. Elle fait par conséquent peser sur les justiciables, et sur les victimes, une insécurité juridique que le Conseil constitutionnel ne pouvait que sanctionner. 

Cette déclaration d'inconstitutionnalité a entrainé l'abrogation immédiate de ces dispositions, interrompant les poursuites en cours pour harcèlement sexuel. Immédiatement, de multiples voix, notamment féministes, ont insisté sur l'urgence qu'il y avait à adopter un nouveau texte, sur un "vide juridique" d'ailleurs largement fictif, puisque d'autres incriminations pouvaient être utilisées pour gérer les affaires en cours. Quoi qu'il en soit, six ou sept propositions de loi ont été rédigées, un rapport sénatorial d'information a été publié et, le présent projet de loi a finalement été déposé, tout cela sans coordination, sans réelle réflexion, dans ce qui ressemble bien à de l'improvisation. 

Le résultat est un projet mal écrit. La nouvelle rédaction de l'article 222-33 du code pénal distingue en effet désormais deux incriminations distinctes, au contenu aussi incertain que les anciennes dispositions désormais abrogées.

Reynaud Levieux. 1613-1699
"Proposition indécente" selon la requérante, ou "Annonciation" selon le défendeur
Collection particulière


Une incrimination floue

La première sanctionne "le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des gestes, propos ou tous autres actes à connotation sexuelle soit portant atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créant pour elle un environnement intimidant, hostile ou offensant". Comment définir un "acte à connotation sexuelle", ou un "environnement intimidant" ou "offensant" ? On peut certes répondre, comme l'affirmait maître Moro-Giafferi que l'obscurité d'un texte est un hommage discret à la sagacité du juge, mais ce dernier aura bien des difficultés à construire une jurisprudence cohérente. Elle risque fort de se révéler très impressionniste, entièrement fondée sur une appréciation nécessairement subjective des faits.

Le harcèlement, ou le sentiment du harcèlement ? 

La seconde incrimination est définie en ces termes  : "Est assimilé à un harcèlement sexuel" le même fait "qui, même en l'absence de répétition, s'accompagne d'ordres, de menaces, de contraintes ou de toute autre forme de pression grave accomplis dans le but réel ou apparent d'obtenir une relation de nature sexuelle, à son profit ou au profit d'un tiers". Il est pour le moins surprenant d'assimiler à un "harcèlement" un acte qui n'est pas répétitif, définition qui va à l'encontre de celle acceptée par la plupart des dictionnaires. Surtout, le critère essentiel repose, dans ce cas, sur l'intention de l'auteur de l'acte. Il faut qu'il ait agi "dans le but" d'obtenir une relation sexuelle.

Comment va t on alors prouver cette intention ? Si l'on se réfère au témoignage de l'accusé, il y a des chances qu'elle ne soit jamais démontrée, car il est peu probable qu'il avoue ses pensées libidineuses. Si l'on se réfère au témoignage de la victime, on peut penser que le moindre regard un tant soit peu concupiscent risque d'être présenté comme une "pression grave". Là encore, le rôle du juge promet d'être compliqué, car il sera confronté non pas à un acte de harcèlement défini de manière objective, mais à la perception du harcèlement par chacune des victimes. Le prétoire n'est pourtant pas le divan du psychanaliste, et il faudra bien définir des critères un peu plus objectifs.

Les peines

Les peines prévues pour les auteurs de harcèlement ne sont guère plus satisfaisantes. Pour la première incrimination, celle qui vise les actes répétés, le coupable risque un an de prison et 15 000 € d'amende. Pour la seconde, celle qui sanctionne l'acte unique, il encourt deux ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende. Rien ne dit pourtant que la seconde incrimination soit nécessairement plus grave que la première, et sanctionner plus durement un acte unique qu'une pratique répétée peut sembler quelque peu surprenant. Il est vrai que la preuve de la seconde infraction risque d'être si difficile à apporter que le risque d'être condamné sur cette base est bien modeste.

Heureusement, le parlement va débattre de ce projet. Son rôle sera de lui apporter une cohérence qu'il n'a pas, en suscitant un débat juridique qui n'a pas encore eu lieu. 

mardi 19 juin 2012

Accès aux origines et insémination avec donneur

Le tribunal administratif a rendu, le 14 juin 2012, un jugement largement médiatisé refusant l'accès aux origines d'une personne née d'une insémination avec donneur (IAD), en l'occurrence un don de sperme. La requérante, née d'une IAD, de même que son frère, demandait au Centre d'études et de conservation des oeufs et du sperme (CECOS) la communication de différentes informations relatives à son père biologique. L'examen de sa requête révèle sur ce point l'existence de deux revendications bien distinctes. 

Deux demandes distinctes 

La première vise la communication d'informations non identifiantes portant sur les antécédents médicaux du donneur, les raisons du don, et la question de savoir si le frère de la requérante est issue du même donneur. La seconde demande au tribunal d'enjoindre au CECOS de lui communiquer le nom du donneur de gamètes, sous réserve d'avoir recueilli son accord quant à la divulgation de cette filiation. Sur ce point, la requérante demande l'extension de la procédure organisée par la loi du 22 janvier 2002 pour permettre aux enfants nés sous X d'accéder à leurs origines, et de connaître leur mère, si elle le souhaite. 

A chacune de ces deux demandes, le tribunal administrative oppose une fin de non-recevoir. Ce rejet lui permet d'ailleurs d'écarter la demande d'indemnisation formulée par la requérante, qui évaluait le dommage subi par l'ignorance de son origine génétique à 100 000 €. 

Anonymat du donneur

Sur le fond, la décision n'est pas surprenante. L'article 16 al. 8 du code civil énonce en effet, qu'"aucune information permettant d'identifier celui qui a fait don d'un élément de son corps et celui qui l'a reçu ne peut être divulguée. Le donneur ne peut connaître l'identité du donneur, ni le receveur celle du donneur". Ce principe ne connaît qu'une seule exception, lorsque des nécessités thérapeutiques, par exemple l'existence d'une maladie génétique, rendent indispensable la connaissance de l'origine biologique (art. 1244-6 cps).

S'appuyant sur ce principe, d'ailleurs repris par l'article 1211-5 du code de la santé publique, le tribunal estime donc que la communication à la requérante de toute information sur son père génétique porterait atteinte à un secret protégé par la loi. De la même manière, la loi de 2002 sur l'accès aux origines ne concerne que les enfants nés sous X et aucun cas ceux issus d'un don de gamètes.

Cet anonymat du donneur ne repose pas seulement sur sur le principe éthique qui veut que les produits du corps humain ne peuvent être prélevés que par un don anonyme et gratuit. Il s'agit aussi, plus concrètement, d'assurer la protection juridique du donneur, et la pérennité des techniques d'assistance médicale à la procréation.


Thésée reconnu par son père

La protection du donneur 

Si l’identité du donneur pouvait être connue de l’enfant, nul doute que l’action visant à établir sa filiation réelle aurait toutes chances d’aboutir dès lors que, par hypothèse, son père légal n’est pas son père biologique. Une telle possibilité aurait pour conséquence de dissuader les donneurs de gamètes, peu désireux d’être ensuite l’objet d’une action en reconnaissance de paternité. Le Code civil les a mis à l’abri par son article 311-19, qui énonce que le consentement du couple receveur à une procréation médicalement assistée a pour effet d’interdire toute action en contestation de filiation. L'anonymat constitue l'instrument essentiel de l'effectivité de cette règle. 


La protection de l'assistance médicale à la procréation

En protégeant l'anonymat du don, c'est l'assistance médicale à la procréation elle-même qui se trouve protégée. Imaginons un instant, en effet, un donneur de sperme qui, vingt ou trente ans après son don, se trouve sollicité par un ou plusieurs enfants nés de ses gamètes. Cette intervention serait très probablement vécue comme une intrusion, car le donneur a entendu faire un geste altruiste, aider un couple à devenir parents. Il n'a pas souhaité devenir lui même le père de l'enfant à naitre. Toute levée de l'anonymat risquerait donc tout simplement de faire disparaître le don de gamètes, par crainte de ses éventuelles conséquences, à long terme. Plus grave, elle conduirait aussi à privilégier une conception finalement très archaïque de la paternité, faisant prévaloir le lien biologique sur le lien social. 




dimanche 17 juin 2012

Statut pénal du Chef de l'Etat : la réforme devient urgente

Un arrêt de l'assemble plénière de la Cour de cassation, rendu le 15 juin 2012, témoigne de la nécessité d'une réforme rapide du statut pénal du Chef de l'Etat. La décision, rendue précisément le dernier jour de l'immunité de Nicolas Sarkozy, intervient à l'issue de l'une de ces affaires de petite délinquance dont personne n'aurait jamais parlé si elle n'avait touché le Président de la République. En 2008, ce dernier avait été victime d'un piratage de son compte bancaire et escroqué d'une centaine d'euros. Rien que de très banal, si ce n'est que les délinquants ont été recherchés et arrêtés avec  un zèle et rapidité tout à fait exceptionnels. Rien que de très banal, si ce n'est que le Président de la République en exercice s'est porté partie civile et que l'un des prévenus a soulevé l'irrecevabilité de cette constitution de partie civile. 

En première instance, en octobre 2009, le tribunal correctionnel de Nanterre avait déclaré recevable la constitution de partie civile du Président, mais sursis à statuer sur la demande de dommages et intérêts, renvoyant sa décision à l'issue du mandat présidentiel. Le 8 janvier 2010, la Cour d'appel de Versailles avait cassé cette décision, et accordé au Président Sarkozy un euro de dommages et intérêts, en estimant que le débat contradictoire avait été "effectif". La Cour de cassation confirme sur ce point la décision du juge d'appel en affirmant que "en sa qualité de victime", le Président de la République est recevable à exercer les droits de la partie civile pendant la durée de son mandat. 

Un dédoublement de personnalité pénale

La décision de la Cour de cassation conduit à opérer une sorte de "dédoublement de la personnalité pénale" du Chef de l'Etat. Lorsqu'il est accusé, l'article 67 de la Constitution lui offre un statut extrêmement protecteur, puisqu'il "ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction (...) être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite". On se souvient que, dans l'affaire Clearstream, le Président de la République avait évoqué à la télévision les prévenus, dont Dominique de Villepin, en les qualifiant de "coupables". Le tribunal de grande instance de Paris, saisi en référé d'une plainte pour atteinte à la présomption d'innocence, avait alors sursis à statuer sur cette affaire. 

En revanche, lorsqu'il est accusateur, lorsque son intervention dans le procès pénal relève de sa propre initiative, il redevient mystérieusement un justiciable comme les autres, une malheureuse victime qui doit obtenir une réparation rapide et effective. Pour parvenir à un tel résultat, la Cour de cassation utilise deux arguments essentiels. 

Gilbert Thiel, Bernard Swysen, Marco Paulo. Le pouvoir de convaincre. 2012


Le refus de renvoi de la QPC 

Le premier réside tout entier dans la référence à la décision du 10 novembre 2010, par laquelle la Chambre criminelle refuse de renvoyer au Conseil constitutionnel une QPC portant sur la conformité à la Constitution de l'article 2 du code de procédure pénale. Celui-ci en effet ne prévoit pas l'impossibilité pour le Président de la République en exercice de se constituer partie civile. Dès lors que la QPC n'a pas été transmise, le moyen devient inopérant, et il est impossible d'apprécier la recevabilité de cette étrange constitution de partie civile au regard des principes de séparation des pouvoirs et de respect des droits de la défense. Sur ce point, la décision de la Chambre criminelle du 10 novembre 2010 permet à l'Assemblée plénière d'écarter les moyens les plus redoutables. 

L'égalité des armes

Le second motif de la décision réside dans l'affirmation que la recevabilité de la constitution de partie civile du Président n'entraîne aucune violation de l'article 6 § 1 de la Convention européenne. Pour la Cour de cassation, le droit à un tribunal impartial ne vise que les juges du siège. Et ces derniers bénéficient de conditions de nomination et d'un statut qui les met à l'abri des pressions et des instructions de l'Exécutif. 

La question de l'indépendance du parquet, et de sa soumission à l'Exécutif, se pose de manière beaucoup plus immédiate. En l'espèce, l'ordonnance de renvoi signée par le juge d'instruction reprenait mot à mot les réquisitions du Parquet, c'est à dire concrètement du procureur Courroye, dont on sait qu'il est un ami personnel de Nicolas Sarkozy. Mais la chance sourit à la Cour de cassation, car si le moyen est évoqué, il est cité par référence au recours présenté par un autre accusé. La Haute Juridiction considère donc "que le demandeur n'est pas recevable à se prévaloir des observations présentées par un autre prévenu". 

De la décision de la Cour de cassation, on doit déduire que les prévenus et le Président de la République étaient placé dans une situation de parfaite égalité des armes, au sens de la Convention européenne des droits de l'homme. C'est tellement vrai qu'à l'issue de la procédure, le Président de la République conserve le droit de réformer la décision de justice, en usant de son droit de grâce. 

La Cour de cassation est au moins parvenue à démontrer l'urgence de la réforme du statut pénal du Chef de l'Etat.