« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 22 août 2014

Les communes à côté de la plaque... d'immatriculation

Les automobilistes connaissent ou devraient connaître la LAPI. Cet acronyme signifie "Lecture automatisée des plaques d'immatriculation", et désigne un dispositif qui permet d'analyser en temps réel des flux vidéos issus de boîtiers de prise de vue. Concrètement, la LAPI permet de capturer, de lire, et d'analyser les plaques d'immatriculation des véhicules passant dans le champ de la caméra. L'autorité qui détient un dispositif LAPI peut donc identifier le titulaire de la carte grise et connecter ces informations avec d'autres fichiers comme le fichier des véhicules volés ou le système d'information Schengen (SIS) sur les personnes recherchées.

Jusqu'à présent, ce système a été mis à la disposition des seules forces de police et de douane étatiques, et notamment de la gendarmerie. Utilisé sous la forme d'un dispositif embarqué, il permet, au fil de la circulation, de repérer et d'identifier un véhicule volé, conduit par une personne recherchée, ou simplement en excès de vitesse.

Les potentialités d'un tel système n'ont pas échappé à d'autres acteurs, en particulier à ceux des élus locaux qui affichent une politique sécuritaire. La commune de Gujan-Mestras, un peu moins de 20 000 habitants au sud du bassin d'Arcachon, a saisi la CNIL d'une demande d'autorisation d'un tel système, construit à partir des caméras de surveillance installées sur son territoire. Aux termes de l'article L 252-1 du code de la sécurité intérieure sont en effet soumis à une telle autorisation les systèmes de vidéoprotection installés sur la voie publique, et donc les enregistrements sont utilisés dans des traitements automatisés permettant d'identifier, directement ou indirectement, des personnes physiques.

Dans sa délibération du 22 mai 2014, la Commission refuse de donner satisfaction à la commune de Gujan-Mestras et, par là-même, interdit aux collectivités territoriales l'usage de la LAPI.

La police judiciaire, une compétence de l'Etat


Le fondement juridique du refus de la CNIL n'est pas contestable. Les articles L 233-1 et L 233-2 du code de la sécurité intérieure réservent en effet l'utilisation de tels systèmes aux services de police, de gendarmerie et des douanes. La loi définit également avec précision la durée de conservation des données collectées, dès lors qu'il s'agit de données personnelles permettant l'identification. Elle précise que ces dernières devront être détruites à l'issue d'un délai de huit jours après leur captation. Ce délai laisse aux autorités le temps pour consulter les fichiers indispensables à la recherche des auteurs d'infraction dans le domaine de la grande criminalité et de la lutte contre le terrorisme. Si la recherche est négative, les données sont donc détruites une semaine après leur collecte.

La demande des élus de Gujan-Mestras se heurte donc directement aux dispositions législatives du Code de la sécurité intérieure, qui réserve aux autorités étatiques l'utilisation d'un tel système, excluant son usage par les collectivités territoriales.

Cette erreur de droit en entraîne une autre. En effet, les élus affirment que leur traitement a pour finalité d'apporter aux services de police et de gendarmerie nationales des moyens d'investigation supplémentaires dans le cadre de leur mission de police judiciaire. Les données seraient donc conservées durant vingt-et-un jours, et non pas huit comme la loi l'impose aux autorités étatiques, en attendant une hypothétique réquisition des forces de police étatiques, dans le cadre de la recherche d'infractions. Certes, mais la CNIL fait alors observer qu'un traitement qui poursuit une finalité de sécurité publique et de recherches d'infractions doit être autorisé par voie réglementaire après avis de la CNIL. La procédure d'autorisation devant la seule Commission n'est pas suffisante.

Enfin, la CNIL exerce sur la demande un véritable contrôle de proportionnalité. Et elle constate que cette participation à la recherche des infractions est la seule finalité invoquée par la commune pour justifier le recours à la LAPI. La Commission fait remarquer que la commune dispose déjà de caméras susceptibles de filmer les véhicules. Si la police nationale ou la gendarmerie a besoin de ces clichés, elle peut en ordonner la communication et se livrer elle même aux recherches indispensables pour retrouver les auteurs d'infraction. Autrement dit, il ne sert à rien de donner à la commune des moyens de police judiciaire qui, en tout état de cause, ne lui appartiennent pas. Elle ne saurait se présenter comme une sorte de "sous-traitant" de l'activité de police judiciaire, activité qui n'appartient qu'à l'Etat. 
 
Bullitt. Peter Yates. 1968

Le refus de l'amalgame entre police administrative et police judiciaire


Derrière ce raisonnement apparaît le refus de tout amalgame entre police administrative et police judiciaire. Le maire a certes une compétence de police générale pour assurer l'ordre et la sécurité sur le territoire de la commune. A ce titre, il peut mener une politique sécuritaire autant qu'il le souhaite, y compris dans le seul but de séduire les électeurs. Rien ne lui interdit donc de placer de recruter une police municipale nombreuse et de placer des caméras à tous les carrefours. En revanche, il ne dispose d'aucune compétence de police judiciaire, police qui a pour objet la recherche des auteurs d'infractions.

Surtout, la délibération de la CNIL doit être analysée comme un nouvel échec des polices municipales. Car derrière la demande de la commune de Gujans-Mestras apparaît clairement la volonté de donner aux polices municipales, c'est à dire aux agents publics recrutés par les communes pour participer au maintien de l'ordre public sur leur territoire, une réelle compétence de police judiciaire semblable à celle attribuée aux policiers et aux gendarmes. Et si les policiers municipaux pouvaient acquérir une telle compétence, pourquoi pas, dans un second temps, l'attribuer aux employés des sociétés de sécurité privée ? Considérée sous cet angle, la délibération de la CNIL présente l'immense avantage, pour les libertés publiques, d'affirmer clairement que la police judiciaire doit rester un monopole étatique.


2 commentaires:

  1. Chers internautes il serait bon de préciser que le maire est Officier de police Judiciaire de droit en effet
    L’article L. 2122-31 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) attribue au maire et à ses adjoints la qualité d’officier de police judiciaire (OPJ) dans le ressort du territoire de leur commune.

    L’exercice du pouvoir de police judiciaire reconnu au profit du maire et de ses adjoints s’effectue dans les conditions générales prévues par le Code de procédure pénale, et particulier sous la direction du Procureur de la République (article 12 du Code de procédure pénale).

    Dans ce cadre, il revient au maire et à ses adjoints :

    - d’informer les autorités judiciaires des infractions portées à leur connaissance,

    - de répondre à diverses demandes de ces autorités,

    - de constater les contraventions,

    - de prendre certaines mesures d’urgence en cas de crime ou de délit flagrant.


    Maires et adjoints peuvent, en particulier, sur les instructions du Procureur de la République (article 41 du Code de procédure pénale) ou du juge d’instruction (article 81, alinéa 6 du Code de procédure pénale), être conduits à diligenter des enquêtes sur la personnalité des personnes poursuivies ainsi que sur leur situation matérielle, familiale ou sociale. Dans tous les cas, les maires et leurs adjoints ne doivent pas excéder leurs attributions et surtout rendre compte de leurs actes au Procureur de la République. L’exercice effectif des prérogatives attachées au statut d’officier de police judiciaire des maires et de leurs adjoints n’est subordonné à aucune habilitation particulière. Leur simple qualité de maire ou d’adjoint au maire suffit. Concrètement, c’est leur élection en tant que maire ou adjoint qui confère à ces élus cette qualité, sans avoir besoin d’une quelconque délégation.


    carnet de procès verbal de policeLa qualité d’officier de police judiciaire, que confère l’article 16 du Code de procédure pénale aux maires et à leurs adjoints, n’est en aucun cas subordonnée au port d’un quelconque signe distinctif. Maires et adjoints peuvent cependant disposer d’une carte spécifique à barrement tricolore visée par le préfet (article 5 du décret du 31 décembre 1921). En pratique, tout officier de police judiciaire est habilité à constater les infractions et doit informer sans délai le Procureur de la République de celles dont il a connaissance (articles 14, 17 et 19 du Code de procédure pénale). La qualité d’officier de police judiciaire du rédacteur du procès-verbal dressé doit alors être précisée. Ces procès-verbaux sont dotés d’une force probante, variable selon que les faits constatés constituent une contravention ou un délit. Enfin, afin d’améliorer les conditions du suivi des constats d’infractions établis par les maires, certaines association départementales de maires ont signé des conventions spécifiques avec les procureurs de la République territorialement compétents.


    Pour une contravention
    Il ressort de l’article 537 du Code de procédure pénale que le procès-verbal rédigé fait foi jusqu’à preuve du contraire, laquelle peut être rapportée par écrit ou par témoins.



    Pour un délit
    L’article 430 du Code de procédure pénale prévoit que le procès-verbal ne vaut qu’à titre de renseignement (Réponse du ministre de la Justice à la Question écrite n° 101571 de François Vanson, JO AN (Q), 9 janvier 2007, page 354).
    de plus il serait bon également de se référer à cet article http://you.dara.free.fr/documents%20tronc%20commun/52038.pdf concernant la qualité d'APJA (agent de police judiciaire adjoint) des agents de Police Municipale.

    Le maire est un agent de l'Etat et les mairies sont des administrations décentralisées aux pouvoirs déconcentrés, il n'y a donc pas à polémiquer sur les pouvoirs de police judiciaire des maires, n'est -il pas également Officier d'Etat Civil ?...
    Cordialement

    La direction de la communication de l'Union Syndicale Professionnelle des Policiers Municipaux

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  2. Un bien beau commentaire pour défendre son assiette donc.

    La polémique n'existe pas, le billet opère à un rappel, bienvenu, en matière de droit(s) applicable à la captation de données personnelles et à leur utilisation, notamment dans un cadre pénal, matière rigoureuse s'il en est.

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