« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


lundi 26 septembre 2022

Vers la fin des prérogatives exorbitantes accordées aux douaniers ?


La Douane bénéficie depuis longtemps de prérogatives exorbitantes du droit commun. Ses ingérences dans la vie privée des personnes ou leur liberté de circulation sont particulièrement importantes, plus importantes généralement que celles dont peuvent se prévaloir d'autres services régaliens comme la police ou la justice. Par sa décision rendue sur QPC du 22 septembre 2022, M. Mounir S., le Conseil constitutionnel met brutalement un frein à ce pouvoir exorbitant, en déclarant inconstitutionnel l'article 60 du code des douanes, qui en constituait précisément la pierre angulaire.

L'article 60 du code des douanes est ainsi rédigé : "Pour l'application des dispositions du présent code et en vue de la recherche de la fraude, les agents des douanes peuvent procéder à la visite des marchandises et des moyens de transport et à celle des personnes". C'est donc un principe général d'autorisation des visites des marchandises, des moyens de transport et des personnes qui est posé, sans motivation de la décision, sans limitation dans le temps et/ou dans l'espace. Cette disposition confère ainsi aux agents des Douanes un pouvoir discrétionnaire dans un domaine qui touche pourtant directement aux libertés. 

 

La troisième tentative


La déclaration d'inconstitutionnalité prononcée le 22 septembre 2022 n'a rien de surprenant. A l'inverse, on pouvait s'étonner du maintien dans l'ordre juridique d'une disposition ancienne, intégrée dans le code des Douanes en 1948, et qui semble aujourd'hui bien peu conforme aux exigences actuelles en matière de protection des libertés. 

Mais les compétences exorbitantes des agents des douanes étaient tellement entrées dans les moeurs juridiques que les tentatives précédentes pour faire constater l'inconstitutionnalité de ces dispositions n'ont pas abouti. Dans une décision du 5 octobre 2011, la Cour de cassation refusait déjà le renvoi d'une QPC estimant que l'atteinte portée à la liberté d'aller et venir par les droits de visite et de vérification n'était pas disproportionnée à l'objectif de lutte contre la fraude, dès lors que l'ensemble des opérations était placé sous l'ultime contrôle du juge, à l'issue de la procédure. Plus récemment, le 11 mars 2015, la Cour de cassation refusait une nouvelle fois le renvoi, mais cette fois le rejet trouvait son origine dans la distraction des avocats qui avaient cru bon de plaider la non-conformité de cette disposition au traité sur le fonctionnement du TFUE. Une erreur fatale, dès lors que le Conseil constitutionnel est incompétent pour apprécier la conformité de la loi au traité. La troisième tentative est donc la bonne, et elle est couronnée de succès. 

Il ne fait guère de doute qu'après s'être efforcée d'encadrer par sa jurisprudence les prérogatives des agents des Douanes, la Cour de cassation a décidé de prendre une mesure plus directement efficace, en soumettant l'article 60 du code des douanes au contrôle de constitutionnalité.

 


 Douanier découvrant la décision du Conseil constitutionnel

Rien à déclarer. Dany Boon. 2010

 

L'aboutissement d'une évolution

 

La Cour de cassation avait, depuis longtemps préparé le terrain, en encadrant l'exercice de cette prérogative. Il est exact qu'elle avait, dans un premier temps, par un arrêt du 26 juin 1990, permis aux agents des douanes d'étendre la visite des "marchandises" et des "personnes", au sac à main d'une personne qui franchit une frontière, voire, avec une décision du 22 février 2006, aux vêtements qu'elle porte. Mais cette jurisprudence a connu un frein spectaculaire avec la décision du 18 mars 2020 qui refuse aux agents un véritable pouvoir d'audition. Tout au plus peuvent-ils demander à la personne de reconnaître les objets découverts lors de la visite. De même, un arrêt du 26 janvier 2022 précise-t-elle qu'aucune fouille à corps, impliquant cette fois le retrait des vêtements, ne peut être effectuée sur le fondement de l'article 60. Elle ne saurait intervenir qu'en cas de flagrant délit conduisant à une retenue douanière, c'est-à-dire concrètement une garde à vue.

La Cour de cassation a précisé, le 12 novembre 2015, que les prérogatives de l'article 60 du code des douanes n'ont pas d'autre objet que de permettre de recueillir des indices. Les agents ne disposent pas de pouvoirs supplémentaires d'investigation, et doivent transmettre aussitôt que possibles les éléments recueillis à un officier de police judiciaire compétent pour les mettre sous scellés. La limitation de l'opération dans le temps était donc déjà acquise. Elle a été ensuite confirmée par l'arrêt du 13 juin 2019 qui précise que le maintien des personnes concernées à la disposition des agents des Douanes ne saurait dépasser le temps strictement nécessaire à la visite et à l'établissement du procès-verbal. A l'issue du contrôle, sauf dans l'hypothèse où les conditions d'une retenue douanière sont réunies, les agents des Douanes ne peuvent donc se permettre de retenir une personne contre son gré.

La Cour de cassation a donc peu à peu resserré son contrôle sur ces prérogatives exorbitantes du droit commun, suscitant finalement la saisine pour QPC du Conseil constitutionnel. Sa décision met fin à un système étrange, dans lequel les agents des Douanes avant davantage de pouvoirs coercitifs que les officiers de police judiciaire intervenant dans une enquête pénale impliquant des faits criminels. 

L'abrogation ne prend toutefois pas effet immédiatement, et elle a été différée au 1er septembre 2023, laissant au parlement le temps de modifier la loi. Ce n'est pas si simple, car il est nécessaire de "moderniser" ce texte pour tenir compte à la fois de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de celle de la Cour européenne des droits de l'homme. Celle-ci se montre notamment très attentive à l'information des personnes contrôlées sur leurs droits, à l'existence et à la mise en oeuvre du droit à recours. Elle a d'ailleurs tendance rapprocher le régime juridique de ce type de visite sur celui des perquisitions. D'une manière générale, la loi devra prévoir pour quels motifs un tel contrôle peut intervenir, dans quels lieux il peut être réalisé, quelle peut-être sa durée, s'il peut en être conservé des traces etc. Toutes questions qui auraient du être résolues il y a bien longtemps.

 Perquisitions et visites domiciliaires : Chapitre 8, section 3, § 2 du manuel de libertés publiques sur internet

2 commentaires:

  1. Sans compter que les douaniers, il n'y a pas si longtemps (je le sais d'autant que j'habite dans une région frontalière) la gâchette facile et infligeaient des sanctions souvent délirantes pour quelques grammes de tabac ou d'alcool en plus...

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  2. à ce niveau, autant supprimer la douane.

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