« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


dimanche 18 septembre 2011

Les peines plancher survivent à la QPC

On se souvient qu'en juin 2011, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait transmis au Conseil constitutionnel une QPC posée par la société Locawatt, portant sur la constitutionnalité de l'article 530-1 du code de procédure pénale. Celui-ci fixe un minimum de peine, une peine plancher, que le juge doit prononcer lorsqu'il condamne une personne qui conteste une amende forfaitaire ou une amende forfaitaire majorée.

LLC avait alors attiré l'attention de ses lecteurs sur le dilemme auquel se trouvait confronté le Conseil constitutionnel. Soit il faisait prévaloir le principe constitutionnel d'individualisation de la peine, et, dans ce cas, il mettait en question le principe même des peines plancher. Soit il écartait le principe d'individualisation de la peine, admettait la constitutionnalité des peines plancher... au risque de malmener quelque peu l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

C'est cette seconde option qui a été choisie par le Conseil, à partir d'un argumentation à la fois juridique et pragmatique.

Le principe d'individualisation interprété a minima

Selon une jurisprudence constante, le principe d'individualisation des peines est déduit de l'article 8 de la Déclaration de 1789 : "la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires". Dans sa décision du 22 juillet 2005 portant sur la loi mettant en oeuvre le "plaider-coupable", le Conseil a même consacré "le principe d'individualisation des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen". 

Il est vrai, et nous entrons dans le coeur du raisonnement du Conseil, que le principe d'individualisation des peines est loin d'être absolu. Dans une première décision sur les peines planchers, rendue sur la loi relative à la lutte contre la récidive le 9 août 2007, il considère que, compte tenu de la gravité de l'état de récidive légale, "l'instauration de peines minimales d'emprisonnement prononcées par la juridiction ne méconnait pas le principe de nécessité et d'individualisation des peines".  

Surtout, le Conseil considère que le principe d'individualisation est garanti de manière suffisante lorsque le juge conserve une possibilité, même minime, de moduler l'exécution de la peine. Dans une décision QPC du 29 septembre 2010, M. Thierry B., il est conduit à se prononcer sur la constitutionnalité de l'article L 234-13 du code de la route qui contraint le juge à prononcer l'annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la délivrance d'un nouveau permis, lorsque les contrevenants sont récidivistes, auteurs d'infractions graves au code de la route. Le Conseil estime en l'espèce que le principe d'individualisation est respecté, dans la mesure où le juge peut librement apprécier la durée de l'interdiction dans la limite de trois ans. 

Dans l'affaire Locawatt, la situation juridique est à peu près identique. La disposition contestée n'établit pas une peine obligatoire ni une peine automatique, mais un seuil de peine. Le juge ne peut prononcer une peine inférieure au montant de l'amende forfaitaire ou de l'amende forfaitaire majorée. Rien ne lui interdit, en revanche, de dispenser l'intéressé de peine, si les trois conditions posées par l'article 132-59 du code pénal sont réunies (si le reclassement du coupable est acquis, le dommage causé réparé,  et si le trouble résultant de l'infraction a cessé). Il n'est pas davantage interdit au juge de moduler la peine entre le seuil ainsi imposé et le maximum encouru. 

Le principe d'individualisation est donc interprété a minima... mais il n'a pas disparu.


Caillebotte. Les raboteurs de parquet. 1875



L'argument pragmatique : la bonne administration de la justice

Disons le franchement. Le Conseil aurait sans doute été critiqué s'il avait déclaré inconstitutionnelle une loi prévoyant des peines-plancher pour sanctionner les chauffards, alors que, quelques années auparavant, il avait admis ces mêmes peines-plancher à l'encontre de multirécidivistes de droit commun..

On sait que la sécurité routière est considérée comme une priorité nationale, et que toute mesure visant à adoucir les peines infligées aux mauvais conducteurs est toujours mal perçue par les pouvoirs publics, et notamment par les services qui ont en charge cette sécurité. On se souvient de la levée de boucliers de septembre 2010, lorsque les sénateurs ont voté un amendement à la Loppsi 2, visant à réduire la durée de récupération des points perdus sur le permis de conduire..Nul doute que le Conseil ne souhaitait pas apparaître à son tour comme le protecteur des chauffards.

Une petite phrase de la décision témoigne de ce pragmatisme du Conseil. Il affirme en effet que "le législateur a, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice et pour assurer la répression effective des infractions, retenu un dispositif qui fait obstacle à la multiplication des contestation dilatoires". Les peines plancher ont donc pour objet de dissuader les recours dilatoires.

Le principe de bonne administration de la justice est certes sollicité pour justifier une préoccupation très pragmatique visant à ne pas encombrer les prétoires. Cette "bonne administration de la justice" est un "objectif de valeur constitutionnelle" surtout utilisé, sans fondement textuel bien défini, lorsqu'il s'agit d'unifier les règles de compétence juridictionnelle pour faciliter les démarches contentieuses du requérant, voire pour alléger certaines formes afin d'accélérer les procédures. Il est donc généralement invoqué dans l'intérêt de l'administré ou du requérant. Dans l'affaire Locawatt, le Conseil s'y réfère cependant dans l'intérêt de des autorités chargées de gérer un contentieux particulièrement abondant.

Cette décision illustre la difficulté pour le Conseil constitutionnel de concilier des intérêts contradictoires, ceux des pouvoirs publics qui veulent, à juste titre, des sanctions exemplaires en matière de sécurité routière, mais aussi ceux des justiciables qui doivent pouvoir contester la sanction qui les frappe.


vendredi 16 septembre 2011

M. Hortefeux, injures publiques, injures privées

Brice Hortefeux, a été relaxé le 15 septembre 2011 par la Cour d'appel de Paris dans l'affaire des "Auvergnats". Lors de l'Université d'été de l'UMP organisée à Seignosse dans le département des Landes, en septembre 2009, il discutait avec un groupe de militants, parmi lesquels M. Amine Benalia-Brouch présenté par une responsable locale du parti comme "notre petit Arabe". M. Hortefeux, alors ministre de l'intérieur, avait répondu : "Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes". Il avait ensuite affirmé qu'il parlait des Auvergnats... 

Poursuivi par le MRAP, il avait été condamné à 750 € d'amende par le tribunal correctionnel en juin 2010 pour injures non publiques à caractère racial. A l'époque, les commentaires portaient surtout sur la condamnation du ministre de l'intérieur en exercice... mais personne ne s'était intéressé à la requalification de l'infraction, passant de l'injure publique qui est un délit (art. 23 de la loi du 29 juillet 1881)  à l'injure non publique qui est une contravention (art. R 624-5 c. pén.). Or, le débat en appel a précisément eu lieu à propos de cette requalification et des conséquences qu'elle emporte. 

L'injure 

La Cour d'appel ne conteste pas le caractère injurieux des propos tenus par M. Hortefeux. L'injure, au sens juridique du terme, est définie par l'article 29 al. 2 de la loi du 29 juillet 1881 comme "toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait". L'article 33 de la même loi définit un peine de 12 000 € d'amende, qui peut être étendue à un an d'emprisonnement et/ou 45 000 € d'amende lorsque l'injure est prononcée "envers une personne ou un groupe de personnes, à raison de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée (...)". 

Le juge se penche d'abord  sur une phrase prononcée par M. Hortefeux que le MRAP considère comme injurieuse. En réponse à une militante qui affirme que le jeune Amine "parle l'arabe", est "catholique", "mange du cochon" et "boit de la bière", M. Hortefeux s'exclame : "Ah mais, ça ne va pas du tout, alors il ne correspond pas du tout au prototype alors. C'est pas du tout ça". La Cour fait observer que ces propos témoignent d'un "évident manque de culture" et que "le ministre, notamment en charge des cultes, s'offre un malheureux trait d'humour...". Aussi détestable soit-il, cet humour n'est pas considéré comme outrageant ou méprisant, dès lors que les personnes d'origine arabe se voient seulement imputer une pratique généralisée de la religion musulmane.

Il n'en est pas de même des autres propos poursuivis, ceux qui avaient précisément été réprimés en première instance :  "Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes". Pour le juge, cette formule "qui vient conforter l'un des préjugés qui altèrent les liens sociaux, est outrageant et méprisant à l'égard de l'ensemble du groupe formé par les personnes d'origine arabe stigmatisées du seul fait de cette appartenance". L'injure est donc constituée. 

Mais s'il y a effectivement injure, pourquoi M. Hortefeux est-il finalement relaxé ? 

L'élément de publicité de l'injure

Selon l'article 23 de la loi sur la presse, le délit d'injures publiques est constitué lorsque les propos ont été "proférés dans les lieux ou réunions publics" ou exposés au regard du public par n'importe quel support, écrit, audiovisuel ou internet.

Les critères définissant le caractère public de l'injure sont au nombre de deux.

Le premier est l'absence de communauté d'intérêts entre les participants à la réunion. La terrasse d'un restaurant est ainsi considérée comme un lieu public (Cass. Crim. 15 mars 1983) car ceux qui y sont installés n'ont pas de lien entre eux. En revanche, une injure  figurant sur un document distribué aux seuls membres d'un parti politique n'est pas "publique" au sens de la loi car elle ne sort pas d'un groupe fermé (Cass. Crim. 27 mai 1999). Le second critère est le caractère intentionnel de la publicité. En clair, il faut qu'il existe une intention coupable de rendre publics les propos injurieux. Si les propos ont été tenus dans un lieu public, mais sans aucune volonté de publicité, le délit n'est pas constitué.




En l'espèce, le juge observe qu'il existe une communauté d'intérêts entre les participants à l'Université de l'UMP, et qu'ils pouvaient espérer que les propos de M. Hortefeux ne sortiraient pas du petit groupe qui les a entendus. Et il est vrai que la scène a été filmée à l'issue des acteurs. De fait, la publicité réalisée est donc dépourvue de tout caractère intentionnel.

Sur ce point, la position de la Cour est tout à fait soutenable... mais la position inverse l'aurait été tout autant. En effet, nul ne pouvait ignorer, parmi les dirigeants de l'UMP présents à cette manifestation, que les journalistes avaient été autorisés à y assister, et que les propos tenus risquaient fortement de sortir du cercle des militants..

Quoi qu'il en soit, le juge opère une requalification d'injure publique en injure non publique, et il en tire toutes les conséquences.

Irrecevabilité du recours du MRAP

L'article 48 al. 1 de la loi du 29 juillet 1881 autorise les associations régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans, et se proposant par ses statuts "d'assister les victimes de discrimination" à se porter partie civile dans un certain nombre de délits de presse, notamment ceux liés au négationnisme, à la haine raciale, à l'injure publique.... mais pas à l'injure non publique. De fait, dès lors que l'injure incriminée n'est pas publique, le recours du MRAP devient tout simplement irrecevable. Elle ne serait recevable que dans l'hypothèse où la qualification d'injure publique serait retenue, ce que la Cour de cassation pourrait éventuellement décider si elle était appelée à se prononcer.

Et M. Hortefeux est en conséquence relaxé. Il va pouvoir se consacrer avec sérénité à la préparation de la campagne du Président de la République.


jeudi 15 septembre 2011

L'Europe du renseignement, chantier en cours

Deux informations publiées cette semaine montrent que l'Europe de la police et du renseignement se construit... lentement. 

Les évolutions récentes

Dans le domaine de la lutte contre la grande criminalité, une ordonnance vient d'être présentée au conseil des ministres du 7 septembre 2011, visant à faciliter et accélérer l'échange d'informations et de renseignements entre les services de police et de douane. Il s'agit en fait de mettre en oeuvre la décision-cadre adoptée par l'UE le 18 décembre 2006, qui avait  été adoptée après les attentats de Madrid. Le texte exact de ce projet d'ordonnance n'est pas encore diffusé, mais le ministre de l'intérieur affirmé déjà qu'elle garantira "la confidentialité dans la transmission des informations".

Quelques jours après, le 12 septembre, le Conseil des affaires générales de l'Union européenne a approuvé la création d'une toute nouvelle "Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'informations à grande échelle dans le domaine de la liberté, de la sécurité et de la justice" qui devrait être installée à Tallin, en Estonie. Un "paquet législatif" adopté en juin 2009 comporte différents instruments juridiques nécessaires à cette création, à savoir un règlement du Parlement et du Conseil créant l'Agence et une décision du Conseil définissant ses missions.

Sur ce point, l'Agence sera, dès sa création en 2012, chargée de la gestion de trois grands fichiers : le Système d'information Schengen 2è génération (SIS II), le système d'information sur les visas (VIS) et le système Eurodac permettant la comparaison des empreintes digitales des demandeurs d'asile. Il s'agit là des tous premiers fichiers confiés à l'Agence, et elle se verra sans doute confier d'autres systèmes à grande échelle dans l'avenir. 

L'Agence aura en outre une fonction générale d'élaboration de véritables standards sur les conditions de développement des fichiers d'informations et de renseignements. Elle pourra ainsi adopter des mesures de sécurité et de contrôle, organiser des formations pour les agents ayant intérêt à en connaître, voire établir des rapports et publications sur son fonctionnement.

Michel Hazanavicius. OSS 117. Le Caire, nid d'espions. 2006

Une Europe du renseignement à deux étages


On assiste à la construction d'une Europe de l'information et du renseignement à deux étages. Le premier, illustré par l'ordonnance française met en oeuvre un système d'échange de données dans un but de coopération policière et de sécurité. Le second adopte au contraire une vision totalement intégrée, avec une gestion centralisée de fichiers communs. 

Comme l'ensemble de l'Union européenne, l'Europe des fichiers hésite entre ces deux mouvements de coopération et d'intégration. 

Le plus efficace des deux n'est pas nécessairement celui que l'on croit. L'intégration affichée par la création de la nouvelle Agence ne doit pas faire illusion, lorsque l'on sait à quel point les gouvernements sont réticents à échanger des données sensibles, particulièrement dans le domaine du renseignement. C'est ainsi que le "Centre de situation conjoint de l'Union européen" (SitCen), créé en 2001, n'est qu'une plate-forme d'analyse des informations que veulent bien transmettre les Etats membres, la collecte du renseignement restant le monopole des Etats. La lutte contre le terrorisme n'a d'ailleurs conduit qu'à la création d'un poste de "coordinateur". Son titulaire, le belge Gilles de Kerchove s'efforce de convaincre les Etats membres de la nécessité de coopérer dans ce domaine, sans réellement y parvenir. 

Le plus protecteur des deux n'est pas non plus nécessairement celui que l'on croit. Le système européen de protection des données a certes influencé le droit des Etats membres, dans la mesure où ils ont dû transposer les directives intervenues dans ce domaine. Mais l'intégration conduit souvent au nivellement sur le standard le moins exigeant. Elle crée en outre des vulnérabilités nouvelles liées à la centralisation qu'elle met en oeuvre.

Il ne reste plus à espérer que nous disposerons bientôt de davantage d'informations sur ces échanges d'informations...



mardi 13 septembre 2011

Le droit de se défendre seul devant le juge pénal

A un moment où on constate un accroissement considérable du rôle des avocats dans la procédure pénale, et plus spécialement lors de la garde à vue, une décision rendue sur QPC le 9 septembre 2011, M. Hovanes A. vient opportunément rappeler que toute partie à un procès pénal a le droit de se défendre seule.

En l'espèce, la QPC portait sur l'article 175 du code de procédure pénale qui définit les règles applicables lorsque le juge d'instruction considère que ses investigations sont terminées. Il transmet alors le dossier au procureur qui dispose d'un mois si la personne poursuivie est en détention, ou de trois mois dans les autres cas, pour lui transmettre ses réquisitions motivées. Le juge d'instruction doit ensuite donner copie de ces réquisitions aux "avocats des parties", accusé et partie civile, par lettre recommandée. Les destinataires sont donc les avocats des parties, et exclusivement eux. 

Qu'en est il de la personne qui n'est pas représentée par un avocat lors d'un procès pénal ? L'hypothèse est loin d'être impossible, dès lors que le recours à un avocat n'est obligatoire que devant la Cour d'assises et la Cour de cassation. Rien n'interdit donc aux parties de se défendre elles-mêmes devant le tribunal correctionnel. Hélas, aux termes de l'article 175 du cpp, celui qui a choisi cette formule ne peut avoir communication des réquisitions du procureur.

La Cour de cassation choisit de sanctionner cette discrimination en fonction du mode de défense choisi, et déclare non conforme à la Constitution cette référence aux "avocat" des parties. Il exige purement et simplement la suppression du mot "avocats", l'article 175 devant se lire désormais comme imposant au juge d'instruction l'obligation d'envoyer aux "parties" ces réquisitions. 

L'intérêt de la décision réside dans le fondement choisi par le Conseil pour déclarer cette inconstitutionnalité. Il évoque en effet les droits de la défense et la règle du procès équitable mais s'appuie directement sur l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et sur le principe d'égalité devant la loi. Il rappelle que "si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au principe du contradictoire et au respect des droits de la défense". En l'espèce, rien ne justifie un traitement différencié selon que la personne se défend seule ou est défendue par un avocat. Aux termes de l'article 6, la loi doit donc "être la même pour tous". 

Les bonnes causes. Christian Jaque. 1963

Comme tous les bons raisonnements, celui-ci a l'avantage de la limpidité. En cela, la solution du Conseil constitutionnel s'oppose à une jurisprudence pour le moins alambiquée de la Cour européenne des droits de l'homme. 

La Cour a été amenée à statuer, non pas sur la communication des réquisitions prévue par l'article 175 cpp, mais sur le principe même de la communication aux parties du dossier de l'instruction. Elle opère en sur ce sujet une distinction entre la phase d'instruction et la phase de jugement. 

Au stade du jugement, les parties, accusé ou partie civile, représentées ou non par un avocat, ont le droit d'accéder à l'ensemble du dossier, solution acquise depuis un arrêt du 18 mars 1997, Foucher c. France. En l'espèce, l'accusé faisait cependant l'objet d'une citation directe, et il n'y avait pas de phase d'instruction proprement dite. Cette solution avait été confirmée par un arrêt Menet c. France du 14 juin 2005, qui concernait cette fois l'accès de la partie civile au dossier d'instruction. La Cour fait donc, dans ce cas, prévaloir le principe de l'égalité des armes figurant à l'article 6 de la Convention. 

Au stade de l'instruction, la jurisprudence est plus restrictive. La cour estime en effet que les Etats peuvent décider de limiter l'accès au dossier d'instruction aux seuls avocats. Dans l'affaire Frangy c. France du 1er février 2005, elle fait en effet prévaloir le secret de l'instruction sur l'égalité des armes. Elle observe en effet que l'accusé ou les parties civiles ne sont pas soumises au secret professionnel, alors que leurs avocats le sont. Afin de préserver cette confidentialité, la Cour estime donc possible de limiter aux avocats ce droit d'accès, quand bien même la loi du 30 décembre 1996 autorise, sous certaines conditions et avec l'accord du juge d'instruction, la communication de certaines pièces par l'avocat à son client. La Cour européenne choisit donc de faire prévaloir le secret de l'instruction sur l'égalité des armes, choix hautement discutable et qu'elle ne justifie pas réellement dans sa décision. 

Sur ce plan, le Conseil constitutionnel a le mérite de rendre une solution de bon sens, en rappelant que le principe d'égalité devant la loi doit l'emporter sur toute autre considération. 





lundi 12 septembre 2011

Les porteurs de balise

Les séries américaines nous montrent aujourd'hui des enquêtes menées par de belles jeunes femmes ultra-diplômées, où les suspects sont identifiés et finalement arrêtés grâce aux ressources des ordinateurs et aux connaissances infinies de spécialistes de police scientifique et technique. De manière souvent caricaturale, ces feuilletons témoignent cependant du développement des nouvelles technologies qui interviennent à tous les stades de l'enquête et de l'instruction. 

Deux affaires récentes ont mis en lumière l'utilisation par les services de police de balises de géolocalisation. Placées par exemple sous le véhicule d'un suspect, elles permettent de le suivre à la trace sans courir le risque, inhérent à toute filature traditionnelle, d'être repéré. De même, la balise va donner aux forces de police l'opportunité de choisir le moment et le lieu d'une éventuelle arrestation, avantage appréciable lorsqu'il s'agit d'assurer un flagrant-délit, voire tout simplement de garantir la sécurité des riverains. Il ne viendrait à l'idée de personne de contester aux autorités de police l'utilisation de technologies qui présentent tant d'avantages pour des enquêtes criminelles.

Dans son édition des 10 et 11 septembre, Libération rappelle que la police avait placé une balise GPS sous la Mercedes du militant autonome Julien Coupat de Tarnac. Cette balise avait révélé un premier arrêt à coté de la voie du TGV, puis un second arrêt près d'une rivière dans le lit de laquelle on retrouva ensuite plusieurs objets susceptibles d'être utilisés pour saboter une caténaire (novembre 2008). De son côté, France Soir revient sur la mort de la jeune policière municipale de Villiers-sur-Marne, Aurélie Fouquet (mai 2010). Un GPS placé par la police sous un fourgon volé aurait en effet permis l'arrestation d'un membre du commando à l'origine de son décès. 

Dans les deux cas, les avocats des prévenus invoquent l'illégalité de l'utilisation de ces balises GPS pour contester l'ensemble des procédures diligentées contre leurs clients.  Et les malheureux policiers ou gendarmes chargés des enquêtes sont contraints d'utiliser ces technologies en catimini, sans les mentionner sur les procès verbaux.. Le résultat est que dans l'affaire Coupat, l'avocat n'hésite pas à porter plainte pour "faux en écriture publique". N'est-ce pas le rôle de l'avocat de faire feu de tout bois pour défendre son client... sans état d'âme ?


Quoi qu'il en soit, en l'espèce, les avocats ont raison. L'utilisation des balises de localisation dans l'enquête judiciaire se trouve placée à peu près dans la même situation que les écoutes téléphoniques... avant la loi de 1991. C'est dire qu'elles relèvent du non-droit. 

L'analogie se précise si l'on examine la conformité de cette utilisation aux dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme. Comme nous le rappelions récemment, la loi française du 10 juillet 1991 sur les interceptions de sécurité a été votée sous la pression bienfaisante de la Cour européenne. Celle-ci avait en effet annulé des procédures reposant sur des preuves apportées par des écoutes. A ses yeux, toute interception des communications doit être "prévue par la loi", dès lors qu'il y avait atteinte à la vie privée des personnes. 

La Cour a développé une jurisprudence absolument identique en matière d'utilisation des balises GPS. Dans une décision du 2 septembre 2010, Uzun c. Allemagne, la Cour a en effet été saisie de la conformité à la Convention de l'utilisation d'une balise pour repérer et appréhender deux hommes qui furent ensuite condamnés pour leur participation à divers attentats terroristes en 1995. Certes, la Cour reconnaît que le recours au GPS entraîne une atteinte à la vie privée moins importante que l'écoute téléphonique car "elle donne moins d'informations sur la conduite, les opinions ou les sentiments de la personne qui en fait l'objet". En l'espèce, elle admet donc l'ingérence dans la vie privée qu'elle considère comme relative bénigne au regard de l'intérêt de la poursuite et de l'arrestation d'individus soupçonnés de crimes graves. Elle exonère  donc les autorités allemandes de toute responsabilité. 

La Cour a reconnu la possibilité d'utiliser le GPS pour la localisation de suspects dans une enquête criminelle et on pourrait donc penser que tout va pour la mieux, et que la France peut se prévaloir de cette sympathique jurisprudence. Il n'en rien, car la Cour précise que l'utilisation des balises GPS, tout comme l'écoute téléphonique, doit être "prévue par la loi". C'est le cas en Allemagne... mais ce n'est pas le cas en France. 

Si les autorités françaises souhaitent échapper à des nouvelles condamnations par la Cour européenne, il est urgent de légiférer dans ce domaine. Il suffirait de modifier la loi du 10 juillet 1991 pour étendre son champ d'application au repérage par balise de géolocalisation. Et les avocats se verraient contraints de chercher d'autres moyens à l'appui de leur défense..

samedi 10 septembre 2011

Les polices municipales ont accès au fichier des véhicules volés

Un arrêté du 18 août 2011 autorise les polices municipales à accéder au fichier des véhicules volés (FVV) géré par les ministères de l'intérieur et de la défense. Ce texte est passé pratiquement inaperçu, et il n'est guère mentionné dans la presse et sur internet que pour se féliciter des progrès qu'il apporte dans la lutte contre le vol de véhicules. Il permettra en effet aux policiers municipaux de participer au signalement des véhicules volés, voire de procéder à l'interpellation des voleurs. 

Jusqu'à aujourd'hui, le FVV était utilisé par les services de police et de gendarmerie, mais aussi par les autorités judiciaires, les douanes, les services de police étrangers liés à la France par des accords de coopération, les organismes de coopération internationale en matière de police judiciaire, et même les compagnies d'assurance ayant passé convention avec le ministère de l'intérieur. On observe d'ailleurs que ces différentes autorités ont su se montrer efficaces, puisque l'ONDRP, grand oracle de la statistique officielle de la délinquance, déclare que les vols de véhicules ont diminué de 5,7 % entre 2009 et 2010 (les statistiques pour 2011 ne sont pas encore publiées).

On nous dit que la décision du ministère de l'intérieur d'ouvrir le fichier aux policiers municipaux repose sur des considérations purement factuelles. Ces personnels sont en effet amenés à contrôler un grand nombre de véhicules quotidiennement puisque, aux termes de l'article L 2212-2 du Code général des collectivités locales, ils sont compétents pour "tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques". 


Bonnie and Clyde. Arthur Penn. 1967. Warren Beatty et Faye Dunaway

On doit cependant observer que les policiers municipaux ne sont pas officiers de police judiciaire (OPJ) ni même agents de police judiciaire (APJ). L'article 21 du code de procédure pénale les classe seulement parmi les agents de police judiciaire adjoints (APJA). Leur compétence judiciaire se limite à rendre compte à leurs chefs hiérarchiques des infractions dont ils peuvent avoir connaissance et à "recueillir les éventuelles observations du contrevenant". Il est vrai que l'arrêté du 18 août ne leur donne accès au FVV que "dans les limites du besoin d'en connaître". Mais en quoi consiste donc ce "besoin d'en connaître", dès lors que le statut d'APJA leur interdit de mener des enquêtes de police judiciaire ? 


On ne peut s'empêcher de penser que l'Exécutif s'efforce, de manière plus ou moins subreptice, de renforcer les compétences des policiers municipaux, alors même que la loi du 15 avril 1999 ne leur accorde que des pouvoirs restreints, essentiellement limités à la police administrative. Cette évolution est évidemment le fruit d'un certain désengagement de l'Etat, qui préfère laisser aux collectivités territoriales la responsabilité de la sécurité locale plutôt que renoncer à réduire les effectifs de police et de gendarmerie. 

L'élargissement constant des compétences attribuées aux policiers municipaux se heurte cependant à une réelle réticence des juges. 

Le Conseil d'Etat avait ainsi annulé le 2 septembre 2009 un premier décret du 22 septembre 2008 autorisant les policiers municipaux à utiliser le pistolet à impulsions électriques (Taser). Il sanctionnait ainsi l'absence de formation à l'utilisation d'une telle arme. Dans un second arrêt du 1er juin 2011, il a finalement validé un second décret sur l'usage du Taser du 26 mai 2011, non sans avoir contrôlé de manière très méticuleuse que ce texte précisait les conditions d'emploi et de contrôle de l'arme, ainsi que l'exigence de formation pour ses utilisateurs. 

Le Conseil constitutionnel, quant à lui, pose le problème essentiel de ce recours aux policiers municipaux en matière de police judiciaire. Dans sa décision du 10 mars 2011 sur la Loppsi 2, il censure deux articles relatifs aux pouvoirs des policiers municipaux. Le premier conférait la qualité d'agent de police judiciaire à certains policiers municipaux sans qu'ils soient mis à disposition des officiers de police judiciaire. Le second autorisait les agents de police municipale à effectuer des contrôles d'identité. Le Conseil estime alors que ces deux dispositions violent l'article 66 de la Constitution, qui impose que la police judiciaire soit placée sous la direction et le contrôle de l'autorité judiciaire. C'est donc le principe de séparation des pouvoirs qui fonde la décision, le Conseil rappelant qu'une activité de police judiciaire ne saurait être placée sous le contrôle d'une autorité administrative, en l'espèce l'exécutif communal.

Derrière un simple arrêté reposant sur une volonté affichée d'améliorer la lutte contre le vol de véhicules se cache donc un tout autre débat..celui de la garantie de la séparation des pouvoirs.