« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 30 août 2012

La circulaire sur l'évacuation des Roms

La circulaire du 26 août 2012 est relative à "l'anticipation et l'accompagnement des opérations d'évacuation de campements illicites". La formulation même révèle la difficulté de l'exercice. La circulaire vise  donc les "campements illicites", sans désigner ceux qui y trouvent un abri précaire. A ce titre, elle se situe en complète opposition avec la circulaire du 5 août 2010 qui donnait trois mois aux préfets pour évacuer trois cents campements "en priorité ceux des Roms", stigmatisant évidemment cette population. 

L'objet de la circulaire du 26 août 2012 est de rappeler un  droit positif qui demeure inchangé, tout en s'efforçant d'intégrer la procédure d'évacuation dans une démarche plus large, faisant intervenir toute une série d'acteurs sociaux pour aider les populations victimes d'une telle mesure. 

La formulation d'une politique gouvernementale

Sur ce point, la circulaire se présente comme un texte préventif,  mais elle intervient alors que plusieurs évacuations retentissantes ont eu lieu, dans des conditions bien éloignées de celles prévues par le texte. La politique gouvernementale est donc définie a posteriori, révélant une certaine forme d'improvisation.

Quoi qu'il en soit, l'évacuation des Roms est désormais l'objet d'une politique gouvernementale, comme en témoigne le nombre des signataires de la circulaire. L'évacuation d'un camp n'est plus décidée par le seul préfet, sous l'autorité du ministre de l'intérieur. Elle fait aussi intervenir les ministres de l'éducation nationale, des affaires sociales, de l'égalité des territoires et du logement, du travail, sans oublier les ministres délégués aux personnes handicapées et à la réussite éducative. Tous ces signataires témoignent de la volonté affichée du gouvernement de mettre en oeuvre une gestion sociale de l'évacuation. Ils révèlent aussi, sans doute, la volonté de ne pas laisser le ministre de l'intérieur assumer cette politique, et de la faire reposer sur la solidarité gouvernementale.

Le droit positif

Sur le fond, la circulaire ne modifie en rien le droit existant. Cela n'est d'ailleurs pas surprenant, dès lors que ses auteurs ne sont pas compétents pour modifier des dispositions législatives ou réglementaires. Ils ne peuvent que les interpréter, de manière à assurer une mise en oeuvre uniforme sur l'ensemble du territoire.

Le droit positif s'efforcer d'arbitrer entre des intérêts divers et légitimes. D'une part, les droits du propriétaire du terrain ou de l'immeuble, qu'il soit public ou privé, doivent être protégés. D'autre part, l'ordre public, et plus particulièrement l'hygiène publique, doivent être garantis. Il est souvent indispensable de procéder à l'évacuation, lorsque les locaux ou terrains occupés se révèlent particulièrement insalubres. Enfin, les droits des occupants sans titre, qui doivent bénéficier des droits de la défense, et l'égalité devant la loi, et surtout ne pas être soumis à des discriminations.  

On sait que la procédure d'évacuation est différente selon que les occupants sans titre s'installent sur une propriété publique ou privée. Dans le premier cas, l'administration propriétaire bénéficie du privilège de l'exécutoire, ce qu'il signifie qu'elle prend elle même la décision de faire évacuer et la fait exécuter avec la force publique. Dans le second cas, lorsqu'il y a occupation d'une propriété privée, le propriétaire doit s'adresser au juge pour faire ordonner l'expulsion. Pour faire exécuter le jugement et procéder matériellement à l'expulsion, il peut ensuite solliciter l'aide de la force publique, que l'administration n'est d'ailleurs pas tenue de lui accorder. 

Sur ce dernier point, la circulaire rend certainement plus délicate le recours rapide à la force publique, dans la mesure où elle impose une pratique différente, certainement de plus longue durée. 

Hergé. Les bijoux de la Castafiore. 1963

Environnement social

La circulaire repose sur une nouvelle perception de l'évacuation, désormais considérée comme le point d'aboutissement d'une procédure complexe. Il s'agit d'"anticiper" et "d'accompagner". Les préfets doivent désormais, dès l'installation du camp, établir un diagnostic en matière de santé, d'emploi, de scolarisation des enfants. Ils doivent également prévoir l'hébergement d'urgence, avant de procéder au démantèlement d'une installation illégale. La décision d'évacuer est donc le point d'aboutissement d'une action sociale coordonnée.

La nécessité de rechercher un nouveau logement, même provisoire, s'inscrit dans la ligne de l'arrêt du Conseil d'Etat du 10 février 2012 qui, dans une ordonnance de référé, qualifie l'hébergement d'urgence de "liberté fondamentale". 

La circulaire est donc pétrie de bons sentiments. Son application se révélera pourtant sans doute très délicate. Toutes les mesures envisagées par la circulaire supposent une installation durable sur le territoire d'une commune, qu'il s'agisse de l'obligation scolaire ou du droit à l'emploi. Mais l'évacuation d'un campement conduit nécessairement à renvoyer la population concernée à une certaine forme de nomadisme. 

Certes, la circulaire ne stigmatise plus une population Rom, et des efforts sont au moins annoncés pour améliorer sa situation matérielle. Il n'en demeure pas moins qu'une politique à l'égard de ces populations ne peut avoir des chances de succès que si elle se développe au plan européen. Leurs pays d'origine, comme la Bulgarie et la Roumanie, ont largement profité de fonds européens spécifiquement attribués pour améliorer le sort des Roms. Or ces derniers n'en ont guère bénéficié et les discriminations à leur égard n'ont jamais réellement cessé. Le sort des Roms n'est donc pas seulement un problème social français, c'est aussi un problème de politique européenne. 


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