Liberté Libertés Chéries ouvre le débat sur le projet de révision visant à introduire l'état d'urgence dans la Constitution. Aujourd'hui, la parole est donnée à Vincent Souty, docteur en droit, juriste au Cabinet Eden Avocats. Il est l'auteur d'une thèse portant sur "la constitutionnalisation des pouvoirs de crise : essai de droit comparé", soutenue le 31 janvier 2015.
Le Président de la république a annoncé sa
volonté de réformer la Constitution en vue de réviser les
différents régimes de pouvoirs de crise.
Si l'on peut mettre en doute de la légitimité
démocratique d'une révision faite à la va-vite qui serait tout,
sauf anodine, le constat dressé par le Président est exact.
L'article 16 de la Constitution, notamment, n'est pas adapté car il
est beaucoup trop permissif et ne respecte en aucune manière
les standards internationaux dégagés ces dernières décennies en
matière de pouvoirs de crise.
Pour le dire autrement, et si l'on s'en tient à
l'espace formé par les États soumis à la juridiction de la Cour
européenne des droits de l'Homme ou à celle de la Cour
interaméricaine, l'article 16 de la Constitution de 1958 constitue
une anomalie contraire à l’État de droit, et quasi unique en son
genre.
Dès lors, et quitte à proposer une réécriture
de cet article, autant l'engager en toute connaissance de cause et
essayer de se conformer, une fois n'est pas coutume, au régime
international de l'état d'exception. Et pour cela, il n'est pas
inutile d'aller voir ce qui peut se faire à l'étranger.
Il faut espérer que, si le Constituant se saisit
réellement de la question, il ne se contente pas d'une vague
relecture du rapport rendu par le Comité Balladur. Ce dernier
n'apporte en effet à la question des pouvoirs constitutionnels de
crise, aucun élément nouveau de réflexion et apparaît aujourd'hui
à peu près totalement inutile.
La présente contribution se propose de soulever
quelques éléments de réflexion à propos d'un hypothétique nouvel
article 16. Il ne s'agira que de présenter quelques uns des points
les plus importants qui devraient être soumis à la réflexion du
Constituant français. Les suggestions présentées ici sont
inspirées par des exemples étrangers.
I - Le Jus ad tumultum, ou la mise en oeuvre de l'état d'exception
D'abord, il apparaît nécessaire d'implique le Parlement dans la mise en oeuvre d'un état d'exception. Deux choix sont envisageables : lui donner un rôle de premier plan en lui conférant le pouvoir d'autoriser a priori la mise en oeuvre de l'état d'exception ou, au moins, lui donner le rôle de ratifier, dans un bref délai, le déclenchement, à peine de caducité.
Prévoir un contrôle de constitutionnalité de la
décision de mettre en œuvre l'état d'exception n'est pas
inenvisageable même si cela ferait pousser des cris d'orfraie aux
thuriféraires d'un exécutif fort. Le fait est qu'un tel contrôle
est prévu en Colombie, Équateur, République dominicaine et
Slovaquie et qu'il a permis à la Cour constitutionnelle colombienne
d'effectuer un tel contrôle qui a réduit drastiquement le recours à
l'état d'exception par l'exécutif.
La durée de mise en œuvre des pouvoirs de crise
doit être dès le départ définie et brève. Une prorogation doit
être possible sous réserve d'une approbation préalable du
Parlement, qui voterait selon le système de l'« escalier
super-majoritaire » que Bruce Ackerman a emprunté à la
Constitution sud-africaine : à chaque nouvelle prorogation, une
majorité de plus en plus importante de Parlementaires est requise.
Cela permet de s'assurer que la nécessité de mettre en œuvre
l'état d'exception est largement partagée.
Enfin, même si une telle précision peut paraître
anecdotique, imposer aux autorités de notifier la mise en œuvre
d'un état d'exception auprès de l'ONU (au titre de l'article 4 du
PIDCP) et du Conseil de l'Europe (au titre de l'article 15 de la
Convention européenne), à peine de caducité de l'état d'exception
apparaît comme un bon moyen de s'assurer du bon respect de nos
obligations internationales (c'est le cas en Équateur notamment).
À
ce titre, on remarquera qu'à ce jour, aucune notification n'a été
transmise, ni à l'ONU, ni au Conseil de l'Europe à propos de l'état
d'urgence. Or, en 2005, le gouvernement avait pris bien soin de notifier, trois mois trop tard néanmoins, la mise en oeuvre de l'état d'urgence auprès du Secrétariat général de l'ONU, mais rien n'avait été fait auprès du Secrétariat général du Conseil de l'Europe...
|
Etat de siège. Costa Gavras. 1973 |
II - Le Jus in tumultu, ou que peut-on faire durant un état d'exception ?
Avant tout chose, et c'est l'un des points
fondamentaux que l'on retrouve dans quelques constitutions : les
mesures adoptées ne doivent pas avoir vocation à perdurer ;
elles sont temporaires. On ne doit pas pouvoir légiférer dans le
temps en période exceptionnelle. Il faut donc prévoir la caducité
automatique des mesures adoptées sous l'empire d'un état
d'exception (c'est le cas en Allemagne, au Brésil, Chili, à Chypre,
en Finlande, Grèce, Hongrie, au Liechtenstein et au Monténégro).
S'il n’apparaît pas spécialement efficace de
lister une série de droits auxquels il peut être dérogé, en
revanche, la technique des droits indérogeables, dès lors qu'elle
s'impose au surplus en vertu de nos obligations internationales
devrait être modifiée. Il devrait être explicitement précisé que
rien ne pourrait justifier des atteintes ou des restrictions au droit
à la vie, à l'interdiction de la torture et des traitements
inhumains ou dégradants, de l'esclavage, à la prohibition des
discriminations, au respect du principe de légalité des délits et
des peines.
Surtout, des garanties juridictionnelles doivent
être prévues : dans les États latino-américains, la
Constitution prévoit ainsi qu'il n'est pas possible de porter
atteinte aux recours en habeas corpus,
qui est ainsi considéré comme un droit indérogeable.
Le rôle des organes non bénéficiaires des
pouvoirs de crise doit en outre être précisé. Au premier chef,
bien évidemment le Législateur ; il apparaît important de
clarifier ainsi les relations avec l'exécutif (une motion de censure
est-elle envisageable?).
Mais les autres organes de l’État ne doivent
pas être mis de côtés : le statut des juges, des
autorités constitutionnelles ou administratives (Défenseur des
droits, Contrôleur général des lieux de privation de liberté)
sous l'empire d'un état d'exception doit être garanti. Quelques
constitutions, notamment en Amérique latine, confortent le rôle de
la Defensoría del Pueblo
(c'est le cas en Bolivie).
Il peut être également utile d'évoquer les
mandats électifs : peuvent-ils être prorogés ? Il n'est
pas toujours facile d'organiser une élection en des temps troublés.
En guise de conclusion...
Par définition, il est inconcevable d'imaginer
vouloir enserrer l'exception dans un ensemble normatif, aussi
détaillé soit-il. Le meilleur régime juridique imaginable peut
être détourné et les exemples sont légions, en Europe comme en
Amérique.
La meilleure arme contre un pouvoir qui
deviendrait oppressif reste la résistance à l'oppression,
solennellement proclamée dans les grandes déclarations
révolutionnaires du XVIIIe siècle.
Pour autant, si l'on accepte le principe même de
pouvoirs constitutionnels de crise, mieux vaut s'entourer de
garde-fous afin d'essayer d'assurer, autant que faire se peut, que
des abus de seront pas commis.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire