Lors de son meeting de Villepinte, le 18 mars, le candidat Nicolas Sarkozy a déclaré vouloir renégocier les Accords de Schengen. Et s'il constatait que, "dans les douze mois qui viennent, il n'y avait aucun progrès sérieux dans cette direction, la France suspendrait sa participation aux Accords de Schengen jusqu'à ce que la négociation ait abouti". Diable.. le propos est audacieux, d'autant qu'il marque un changement de cap inattendu. Il y a quelques semaines, notre Président était le sauveur de l'Europe, champion de la solidarité européenne, recrutant au passage madame Merkel comme agent électoral. Aujourd'hui, il passe dans le camp des Eurosceptiques, s'inquiète des vilains immigrés qui envahissent le territoire européen, et adopte un discours assez proche de celui de madame Le Pen. L'idée n'est-elle pas d'autoriser chaque Etat à fermer ses frontières lorsque les flux migratoires sont trop importants et non maîtrisés ?
Les médias ont déjà largement commenté les aspects politiques ce discours, mais ils se sont bien peu intéressés à la faisabilité du projet. Il s'agit en effet de remettre en cause les Accords de Schengen.
Communautarisation des Accords de Schengen
Rappelons qu'ils trouvent leur origine dans l'accord du 14 juin 1985 qui organise l'abolition des contrôles aux frontières, à l'intérieur d'un espace constitué par les territoires des Etats signataires (à l'époque, seulement la France, l'Allemagne et le Bénélux). La Convention d'application de l'accord de Schengen de 1990 pose ensuite les principes gouvernant le renforcement des contrôles aux frontières extérieures de ce nouvel espace. En même temps, la liste des participants s'allonge à vingt deux pays de l'Union européenne. Certains Etats non membres s'y associent également, comme la Suisse, l'Islande et la Norvège.
Aujourd'hui, les Accords de Schengen ont été communautarisés. Le traité d'Amsterdam du 2 octobre 1997, entré en vigueur le 1er mai 1999, a transformé l'espace Schengen en un "Espace de liberté sécurité justice "(ELSJ) et l'acquis Schengen se trouve incorporé dans l'Union européenne. Il ne s'agit pas seulement d'une intégration symbolique. En effet la décision du Conseil du 22 décembre 2004, conformément à ce qui était prévu dans le traité d'Amsterdam, substitue la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée dans la gestion de L'ELSJ et organise un système de codécision en matière de libre circulation des personnes.
Renégociation des traités communautaires, responsabilité ou irresponsabilité ?
En demandant la renégociation des Accords de Schengen, le candidat Sarkozy s'attaque donc directement aux conventions internationales qui organisent l'Union européenne. Sa demande signifie en clair une renégociation par les vingt-cinq Etats partenaires, la rédaction d'un nouvel accord qui devra être accepté à l'unanimité. Après cette renégociation, s'engagera une phase de ratification par chacun des Etats concernés, selon les procédures prévues par sa Constitution, soit un vote du parlement, soit un référendum. Et c'est seulement à l'issue de ces ratifications que les nouvelles dispositions entreront en vigueur.
On l'a compris, le candidat Président n'envisage rien de moins que de faire exploser le système communautaire. La démarche ne manque pas de sel, si l'on considère qu'il y a encore quelques jours, l'UMP vilipendait François Hollande pour avoir promis une renégociation du traité relatif au Mécanisme européen de stabilité (MES) s'il était élu. Or, si les chefs des Etats membres ont bien signé une première mouture du traité MES le 11 juillet 2011, puis une seconde le 2 février 2012, la procédure de ratification n'est pas encore commencée. A ce titre, le traité relatif au MES peut être renégocié plus facilement que les Accords de Schengen. Mais il faut le savoir. Lorsque le Président Sarkozy veut renégocier Schengen, il agit en homme d'Etat. Lorsque François Hollande veut renégocier le traité MES, il agit en irresponsable. C'est comme ça.
Le grand homme d'Etat aurait dû pourtant savoir que sa demande de renégociation des Accords Schengen est non seulement irréaliste mais aussi parfaitement inutile. Car un processus de renégociation est déjà engagé depuis le printemps 2011.
Le processus engagé
A l'époque, des tensions étaient intervenues entre Paris et Rome, car l'administration italienne avait accordé des titres de séjour temporaires aux migrants tunisiens et libyens arrivés en Italie pendant et après les "révolutions arabes". Munis de ces précieux documents, les intéressés, profitant pleinement de l'espace Schengen, s'étaient rapidement dispersés sur le territoire européen, et certains avaient évidemment choisi de venir en France. D'une certaine manière, l'Italie utilisait Schengen pour se débarrasser d'une immigration clandestine massive, en l'envoyant sur le territoire des autres pays.
Lors du sommet de Milan du 26 avril 2011 entre Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi, les deux Présidents avaient envoyé une lettre commune au président de la Commission pour demander un renforcement de la solidarité financière et la possibilité de rétablir temporairement le contrôle aux frontières dans ce type de crise. De son côté, le Danemark annonçait tout simplement le rétablissement des contrôles à ses frontières. La Grèce et Malte souhaitaient également une nouvelle négociation, afin de mieux répartir la charge des flux migratoires entre les pays membres.
Il est vrai que le processus de 2011 n'avance guère, tout simplement parce qu'il se heurte aux réticences de la Commission et de certains Etats comme l'Allemagne. Pour le moment, rien n'interdit cependant aux autorités françaises d'invoquer, si nécessaire, l'article 2 § 2 de la Convention d'application de 1990. Il autorise en effet les Etats signataires à rétablir les contrôles à leurs frontières intérieures "en cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure". Dans ce cas, la seule formalité exigée est l'information de la Commission et des autres Etats de l'espace Schengen.
Cette clause de sauvegarde doit en principe demeurer exceptionnelle, et n'intervenir que lorsqu'une crise grave entraîne un afflux inattendu de migrants. Sa banalisation risquerait, in fine, de détruire Schengen. C'est du moins ce qui était affirmé en mai 2011 : "La France veut défendre Schengen. Il est menacé par des flux migratoires qui sont de plus en plus importants, et il nous faut absolument éviter que face à des situations difficiles, il y ait des réactions des pays en ordre dispersé". Et qui était l'auteur de cette profession de foi européenne ? Claude Guéant, bien sûr.