Le débat s'est cependant concentré sur la question de l'atteinte à la souveraineté qu'implique, ou non, cette convention. Pour les sceptiques, elle emporte une telle atteinte, dans la mesure où la Convention est le produit de la réflexion conjuguée de fonctionnaires internationaux de l'ONU et de membres des ONG qui ont directement participé à sa rédaction. En cas de ratification, ils craignent que ce texte fonde certaines décisions de juges internationaux, imposant à l'administration américaine des charges financières nouvelles, par exemple pour assurer la circulation des personnes handicapées en fauteuil dans l'espace public. Pour toutes ces raisons, le Sénat a estimé que la Convention constitue une ingérence dans les affaires spécifiquement américaines, relevant de la compétence exclusive du Congrès. Et c'est bien là le motif essentiel du refus de sa ratification.
Un droit international non démocratique
A partir de cet exemple, les auteurs développent une vision extrêmement critique d'un droit international non démocratique, car dépossédant les autorités de l'Etat qui, elles, reposent sur le principe démocratique. Cette analyse suscite l'intérêt, surtout si on considère le domaine particulier des droits de l'homme. Les grandes conventions récentes, comme par exemple celle de Rome sur la Cour pénale internationale, n'ont elles pas été négociées largement par des représentants des ONG ? Ces mêmes ONG ne sont elles pas amenées à intervenir de plus en plus devant les juridictions internationales, comme parties ou à titre d'amicus curiae ?
Sous l'influence de ces acteurs nouveaux, on voit se développer l'idée qu'il existe un ensemble de normes de droit international qui sont supérieures à la Constitution des Etats. Peu importe qu'ils n'aient pas signé et ratifié une convention, les juges internationaux considèrent désormais que son contenu normatif peut s'imposer à eux. C'est précisément ce qu'a fait la CIJ dans l'affaire Hissène Habré, le 20 juillet 2012, en considérant que l'interdiction de la torture a acquis le caractère de norme impérative par rattachement au "jus cogens", c'est à dire finalement par la seule volonté du juge. La Cour a aussi considéré que cette convention imposait aux parties une obligation erga omnes, quand bien même elles n'avaient pas de préjudice spécifique à faire réparer. La Cour l'a fait sur une base juridique prétorienne, sans même donner aux parties à la convention l'occasion de s'exprimer à ce sujet, puisqu'elles n'ont pas été officiellement informées du contentieux porté devant elle.
La Cour internationale de justice en audience |
Le refus du transnationalisme
Cette tendance, qualifiée de "transnationalisme" par nos trois auteurs, repose sur une approche positive de la globalisation. La multiplication des échanges devrait ainsi conduire à la disparition des frontières et à l'émergence de "valeurs" communes dans un monde globalisé. Les constitutions des Etats doivent donc être mises en conformité avec ces valeurs communes, même s'il est pour cela nécessaire d'user de la contrainte. Pour les auteurs de "La guerre du droit", cette tendance est doublement dangereuse.
D'une part, elle écarte le principe du consentement des Etats, qui constitue le socle sur lequel s'est construit le droit international. A propos de la coutume, largement étudiée dans l'article, les Etats observent que la notion de "pratique des Etats" tend à évoluer. Cet élément de définition de la coutume est considéré comme présent non pas seulement si les Etats agissent conformément à la norme mais aussi lorsque leurs agents se déclarent en faveur de cette norme. On ne prend plus en considération ce que les Etats font, mais ce que leurs agents disent. La norme coutumière devient ainsi un produit de la rhétorique et non pas de la pratique des Etats.
D'autre part, sur un plan plus pratique, il est désormais très tentant d'invoquer cette prétendue supériorité de la norme internationale pour contourner l'opposition d'un parlement démocratiquement élu. Nos auteurs citent ainsi l'action du Comité des droits de l'enfant qui en 2002 estimait que les priorités budgétaires britanniques portaient atteinte aux droits des enfants et qui exigeait des explications de la part du gouvernement Blair. La finalité de la démarche était d'imposer au parlement britannique une nouvelle politique budgétaire, alors même que cette compétence est celle du parlement britannique.
La même critique est évidemment développée à propos de l'Europe, la production de normes appartenant essentiellement à des corps administratifs et à des tribunaux supra-nationaux. Et nos auteurs de dénoncer ces juges nationaux qui renforcent le pouvoir de la CEDH ou de la CJUE, au détriment de leurs propres parlements.
La protection du principe démocratique
Souvenons nous que l'âge d'or des libertés publiques en France fut précisément la IIIè République, l'époque qui a vu l'avènement de la liberté syndicale, de la liberté d'association, et du principe de laïcité, pour ne citer que les textes les plus connus. Or, ces textes sont d'origine législative, dès lors que la loi était alors la norme suprême. Aujourd'hui, la loi n'a pas disparu dans ce domaine, et on songe par exemple à l'abolition de la peine de mort ou à l'adoption toute récente du mariage pour tous. Ce caractère démocratique fait la puissance de la loi, et l'article de John Kyl, Douglas Feith, and John Fonte a le mérite d'inciter à la réflexion sur les moyens de développer le principe démocratique au niveau international, et de le protéger au plan interne.
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