« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


samedi 10 avril 2021

L'obligation vaccinale confortée par la CEDH


L'arrêt de Grande Chambre Vavricka et autres c. République tchèque rendu le 8 avril 2021 par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) affirme très opportunément que l'obligation légale de vacciner les enfants ne porte pas atteinte au droit à la vie privée garanti par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

La loi tchèque impose la vaccination de tous les enfants contre la diphtérie, le tétanos, la coqueluche, les infections à Haemophilus influenzae de type b, la poliomyélite, l’hépatite B, la rougeole, les oreillons et la rubéole. Ils ne peuvent être inscrits à l'école maternelle que si un certificat de vaccination est fourni. 

La situation est donc sensiblement identique à celle qui existe en France, la loi du 31 décembre 2017 imposant désormais onze vaccins obligatoires. A la liste tchèque, s'ajoutent dans notre pays les vaccins contre la poliomyélite, le méningocoque et le pneumocoque (art. L3111-2 du code de la santé publique). Comme en république tchèque, le non-respect de l'obligation de vaccination est sanctionné d'une peine qui peut aller jusqu'à six mois d'emprisonnement et 30 000 € d'amende, et les vaccins sont exigés pour l'accueil des enfants dans des structures collectives, crèche ou école maternelle. On comprend donc que la France ait souhaité présenté des observations écrites devant la CEDH.

En l'espèce, six requérants ont introduit des recours devant la Cour, entre 2013 et 2015. L'un d'entre eux a été condamné à une amende parce qu'il n'avait pas fait vacciner ses enfants. Les cinq autres se sont vu opposer un refus d'inscription de leurs enfants à l'école maternelle. Aucun n'a pu obtenir des juges une annulation de ces décisions et ils estiment que cette obligation vaccinale porte atteinte à leur vie privée, ajoutant que la sanction leur paraît disproportionnée par rapport à l'objectif de santé publique poursuivi.

 

Le vaccin et ses conséquences 


On observe ainsi que les requérants se plaignent essentiellement des conséquences du manquement à l'obligation vaccinale. Ils ne contestent pas directement cette obligation, alors même que leur refus de faire vacciner leurs enfants résultait d'un choix délibéré qu'ils ont pleinement assumé. C'est sans doute la raison pour laquelle la CEDH refuse de se situer sur le seul terrain de la sanction, affirmant que "les conséquences subies par les requérants ne peuvent pas réellement être dissociées de l’obligation sous-jacente". 

Depuis l'arrêt Solomakhin c. Ukraine du 12 mars 2013, la Cour reconnaît que la vaccination obligatoire, en tant qu’intervention médicale non volontaire, constitue une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée. Dans le cas présent, il est vrai que les enfants n'ont pas été vaccinés, mais, par extension, le fait qu'ils n'aient pu être scolarisés dans une école maternelle constitue aussi une ingérence dans leur vie privée, et celle de leurs parents.

 

 

Papa pique et Maman coud. Charles Trenet

 

La vaccination : un "besoin social impérieux"

 

Sans doute, mais la Cour considère cette ingérence dans la vie privée pleinement justifiée. Elle met en oeuvre les critères développés par la Convention et s'assure que cette ingérence est "prévue par la loi", qu'elle poursuit un "but légitime" et qu'elle est « nécessaire dans une société démocratique »

La première condition ne pose aucun problème, puisque l'obligation vaccinale est imposée par la loi tchèque sur la santé publique. La seconde pas davantage, car il s'agit de protéger la population contre des maladies graves.

Reste à se demander si l'ingérence est  "nécessaire dans une société démocratique", c'est-à-dire si elle "répond à un besoin social impérieux", formule employée notamment dans l'arrêt de Grande Chambre Dubská et Krejzová du 15 novembre 2016. La Cour répond de manière positive, en insistant toutefois sur le fait que, en matière de santé publique, les Etats sont les mieux placés pour apprécier le contexte de leur intervention, affirmation déjà formulée dans sa décision Hristozov et autres c. Hongrie du 13 novembre 2012.

Elle recherche ensuite s'il existe un consensus dans ce domaine entre les États membres du Conseil de l'Europe. Elle observe que les organismes internationaux, dont l'OMS, incitent les États à vacciner leur population, et à atteindre un taux le plus élevé possible de personnes vaccinées. Quant aux moyens d'y parvenir, les pratiques sont différenciées, certains États comme la République tchèque imposant une obligation, alors que d'autres procèdent par simple recommandation.

La Cour estime que chaque État peut procéder comme il l'entend, dès lors qu'il vise un objectif d'immunité collective. La vaccination obligatoire est donc l'un des moyens de répondre à ce "besoin social impérieux". Dans le cas des enfants, la légitimité d'un tel choix est renforcée par la référence à l'intérêt supérieur de l'enfant. La CEDH n'hésite pas à se fonder directement sur la Convention sur les droits de l'enfant, ratifiée par l'ensemble des États membres du Conseil de l'Europe. Son article 3 impose que l'intérêt de l'enfant soit poursuivi lors de toute décision le concernant. Elle rappelle cette règle dans une jurisprudence abondante, par exemple dans l'arrêt Neulinger et Shuruk c. Suisse de 2010.

 

La Covid-19 s'invite dans la décision

 

Bien entendu, cette décision est en principe sans rapport avec l'épidémie de Covid-19. Les requêtes ont été déposées il y a au minimum six ans, et le sujet porte sur la vaccination obligatoire des enfants. Mais il ne fait aucun doute que la CEDH pense aussi à l'actuelle pandémie. Certains passages de la décision prennent ainsi l'allure d'un véritable plaidoyer en faveur de l'obligation vaccinale. La Cour déclare ainsi : "Lorsqu’il apparaît qu’une politique de vaccination volontaire est insuffisante pour l’obtention et la préservation de l’immunité de groupe, ou que l’immunité de groupe n’est pas pertinente compte tenu de la nature de la maladie (...), les autorités nationales peuvent raisonnablement mettre en place une politique de vaccination obligatoire afin d’atteindre un niveau approprié de protection contre les maladies graves". 

Il ne fait aucun doute que les États sauront s'en souvenir, et certains, comme l'Italie, ont déjà imposé la vaccination obligatoire des soignants. D'autres pays useront peut-être de cette faculté, surtout lorsqu'ils sont confrontés à un lobby "anti-vaccin" suffisamment important pour faire échouer l'objectif d'immunité collective. Il ne reste plus qu'à espérer que les "antivax" liront cette décision.


 


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