« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 30 août 2024

Les Invités de LLC - Léon Blum. Du mariage. 1907



A l'occasion des vacances, Liberté Libertés Chéries invite ses lecteurs à retrouver les Pères Fondateurs des libertés publiques. Pour comprendre le droit d'aujourd'hui, pour éclairer ses principes fondamentaux et les crises qu'il traverse, il est en effet nécessaire de lire ou de relire ceux qui en ont construit le socle historique et philosophique. Les courts extraits qui seront proposés n'ont pas d'autre objet que de susciter une réflexion un peu détachée des contingences de l'actualité, et de donner envie de lire la suite. 

Les choix des textes ou citations seront purement subjectifs, détachés de toute approche chronologique. Bien entendu, les lecteurs de Liberté Libertés Chéries sont invités à participer à cette opération de diffusion de la pensée, en faisant leurs propres suggestions de publication. Qu'ils en soient, à l'avance, remerciés.
 
Aujourd'hui, nous invitons Léon Blum qui, en 1907, publia Du Mariage. En envisageant que les femmes puissent avoir des expériences sexuelles avant le mariage, au même titre que les hommes, l'ouvrage fait scandale.

Léon Blum

Du mariage

1907

 


Il m'est arrivé de constater, comme tout le monde, par une suite d'expériences ou d'observations quotidiennes, combien, dans le mariage tel qu'il est aujourd'hui pratiqué, le bonheur est fortuit et difficile. J'en suis venu à me demander, ce qui est fort banal encore, si cet état s'expliquait par quelque vice inhérent à la notion même du mariage, c'est-à-dire de la monogamie, ou par les modalités présentes de l'institution, c'est-à-dire les habitudes sociales. Et ainsi, précisant peu à peu le problème, j'ai recherché si quelques changements relativement simples, opérés non pas dans nos lois mais dans nos moeurs, et qui laisseraient à peu près intacte l'organisation actuelle de la famille et de la société, ne suffiraient pas pour transformer ce qui est aujourd'hui cause de division ou de conflit en condition de commerce et d'entente.

En d'autres termes, et tenant pour démontré que le mariage ou la monogamie légale est une institution qui fonctionne mal, je me suis demandé s'il convenait de l'abandonner radicalement, pour s'en tenir aux formes modernes de la polygamie, c'est-à-dire aux unions multiples et précaires, ou s'il était possible de l'amender. J'ai été conduit à conclure que le mariage n'était pas une institution mauvaise, mais une institution mal réglée et dont on tire mauvais parti, une institution, si je puis dire, généralisée à l'excès, convenable à certains cas, à certains moments de la vie, mais non pas à tous. Le mariage ne devient pernicieux que dans la mesure où il est pratiqué sans sagesse et imposé sans discernement, comme il arrive dans l'état présent des moeurs. Ce n'est ni un poison,  ni une panacée. C'est un aliment sain, mais qu'il faut assimiler à son heure.

Il m'a fallu quelque courage pour dominer le préjugé favorable que l'union libre m'inspirait. Je sens vivement ce que cette expression seule a de séduisant et de noble (...). Mais l'union libre, ou bien n'est qu'une protestation contre la formalité même du mariage, contre l'intrusion de l'autorité sociale dans une convention privée. Et l'on me permettra bien de dire qu'en ce cas elle constitue un pur enfantillage, ou bien n'est qu'une union provisoire, autorisant d'avance les changements ultérieurs, les préparant même et leur servant de transition naturelle. Dans ce dernier cas, l'union libre est polygamique. or, ni la monogamie légale ni la polygamie libre n'apportent au problème de la relation des sexes une solution satisfaisante et complète. On ne peut dire ni de l'homme ni de la femme que soit la monogamie soit la polygamie constitue la loi naturelle et unique de leurs rapports. L'homme et la femme sont d'abord polygames, puis, dans l'immense majorité des cas, parvenus à un certain degré de leur développement et de leur âge, on les voit tendre et s'achever vers la monogamie. Les unions précaires et changeantes correspondent au premier état. Le mariage est la forme naturelle du second.

Et l'on aperçoit la très mince portée du changement que je propose : il consiste à ne se marier qu'au moment où l'on se sent disposé pour le mariage, quand le désir des changements et de l'aventure a fait place, par une révolution naturelle au goût de la fixité, de l'unité et du repos sentimental.

Cette méthode n'a rien de fort original, et la meilleure preuve en est que dès aujourd'hui, la plupart des hommes se marient conformément à mon ordonnance. Mais les femmes ? Ce seul point d'interrogation enferme tout le problème.

1 commentaire:

  1. Vaste programme que celui d'une réflexion objective sur le mariage, la monogamie, la polygamie, l'union libre et l'on pourrait ajouter à la liste fournie par Léon Blum le thème inépuisable du bonheur !

    Force est de constater que chaque individu (femme ou homme) appréhende de manière différente le mariage en fonction de son âge, de son expérience (bonne ou mauvaise), de l'éventuelle pression sociale... Il est donc difficile de tirer des règles universelles s'appliquant à tout un chacun surtout en un temps où le nombre des divorces croit d'une manière exponentielle et celui des unions libres progresse aussi rapidement.

    L'étude du mariage relève de la science humaine dans tout ce qu'elle a de plus subjectif. Et cela ne semble pas prêt de changer du jour au lendemain. Disons que chaque mariage constitue un cas d'espèce consubstantiel à chaque couple. Répétons-le, vouloir le faire entrer dans un cadre strict relève de la chimère, de l'utopie ! Laissons donc à chaque être humain - femme ou homme étant mis sur un pied d'égalité - le libre arbitre le plus total sur la façon dont il conduit sa vie intime à l'abri des jugements venus de l'extérieur. Telle est la conception de la liberté inhérente à un état de droit, de notre point de vue !

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