Définir l'espace du contrôle
Rappelons que la loi du 21 juillet 2016 met en place une procédure en trois temps.
- Au moment de la perquisition, les agents qui en sont chargés peuvent accéder aux données contenues dans les ordinateurs, téléphones, tablettes trouvés sur place.
- Si ce premier coup d'oeil révèle des informations en rapport avec une menace pour la sécurité et l'ordre publics (par exemple, numéro de téléphone de personnes fichées S ou traces de consultation de sites djihadistes etc...), ils peuvent alors prendre copie de ces données ou les saisir.
- Enfin l'administration va demander au juge des référés du tribunal administratif l'autorisation d'exploiter ces données, autorisation que le juge accorde ou refuse dans un délai de 48 heures.
C'est précisément ce que fait le juge des référés du Conseil d'Etat, intervenant en appel.
Le préfet du Var avait demandé en vain au juge des référés du tribunal administratif de Toulon d’autoriser l’exploitation des données contenues dans le téléphone portable de M. B. A., saisi lors de la perquisition administrative réalisée le 29 juillet 2016 au domicile de ce Tunisien en situation irrégulière. La décision rendue le 2 août 2016 est malheureusement introuvable, le dernier jugement mentionné dans les "actualités" du site du tribunal administratif de Toulon remontant à septembre 2015. De l'ordonnance rendue par le Conseil d'Etat, on peut néanmoins déduire que le juge toulonnais avait considéré que les éléments invoqués par l'administration ne permettaient pas de préciser la menace que représentait le propriétaire du téléphone pour l'ordre public. Il avait donc refusé l'autorisation demandée.
Le juge des référés du Conseil d'Etat donne cette autorisation, et marque clairement l'étendue de son contrôle ainsi que celle des prérogatives de l'administration.
Contrôle des motifs
En l'espèce, le juge administratif affirme un contrôle très étendu des motifs de la décision, dans le droit fil de celui qu'il exerce dans d'autres domaines de mise en oeuvre de l'état d'urgence. Dans une ordonnance du 22 janvier 2016 Halim A., le juge des référés du Conseil d'Etat n'hésite pas à suspendre une assignation à résidence qui lui semble reposer sur des motifs trop fragiles.
La situation est plus délicate en matière de perquisition, tout simplement parce que le contrôle ne peut intervenir qu'a posteriori, au moment où la visite domiciliaire est terminée. La condition d'urgence nécessaire à un référé fait donc nécessairement défaut. Dans sa décision du 19 février 2016, celle-là même qui a imposé une nouvelle intervention du législateur pour organiser la copie des données informatiques, le Conseil constitutionnel a estimé que cette situation ne porte pas atteinte au droit à un recours effectif. Aux yeux du Conseil, ce droit est suffisamment garanti par l'action en responsabilité que peut toujours engager la victime d'une perquisition abusive. S'il est impossible d'empêcher une perquisition, au moins est-il possible de réparer le dommage éventuel qu'elle peut causer.
En l'espèce, le juge affirme un contrôle étendu, proche sur ce point de celui exercé en matière d'assignation à résidence ou de dissolution d'un groupement. Dans sa décision du 5 août 2016, il prend soin d'énumérer les motifs invoqués. La perquisition avait ainsi révélé que l'appareil saisi contenait des vidéos salafistes et des contacts avec des individus ayant rejoint Daesh dans les zones de combat en Syrie et en Irak.
Possibilité d'enrichir le dossier en appel
En même temps qu'il accroît son contrôle, le juge administratif autorise l'administration à enrichir son dossier en appel. En l'espèce, le juge tient compte des procès verbaux de perquisition qui montrent que l'intéressé a reconnu que l'un de ses frères est mort en Irak en 2014, en commettant un attentat suicide pour le compte de Daesh. En outre, le ministre produit en appel une note blanche faisant état de liens de l'intéressé avec un ressortissant allemand ayant participé à différents projets d'attentats en 2015, et désormais parti en Syrie.
"La vérité est censée être le résultat d'une longue enquête, mais est-ce que nous ne percevons pas une sorte de vérité crépusculaire avant toute enquête ?" (Alexandre Soljenistsyne, Le premier cercle, Robert Laffont, 1972, page 329).
RépondreSupprimerSi convaincante juridiquement et si séduisante intellectuellement soit elle, votre démonstration ne parvient pas à lever certains doutes qui planent autour des garanties (ou de l'absence) de garanties que confère au citoyen cette procédure.
- Doutes sur l'impartialité du juge. Hasard ou coïncidence, ceux que la loi qualifie de juge (magistrat du tribunal administratif et de la cour administrative d'appel) donnent raison à la personne suspectée d'activité terroriste alors que ceux que la même loi affuble du titre peu enviable de membre d'une juridiction (du Conseil d'Etat) et non de magistrat donnent raison à l'administration. Qui est le juge indépendant et impartial en dépit d'un contrôle très étendu des motifs ?
- Doutes sur la présomption d'innocence. Manifestement, la personne poursuivie est gratifiée, de facto si ce n'est de jure, d'une présomption de culpabilité alors même que l'administration dispose ab initio d'une présomption d'innocence. Est-cela le respect de l'égalité des armes ?
- Doutes sur l'équité du procès. Face à un citoyen qui n'a que sa parole et sa bonne foi à opposer (imaginons un instant le cas des innocents qui pourraient faire l'objet de poursuites en raison d'une conjonction de malencontreux hasards) à une lettre de cachet (une note blanche des services nécessairement anonyme dont on ne connait rien des sources humaines et techniques qui la motivent). Par ailleurs, qui peut garantir qu'un matériel informatique n'ait pas été piraté pour les besoins de la cause ? Est-cela un procès équitable au sens de l'article 6 de la CEDH ?
De là à dire que la justice judiciaire offrirait de meilleures garanties au citoyen que la juridiction administrative, il y a un grand pas que je ne franchirai pas. L'attitude pour le moins ambigüe du procureur de Pontoise dans l'affaire du décès d'Adama Traoré donne à réfléchir si ce n'est à se poser quelques questions embarrassantes sur le déroulement de l'interpellation.
Dans le climat actuel de surenchère sécuritaire permanente que nous connaissons actuellement et qui s'explique pour des raisons évidentes, le risque est grand que nos décideurs "préfèrent commettre une injustice plutôt que tolérer un désordre" (Goethe).