« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 23 octobre 2020

Après l'Observatoire de la laïcité, passons à autre chose


Depuis l'assassinat du professeur Samuel Paty, différents groupements sont accusés de diffuser une idéologie prônant une nouvelle forme de relations entre les religions et l'Etat, idéologie plus proche du sécularisme américain que du principe de laïcité français, tel qu'il fut consacré par la loi du 9 décembre 1905. Ce texte fondateur vise à protéger l'Etat des ingérences des religions, principe essentiel à l'installation de la République, à une époque où les congrégations contrôlaient une large partie de l'enseignement secondaire et où l'"affaire des fiches" l'influence de l'église catholique dans la haute hiérarchie militaire. 

Aujourd'hui, le principe de laïcité est mis en oeuvre à travers un autre principe, celui du neutralité qui impose que le fait religieux soit tenu à l'écart des activités de service public. Aux Etats-Unis, le droit vise, à l'inverse, à protéger les religions contre les ingérences de l'Etat, principe d'autant plus puissant que le pays a été largement construit par des dissidents religieux chassés de leurs pays par les persécutions. Il s'agit alors de garantir aux différentes communautés le droit de pratiquer leur culte comme elles l'entendent. 

 

L'"apaisement", ou l'abandon de la laïcité

 

C'est précisément la vision de la laïcité développée par l'Observatoire de la laïcité depuis sa création, au mépris du droit français. Rappelons qu'il est né dans d'étranges conditions. Annoncée par Jacques Chirac dans un discours du 17 décembre 2003, sa création n'est intervenue qu'avec un décret du 25 mars 2007. Mais aucun membre n'est nommé durant la fin du mandat de Jacques Chirac ni durant celui de Nicolas Sarkozy. C'est finalement François Hollande qui procède à ces nominations le 5 avril 2013. A cette date, Jean Louis Bianco en est nommé président, et Nicolas Cadène, ancien assistant parlementaire de Jean-Louis Bianco, devient secrétaire général. Les 21 membres de l'Observatoire sont également désignés, parmi lesquels 4 parlementaires, et 7 hauts fonctionnaires représentant les administrations concernées. 

En donnant corps à l'Observatoire, François Hollande entend développer une politique d'"apaisement" dans un contexte particulier. En effet, l'Observatoire était resté lettre morte, parce qu'il faisait double emploi avec la "mission laïcité" créée en 2010 au sein du Haut Conseil à l'intégration (HCI). Mais voilà qu'en août 2013, cette mission a publié un rapport qui allait être son chant du cygne. Elle osait en effet suggérer le respect de la neutralité à l'Université, et demander l'interdiction du port de signes religieux dans les établissements d'enseignement supérieur. Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, décida alors de ne pas publier le rapport, censure tout-à-fait exceptionnelle et on laissait le HCI mourir de mort naturelle, en ne renouvelant pas les fonctions de ses membres. 

Dès lors, la mission de l'Observatoire était clairement définie : l'"apaisement", maître mot de son action, consistait en réalité à laisser s'effriter le principe de laïcité. Disons-le franchement, cet "apaisement" est très proche des "accommodements raisonnables", notion utilisée aux Etats-Unis. Avec l'Observatoire de, la laïcité est dotée d'adjectifs, elle est "ouverte", elle est "inclusive", mais elle n'est plus un principe contraignant. 

 

Respect des croyances v. Egalité devant la loi

 

Au nom du principe de non-discrimination, du respect des croyances, l'Observatoire tolère tout, ou à peu près tout. Et le principe de non-discrimination est ainsi invoqué pour mieux détruire l'égalité devant la loi.

Bien entendu, dès 2015, l'Observatoire s'est empressé de rendre un avis allant résolument à l'encontre de celui rendu en 2013 par le HCI. Il estime alors qu'il n'est « ni utile ni opportun de légiférer sur le port de signes religieux par les étudiants à l’intérieur des établissements d’enseignement supérieur publics". Enterrée donc la laïcité dans l'enseignement supérieur.

Même chose pour les jeunes faisant leur service national universel (SNU). L'Observatoire a estimé, dans une "étude" de janvier 2019, qu'ils pouvaient arborer des signes religieux, exiger dans les menus des internats " des plats contenant de la nourriture confessionnelle", invoquer le jeûne religieux pour être dispensé d'activités physiques etc. Autant dire que le principe de laïcité se trouvait totalement écarté dans une politique publique pourtant destinée à former des citoyens républicains. 

Pour l'école, l'Observatoire définit en 2014 une "Charte de la laïcité" dont il souhaitait qu'elle soit affichée dans les écoles. En 2015, il invite au "renforcement de l'enseignement moral", tout en affirmant que le principe de laïcité ne saurait être invoqué par les élus pour refuser de servir à la cantine des menus conformes aux exigences des différentes confessions. Autant dire que l'Observatoire n'a rien fait et s'est borné à quelques propos déclaratoires. Samuel Paty comme ses collègues confrontés à des élèves qui vivent tout rappel des droits de l'homme comme une agression contre leur religion, n'ont guère trouvé de réponses dans les travaux de l'Observatoire. Ils n'ont trouvé qu'abandon et incitation à ne pas faire de vagues. 

Cette tendance communautariste de l'Observatoire n'a certes pas fait l'unanimité. Certains de ses membres, en janvier 2016, demandaient déjà la démission de Nicolas Cadène, secrétaire général si peu ouvert au dialogue qu'une sorte de "club" de la laïcité s'est naturellement constitué sur les réseaux sociaux, regroupant les personnes "bloquées" par Nicolas Cadène. Sa pratique consiste en effet à couper toutes relations sur internet avec les personnes qui critiquent ses positions. Il est à l'évidence le maillon faible de l'institution, tant par son intolérance que pas ses liens assumés avec certaines personnalités de l'islam politique.

Mais le cas de Nicolas Cadène ne présente qu'un intérêt modeste. Son départ, très probable aujourd'hui, ne doit pas s'analyser comme une satisfaction symbolique donnée à ceux qui sont attachés à la laïcité. Il ne s'agit pas de trouver un fusible, mais de réformer l'Observatoire. Imagine-t-on que l'institution puisse continuer à fonctionner, alors que son président Jean Louis Bianco est sur la même ligne et que les membres respectueux du principe de laïcité ont depuis longtemps renoncé à siéger ? 


Dernière réunion de l'Observatoire de la laïcité

Choeur des trembleurs. Isis. Lully

Ensemble baroque Orféo. Eglise St Louis des Français. Rome. 2017


Une autorité indépendante


La solution la plus souhaitable est de supprimer une institution qui n'a pas su faire ses preuves et qui a perdu toute légitimité. Ses avis et rapports ne sont-ils pas désormais perçus comme l'expression d'un petit groupe d'idéologues souvent qualifiés d'"islamo-gauchistes" ? Une fois la suppression actée, il deviendrait possible de créer une autorité indépendante, et non pas une simple commission administrative, chargée, non pas de donner des avis ou d'organiser des colloques, mais de protéger effectivement la laïcité. 

Autorité indépendante, elle devrait être composée de personnes également indépendantes. Sans doute conviendrait-il d'écarter les parlementaires dans ce type d'institution, leur fonction étant de voter la loi et de contrôler le gouvernement. Devraient également être écartés les fonctionnaires nommés en raison de leurs fonctions et placés dans un rapport hiérarchique au sein d'un département ministériel. En d'autres termes, l'autorité indépendante doit l'être réellement indépendante, tant à l'égard du pouvoir législatif que du pouvoir exécutif. 

Autorité indépendante, elle devrait aussi refléter le pluralisme des courants d'opinion. Outre les personnalités qualifiées pour leur connaissance des questions de laïcité, il conviendrait certainement d'associer des représentants des différentes confessions.

Cette nouvelle autorité serait consultée sur les textes relatifs à la laïcité, pourrait proposer des réformes dans ce domaine, notamment pour assurer la cohérence du droit positif. Est-il normal, par exemple, que les élèves des classes préparatoires des lycées se voient interdire le port du voile, alors que celles de l'Université en sont dispensées ? Est-il normal qu'une femme qui accompagne une sortie scolaire ne soit pas considérée comme participant directement au service public ? Voilà des questions qui méritent d'être sérieusement posées, par une institution chargée de mener à bien une réflexion sereine. Au parlement ensuite de donner suite, ou pas, aux suggestions.

Surtout, cette autorité pourrait, un peu à l'image du Défenseur des droits, recevoir des plaintes, notamment celles des fonctionnaires, enseignants, travailleurs sociaux ou médicaux notamment, qui estiment ne pas recevoir de soutien de leur autorité hiérarchique alors qu'ils subissent des menaces parfois physiques. Une procédure simple et dématérialisée, sorte de "signalement" sur une plateforme internet, permettrait à l'autorité de diligenter une enquête et de saisir directement le procureur lorsqu'elle constate une infraction, notamment l'outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique. La procédure ne serait ainsi pas retardée par les éventuels atermoiements de supérieurs hiérarchiques.

De la même manière cette autorité pourrait, cette fois à l'image de la CNIL, rédiger, en liaison avec les professionnels des différents secteurs, des "lignes directrices" définissant les méthodes de traitement des différents types d'atteintes à la laïcité susceptibles d'intervenir.

D'une manière plus générale, cette nouvelle autorité devrait faire rigoureusement le contraire de ce qu'a fait, pendant de trop nombreuses années, l'Observatoire de la laïcité. L'objet essentiel était d'empêcher tout débat sur l'islam politique. Elisabeth Badinter, tant de fois insultée par Nicolas Cadène, avait parfaitement analysé la stratégie de l'Observatoire :  « On ferme le bec de toute discussion sur l'islam en particulier ou sur d'autres religions avec la condamnation absolue que personne ne supporte : "Vous êtes raciste ou vous êtes islamophobe, taisez-vous !" Et c'est cela que les gens ne supportent plus : la peur, pour des gens de bonne foi, qu'on puisse penser que vous êtes raciste ou anti-musulman fait que vous vous taisez". Il s'agit au contraire aujourd'hui d'ouvrir le débat, et c'est précisément ce que l'Observatoire de la laïcité n'a jamais su faire. Alors, oui, passons à autre chose.


Sur le principe de laïcité : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 10, sections 1 et 2.


4 commentaires:

  1. La déconstruction systématique de la laïcité par nos gouvernants successifs qui feignent hypocritement de découvrir subitement l’ampleur du phénomène - que vous décrivez parfaitement - se situe à la confluence de plusieurs politiques :

    - La politique dite du chien crevé au fil de l’eau, variante de l’aphorisme d’Henri Queuille : « Il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout ». Le problème est que les citoyens qui n’entrevoient pas de solution crédible à leurs problèmes quotidiens finissent par être à bout.

    - La politique des comités Théodule destinée à masquer un problème par la création d’une structure dont la gestion est confiée soit à un ami (pour le flatter), soit à un adversaire (pour le neutraliser). Structure dont la composition est problématique et dont la gestion peut conduire à vider de substance la norme qu’elle est censée mettre en œuvre.

    - La politique de l’apaisement dont les accords de Münich constituent la meilleure illustration. Son résultat fut parfaitement résumé par la formule célèbre de Winston Churchill : « Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre ». Comme dirait l’autre, ceci commence à ressembler à une nouvelle guerre qui s’ajoute à celle contre un virus microscopique et incontrôlable.

    - La politique de la duplicité qui consiste pour une personne à jouer double jeu. Ce que le chef de l’État a conceptualisé sous le vocable du en même temps. Dans le langage commun, cela s’appelle faire tout et son contraire pour de vils calculs politiciens. « Dans le Petit Paris des ambitions, le contorsionnisme fait partie des disciplines homologuées » (L’envers du décor, Jean-Pierre Jouyet, Albin Michel, page 64). Cela commence à se voir comme le nez au milieu de la figure.

    Le pays de Descartes marche aujourd’hui sur la tête. À trop s’appuyer sur les principes, ils finissent par céder. À ceci près que le peuple - dont l’article 2 de la Constitution de 1958 prévoit que le principe de la République est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple - commence à manifester une certaine irritation, tournant son regard vers les extrêmes. Qui sait Jupiter, une révolte pourrait se transformer en révolution. Sait-on jamais ! Il est grand temps de passer à autre chose de plus sérieux, à changer de cap pour mettre les actes en harmonie avec les principes.

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  2. Je suis toujours étonné de ces intellectuels qui fixent des limites arbitraires à des principes fondateurs.
    Que veut dire une laïcité à la Française par exemple ?
    Il n'y a qu'une laïcité et elle est très simple à comprendre et à appliquer.
    La laïcité c'est simple:
    - l’État ne s'immisce pas dans les affaires de conscience (sauf pour l'ordre public et de façon proportionnée au risque et avec discernement surtout c'est à dire avec raison et prudence) ;
    - Le citoyen quant à lui est libre de ces croyances et donc, de facto, libre de les afficher (sinon on réduirait la liberté à la sphère privée, ce qui n'est plus une liberté) ;
    - Ce sont les actes du fonctionnaires qui doivent être neutre d'un point de vue convictionnel dans ces fonctions ;
    - Les fonctionnaires sont citoyens même quand ils sont fonctionnaires et cet état de citoyen prime sur celui de fonctionnaire. Ce n'est donc en aucun cas le fonctionnaire lui-même pas plus que ses vêtements ou ce qu'il porte (affiche) sur lui qui est contraint à cette neutralité y compris dans ces fonctions. Cette liberté du fonctionnaire n'est en aucun cas qu'une menace sur la laïcité de l'état lil est une l'affichage de la laïcité même de L’État, une garantie de non parti pris par l’État ;
    - La laïcité n'est en aucun cas l'athéisme (l'athéisme c'est ne pas croire en un dieu sujet à un culte ou un dogme mais c'est une croyance en soi) ou l'agnosticisme (L'agnosticisme est une vision de l'esprit sans fondement ontologiquement possible car ne pas croire est impossible toute perception, toute connaissance reposent sur des croyances même en science).
    On ne peut transiger sur un principe fondateur car alors on le perverti et on l'expose à toutes les interprétations et tous les aménagements possible.
    Quel est ce plaisir masturbatoire bien français et bien laïcard de toujours discuter des principes au nom de leur juste interprétation en les remettant en cause de facto ? Ce genre de débat ne sert qu'à justifier des limites arbitraires à ces principes et donc à justifier leur non respect.
    Le séparatisme pour reprendre le concept macronnien (manipulateur) vient non pas des Musulmans (stigmatisés) mais bien des Français qui ne cessent de les montrer du doigt. Ce sont les Français qui crée le problème musulman pas les Musulmans. Et c'est ce poids mis sur les épaules des Musulmans (et assimilés) qui fait que des fanatiques psychopathes isolés (les fanatiques terroristes ont disparu avec l'EI n'existe plus -et ce grâce uniquement à la Syrie et la Russie) trouvent prétexte de l'Islam pour commettre leur crime. Ces crimes ne sont pas nombreux et sont courants sous d'autres prétextes sans qu'on en parle puisque pas du fait de Musulmans. Faire des psychodrames de ces non-actes-terroristes tout en mettant toujours en demeure les Musulmans de se convertir à la république et au laïcisme chrétien français ne fait qu'ajouter frustration à frustration sur cette communauté et singulièrement sur des personnes fragiles aux tendance psychopathes. La France pousse à l'acte fanatique sous prétexte d'islam. Une telle hystérie n'existe d'ailleurs qu'en France.
    C''est la France et les français bien blancs qui ont un problème de racisme, d'égalité, de liberté, de fraternité et de laïcité et, mis à part quelques malades décérébrés, ce ne sont pas les Musulmans et certainement pas dans leur ensemble.
    Et un Islam à la Française... (imposée par les Français blancs-bleus-rouges) ça veut dire quoi au fait ?
    Français, parlez moins du, faux, "problème musulman", il est tellement présent dans vos esprits de français blanc-bleu -rouge que vos cerveaux en sont tellement envahis Ces considérations devenues fétides à force de complaisance à les ruminer, vous ont fait perdre tout discernement et rendu gravement racistes sans que vous ne vous vous rendiez comptes.

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    1. Vous avez bien appris votre catéchisme

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  3. Monsieur Montulet (je ne doute pas que cela soit votre vrai nom)-Votre commentaire et surtout vos quatres derniers paragraphe me paraissent necessiter un signalement Pharos.

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