« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


samedi 15 octobre 2016

Le Palais Royal communique

La communication s'insinue partout, y compris place du Palais-Royal. En l'espace de quelques jours, on a vu le vice-président du Conseil d'Etat répondre à une interview dans Le Figaro, le 4 octobre, avant de procéder à la nomination d'une "porte-parole" de cette institution. Madame Suzanne von Coester, rapporteur public près de la section du contentieux a été désignée comme première titulaire de ce poste nouvellement créé. 

Cette démarche de communication ne doit pas être confondue avec une autre approche, visant à rendre les décisions rendues plus accessibles, plus lisibles au commun des mortels. Ce faisant, le Conseil d'Etat ne fait qu'adapter à ses décisions le principe de clarté et de lisibilité qui existe déjà en matière législative et qui a été déjà consacré par le Conseil constitutionnel. En même temps, la  communication n'est pas nécessairement absente de ces réformes.

Des chambres succèdent aux sous-sections


C'est ainsi que les "sous-sections" du contentieux sont désormais qualifiées de "chambres" depuis la loi du 20 avril 2016. Le vocabulaire est celui de l'ordre judiciaire, plus accessible et mieux connu des justiciables. Certes, mais on peut aussi y voir une volonté du Conseil d'Etat de s'affirmer une nouvelle fois comme juridiction. Il s'agit aussi de faire oublier une histoire marquée par les difficultés rencontrées par les fonctions contentieuses pour se détacher des fonctions administratives de conseil du gouvernement. De fait, l'effort de clarification est réel, sans pour autant être entièrement détaché de la communication. 

La rédaction des arrêts


Tel n'est pas le cas, en revanche, de l'effort réalisé en faveur d'une meilleure compréhension des décisions de justice. Une réflexion fut engagée en 2010 sur la rédaction des arrêts. Le rapport du groupe de travail présidé par Philippe Martin a été publié en 2012, et il a été décidé de procéder à une expérimentation.

C'est sur cette base que, le 17 juillet 2013, les juges du Palais Royal ont opéré une véritable "révolution", formule choisie par l'Actualité juridique droit administratif, journal souvent prompt à saluer les initiatives du Conseil d'Etat. Pensez donc ! Dans cinq arrêts du même jour, le juge supprimait le célèbre "Considérant que (...)", formule rituelle marquant le début de chaque paragraphe des arrêts du Conseil d'Etat. Le "Considérant que (...)" était en effet au juge administratif ce qu'était l'"Attendu (...)" au juge judiciaire. Un mythe. 

A la suppression du "Considérant que (...)" s'ajoutait un bouleversement du style. Adieu les abominables points-virgules ponctuant le paragraphe. On voulait numéroter les paragraphes, promouvoir des phrases courtes et même faire figurer la jurisprudence antérieure, dans le but de mieux expliquer la motivation de l'arrêt à la fois au requérant et aux commentateurs. Et il est vrai que ce n'était pas inutile, tant il est vrai que l'obscurité des décisions pouvait parfois être analysée comme un hommage discret à l'imagination de la doctrine. 

Tout cela est bel et bon, mais force est de constater que la réforme s'est un peu égarée au milieu des colonnes de Buren. La plupart des décisions publiées aujourd'hui reprennent le "Considérant que (...)" et renouent avec les anciennes pratiques. On a donc bien communiqué sur la réforme mais, pour le moment, elle n'est pas réellement appliquée, sans que l'on sache les raisons de cet abandon. Les conseillers d'Etat éprouveraient-ils des difficultés à changer de style ? Ou s'agissait-il d'une simple opération de communication ? 


Tu parles trop. Eddy Mitchell et les Chaussettes Noires. 1961

Le rôle de la porte-parole


Aujourd'hui l'approche de communication est encore plus clairement assumée. On peut s'interroger sur le contenu des fonctions de la nouvelle porte-parole du Conseil d'Etat. Il ne fait guère de doute qu'elle sera chargée d'expliquer la jurisprudence et d'insister sur l'importance qu'il convient d'attribuer à certains arrêts. Là encore, le choix des arrêts ayant l'honneur d'une communication ne sera pas neutre, et le Conseil d'Etat préfèrera insister sur ceux qui lui permettent de se présenter comme le "gardien des libertés publiques", formule chère à la plupart des auteurs de manuels de droit administratif. 

Il est vrai que cette fonction était déjà exercée par les Grands Arrêts, publiés annuellement, mais la diffusion demeurait limitée aux spécialistes du contentieux administratif. La porte-parole pourra désormais s'adresser directement aux journalistes toujours heureux de disposer d'une analyse juridique clé en main. Il ne s'agit donc plus de faire connaître les décisions du Conseil d'Etat dans les milieux spécialisés mais d'en assurer la diffusion dans les médias en leur fournissant des éléments de langage.

Communication et fragilité des décisions


C'est précisément l'exercice auquel s'est livré le vice-président du Conseil d'Etat lui-même, dans l'interview accordée au Figaro sur la jurisprudence relative au burkini. On ne reviendra pas sur les arguments avancés, tant ils sont désormais connus. Tout au plus peut-on être surpris de lire que la question de la soumission de la femme qu'implique le port du burkini est "empreinte de subjectivité", d'autant que "dans bien des cas, il résulte d'un choix volontaire". Doit-on en déduire que le Conseil d'Etat a fait une erreur de sanctionner le lancer de nain dans l'arrêt Morsang-sur-Orge, dès lors que le malheureux nain était parfaitement d'accord pour être lancé ? Quoi qu'il en soit, le plus important n'est pas dans le contenu, mais dans l'existence même de cette opération de communication.

Le journal n'hésite pas à affirmer que le vice-président du Conseil d'Etat "défend" cette jurisprudence.  Une ordonnance rendue par la juridiction suprême de l'ordre administratif aurait donc besoin d'être "défendue" ? N'est-elle donc pas en mesure de se défendre elle-même par la simple limpidité de son raisonnement ?

La communication a toujours deux faces. D'un côté, elle permet de faire connaître, d'expliquer une décision, mission déjà largement remplie par les communiqués de presse joints à chaque arrêt jugé important. De l'autre côté, elle vise à défendre, à justifier, une décision discutée ou mise en cause dans la doctrine ou dans les médias. D'une certaine manière, le Conseil d'Etat risque ainsi d'être victime d'une nouvelle forme d'effet Streisand qui veut que celui qui se plaint d'une divulgation de données personnelles sur internet voit immédiatement les consultations grimper. En communiquant de manière aussi insistante sur certaines décisions, le vice-président du Conseil d'Etat fait apparaître, en creux, leur fragilité. 

3 commentaires:

  1. oui bien sûr, une décision comme celle du burkini fondée sur une jurisprudence incontestée depuis 1933 est "fragile"...

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  2. L'HONNEUR DE DEPLAIRE

    Bravo pour votre initiative qui met le doigt sur une problématique qui n'intéresse guère les médias si préoccupés par d'autres sujets d'une plus haute importance ("Bob Dylan mérite-t-il le prix Nobel de littérature ? " et autres derniers résultats sportifs du PSG).

    1. Cette initiative du Palais-Royal (le Conseil d'Etat, pas la comédie française) se mettant au goût du jour de la communication est présentée aux gogos comme une forme de modernisme. Mais qu'est ce que communiquer ? "C'est chercher à plaire..., c'est être dans l'instant..., c'est paraître" (Patrick Buisson, La cause du peuple, Perrin, 2016, page 137). Nous en avons un exemple éclairant avec les dernières révélations du président de la République à des journalistes du Monde ainsi que sur ses dommages collatéraux sur la Justice. Le Conseil d'Etat aurait donc besoin de justifier l'injustifiable, d'expliquer l'inexplicable. On se perd en conjectures alors même que nous savons que tout ce qui se conçoit bien s'énonce clairement.

    2. Cette initiative du Palais-Royal sonne comme un aveu d'impuissance ou de faiblesse émanant d'une structure frégoli : un jour conseil de l'Etat et un autre juge de l'Etat. Une structure qui baigne dans le marécage de la duplicité et du mensonge d'Etat. Ondoyante, fluctuante, versatile alors qu'elle devrait assumer rigueur, constance et cohérence.

    3. Cette initiative du Palais-Royal démontre où la vanité ne va-t-elle pas se nicher ? Si l'exercice de communication salutaire que l'on nous annonce était sincère, il devrait conduire à des séances publiques de débat contradictoire avec les professionnels du droit qui ne se rangent pas à la doxa du Conseil d'Etat. Il ne faut pas rêver. Le président de la section du contentieux (il est vrai que, désormais, il gardera la chambre du même nom) ne prend même pas la peine de répondre au citoyen qui le met face à ses contradictions et à ses incohérences en cas de déni de justice ! En réalité, tout n'est que parole vaine.

    Voilà à quelles étranges extrémités aboutit le Conseil d'Etat par manque de courage et d'impartialité ! Lui fait défaut la qualité essentielle chez un magistrat : l'honneur de déplaire (André Giresse, Seule la vérité blesse. L'honneur de déplaire, Plon, 1987).

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  3. Gnouf, chère petite chose ! Je Me porte bien. Didonque, ton post, là, il ne manquerait pas quelque chose, nom d’une Raquette ? Ou alors tu es d’une grande indulgence avec la communication du Conseil d’Etat ? Car le Vice-Président serait-il comme un Grand Inquisiteur qui commande la doctrine de la loi ? Il évoque les « décisions » sur le burkini. Mais, n’aurais-tu pas dit toi-même qu’il ne s’agissait que d’ordonnances, sans autorité de chose jugée ? Les décisions sur le fond ne sont pas rendues, et le vice président les commente à l’avance ? Il préjuge des arrêts à venir, alors même qu’il ne participera pas à la délibération ? A quoi va servir la procédure qui reste en cours ? Les rapporteurs publics, les membres de la chambre qui vont se prononcer conservent-ils une quelconque liberté de jugement, dès lors que le Maître a parlé ? La messe est dite !

    Ne s’agira-t-il pas d’une mascarade, on feindra de délibérer pour rendre une décision rédigée à l’avance, indépendamment de tout contradictoire ? Imagine-t-on des juges qui fassent connaître leur décision avant le procès ? Uhuhuhuhuh…u. Une mesure d’urgence devient-elle automatiquement définitive ? Alors les requérants n’auront droit qu’à un examen sommaire de leur recours ? Au fond, on pourrait se passer du Conseil d’Etat, gagner du temps et de l’argent, il suffirait de téléphoner au Vice-Président pour connaître la réponse. On se demande ce que penserait la Cour européenne des droits de l’homme de cette belle manifestation d’impartialité, objective ou subjective comme on voudra.

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