« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mardi 18 décembre 2012

Euthanasie : état du droit positif

Le Professeur Didier Sicard a remis, le 18 décembre 2012, au Président de la République, un rapport sur la fin de vie, qui devrait être suivi d'un projet de loi au printemps 2013. La presse affirme que ce texte envisage une évolution de la loi en vigueur, afin d'autoriser le "suicide assisté" lorsque l'intéressé est atteint d'une maladie grave et incurable. Les commentateurs annoncent déjà que le rapport est très en-deçà de ce qui était attendu, c'est à dire la suggestion de consacrer un véritable "droit de mourir" par l'intégration de l'euthanasie active dans le droit positif. Quoi qu'il en soit, pour le moment, seuls quelques privilégiés ont pu lire un rapport qui n'est pas encore rendu public. 

Inviolabilité du corps humain

En attendant de pouvoir étudier le rapport, il est sans doute indispensable de rappeler la situation juridique actuelle. Elle repose sur le principe d'inviolabilité du corps humain, consacré par l'article 16-1 al. 2 du Code civil. Dans sa décision du 27 juillet 1994 sur la première loi bioéthique, le Conseil constitutionnel rappelle que ce principe a valeur législative, et le rattache à la dignité de la personne. Quant à son contenu, il est fort simple, puisqu'il interdit de porter atteinte au corps humain.

Ce principe d'inviolabilité s'applique indépendamment du consentement de la personne. Dès 1837, la Cour de cassation avait ainsi déclaré illicite une convention passée entre deux duellistes, prévoyant que le vainqueur ne serait l'objet d'aucune poursuite de la part de la famille du vaincu. Pour le juge, "Une convention par laquelle deux hommes (...) s'attribuent le droit de disposer mutuellement de leur vie (...) rentre évidemment dans la classe des conventions contraires aux bonnes moeurs et à l'ordre public".


Soleil Vert. Richard Fleischer. 1973
Edward G. Robinson

Dignité de la personne

L'euthanasie, c'est à dire la "mort douce", dans son sens étymologique, peut évidemment être perçue comme une exception au principe d'inviolabilité de la personne. En réalité, le droit positif fait plutôt prévaloir le principe de dignité de la personne sur l'inviolabilité du corps humain. La loi du 22 avril 2005, dite loi Léonetti, fait ainsi peser sur les médecins une obligation de "sauvegarder la dignité du mourant", notamment en lui offrant les secours des soins palliatifs (art. L 1110-5 al. 2 csp). C'est au nom de ce même fondement que le droit positif autorise l'euthanasie passive et interdit l'euthanasie active, sans d'ailleurs que cette distinction figure explicitement dans la loi.

L'euthanasie passive, encadrée par la loi

L'euthanasie passive se définit comme une renonciation du corps médical, lorsque les soins se révèlent sans espoir de guérison et incapables de soulager les souffrances du patient. La loi Léonetti énonce ainsi  que "les actes de prévention, d'investigation ou de soins, ne doivent pas être poursuivis avec une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris". Pour préciser ce texte, un décret du 29 janvier 2010 organise une procédure de suspension de soins qui distingue différentes situations. 

Lorsque la patient est conscient, il peut exprimer lui-même sa volonté. Lorsqu'il est inconscient, il peut avoir pris, avant sa maladie, la précaution de rédiger des "directives anticipées" ou de désigner une "personne de confiance" que les médecins pourront entendre, sans pour autant être tenus de suivre la position qu'elle exprime. Enfin, en l'absence de tout moyen de connaître la volonté du patient, la décision repose sur l'équipe médicale, qui peut prendre la décision d'interrompre les soins, en accord avec ses proches. Dans tous les cas où le patient ne peut exprimer sa volonté, la décision est donc collégiale, en quelque sorte partagée entre la famille et l'équipe médicale. 

L'euthanasie active, interdite par la loi

La loi Léonetti interdit, en revanche, l'acte qui consiste à administrer un produit mortel, avec le consentement du patient, et que l'on peut définir comme euthanasie active. Sur ce point, le droit français est loin d'être isolé, et la Cour européenne, dans une célèbre décision Diane Pretty c. Royaume Uni du 29 avril 2002, a rejeté le recours d'une patiente britannique, atteinte d'une maladie dégénérative, qui considérait que le refus d'une euthanasie active opposé par les autorités britanniques était constitutif d'un traitement inhumain et dégradant, au sens de l'article 3 de la Convention européenne. Sans cacher la compassion qu'elle éprouvait pour la requérante, la Cour a cependant estimé que les dispositions de la Convention ne sauraient être invoquées pour conduire un Etat à "cautionner des actes visant à interrompre la vie". La Convention européenne, en tout état de cause, ne peut donc dicter aux Etats leur position dans ce domaine. 

Le suicide assisté

Pour le moment, la solution du "suicide assisté" est présentée comme une solution du "juste milieu". La substance mortelle est alors fournie par le médecin, mais administrée par le patient lui même. Au premier abord, la différence semble bien ténue, car le médecin qui a procuré la substance a rendu possible le suicide. Il n'en demeure pas moins qu'il n'assume pas directement la responsabilité de l'acte lui-même, et ne peut donc pas être accusé d'avoir directement donné la mort. 

Avant de s'interroger sur la mise en oeuvre de ce droit de mourir dans la dignité, il convient cependant de laisser le parlement décider s'il convient, ou non, de légiférer. Le rapport Sicard est certainement un élément de cette réflexion, mais ce n'est pas le seul. Il est toujours très difficile de dégager un consensus dans un domaine aussi sensible, et le débat doit pouvoir se développer dans la sérénité. 


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