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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
dimanche 4 mars 2018
La fin des fonctions de Mathieu Gallet, ou les questions non posées
mercredi 28 février 2018
Rapport Clavreul : une pierre dans le jardin de l'Observatoire de la laïcité
Observatoire v. Dilcrah
"Difficulté à produire du consensus"
La Charte de la laïcité
Le rapport Clavreul propose de reprendre cette idée, non plus au niveau des territoires mais à celui de l'Etat. Il s'appuie sur l'exemple du dispositif mis en oeuvre depuis fin 2015 par les caisses d'allocations familiales (CAF). La charte des CAF rappelle le principe de neutralité applicable au personnel, y compris à celui relevant du droit privé mais chargé d'une mission de service public. Elle invite les partenaires associatifs à proscrire le "prosélytisme abusif". La formule peut faire sourire tant elle ressemble à un pléonasme, mais le rapport Clavreul mentionne, non sans malice, que cette formule a été élaborée à l'issue d'une concertation entre les CAF et l'Observatoire de la laïcité.
Quoi qu'il en soit, le rapport Clavreul suggère une Charte opposable systématiquement annexée aux conventions attributives de financement. On distinguerait alors, un peu comme dans l'enseignement, les associations signataires de la Charte qui acceptent un financement de l'Etat et doivent respecter le principe de laïcité, et celles qui, refusant d'adhérer à ce principe, renoncent à un financement de l'Etat. L'avantage du système est de s'assurer que la loi de 1905 est appliquée et que l'argent public n'est pas utilisé pour subventionner des groupements pratiquant le prosélytisme religieux.
Une doctrine de laïcité
Le rapport distingue deux discours de contestation du principe de laïcité. Le premier conteste une laïcité "radicale" ou "fermée" mais n'est pas hostile au respect d'une certaine neutralité. Le second réside dans une attaque frontale, généralement le fruit d'un certain radicalisme religieux, quelle que soit la religion en cause. L'enquête menée sur le terrain révèle les hésitations des acteurs locaux confrontés à ces deux discours. La laïcité "ouverte" prônée par l'Observatoire de la laïcité n'est pas une réponse facile à mettre en oeuvre sans renoncement au principe même de laïcité. Quant à l'attaque frontale, elle n'est pas réellement prévue par les politiques publiques. Le rapport Clavreul cite ainsi de nombreux cas de professeurs confrontés à des élèves qui estiment que le principe de laïcité est une agression contre leur religion, ou de travailleurs sociaux qui finissent par renoncer à travailler sur certains marchés ou dans certaines cités. Ils sont tout aussi démunis devant une résistance passive qui se développe considérablement. Le rapport fait ainsi état d'un nombre considérable d'allergies au chlore chez les jeunes filles qui, de fait, ne peuvent se rendre à la piscine, situation d'autant plus préoccupante que la piscine utilisée par leur établissement scolaire n'est pas assainie au chlore...
Face à de telles situations, les acteurs sont à la recherche de la conduite à tenir. Or aucun diagnostic sérieux n'a été réalisé et aucune remontée des incidents n'est prévue. Ils se retrouvent seuls pour gérer des situations délicates. S'ils demandent le respect du principe de laïcité, ils redoutent d'être suspectés de discrimination, voire d'être dénoncés comme racistes, anti-sémites, ou pire, soupçonnés d'être membre de la désormais célèbre "fachosphère". Dans une telle situation, la tentation est grande de pratiquer une stratégie d'évitement qui consiste à ne rien faire, en attendant une doctrine claire. Le rapport demande la rédaction de cette doctrine, ainsi qu'un pilotage des problèmes au plus près possible du terrain.
Raidissement identitaire et droits des femmes
dimanche 25 février 2018
La circulaire Collomb : tout le monde est content
Une procédure de référé, un débat de fond
La circulaire précise que l'objet de recensement est "d'assurer l'orientation individuelle adaptée" de quatre catégories d'étrangers susceptibles de résider dans des centres d'hébergement d'urgence. Les bénéficiaires du droit d'asile devront être orientés vers un logement pérenne. Les demandeurs d'asile devront être accueillis dans les centres d'hébergement spécifiques, le temps de l'instruction de leur demande par l'OFPRA et, le cas échéant, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Les "personnes dont la situation au regard du séjour n'a pas fait l'objet d'une actualisation" seront soumises à un examen particulier afin de déterminer si elles sont en mesure d'obtenir un titre de séjour ou si une mesure d'éloignement doit être prise. Enfin, les personnes en situation irrégulière faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) devront être "orientées vers un dispositif adapté en vue de leur départ contraint".
Né quelque part. Maxime Le Forestier. 1987
Inconditionnalité de l'hébergement et inviolabilité du domicile
Avant la décision au fond
jeudi 22 février 2018
GPA : Premières décisions de la Cour de réexamen des décisions civiles
La loi du 18 novembre 2016
Le libéralisme contraint de la Cour de cassation
Derrières cette finalité générale se cache, comme souvent, une préoccupation plus immédiate. Il s'agit de contraindre la Cour à accepter la transcription à l'état civil français des enfants nés à l'étranger d'une GPA. L'amendement gouvernement à l'origine de cette disposition avait d'ailleurs été baptisé "amendement Mennesson". Il faisait directement référence à deux arrêts du 26 juin 2014 par lesquels la CEDH affirme que l'intérêt supérieur d'un enfant né à l'étranger d'une GPA exige qu'il ait un état civil français, élément de son identité au sein de notre société. Cette décision allait à l'encontre d'une jurisprudence de la Cour de cassation, réaffirmée jusqu'en 2013, qui refusait la transcription en France des actes de naissance de ces enfants. Issus d'une convention illégale en droit français, ces enfants étaient condamnés par une sorte de péché originel juridique et se voyaient refuser le droit d'avoir une identité familiale identique à celle des autres enfants.
Certes, après les arrêts Mennesson et Labassee, la Cour de cassation a finalement admis, dans deux décisions du 3 juillet 2015, qu'une convention de GPA ne pouvait faire obstacle à la transcription sur les registres d'état civil français d'actes de naissance rédigés à l'étranger. Elle a même accepté, en juillet 2017, le principe d'une adoption par le "parent d'intention", dès lors que la mère porteuse a donné son consentement à une telle procédure. Cette série de revirements s'est réalisée sous la pression de la CEDH, et il ne fait guère de doute que la Cour de cassation ne s'est soumise qu'avec réticence à cette mise en oeuvre de la notion d'intérêt supérieur de l'enfant.
Agar et l'Ange. Jean Restout. 1745 |
Pour autant, la procédure de réexamen est loin d'être inutile. Elle permet aux requérants d'obtenir que soient tirées toutes les conséquences de la jurisprudence de la CEDH. L'affaire ayant donné lieu au premier arrêt du 16 février 2018 est précisément l'affaire Mennesson. Certes, ce couple a obtenu, en 2014, de la CEDH un arrêt mentionnant que le refus d'accorder un état civil français à leurs jumeaux nés en Californie portait atteinte à l'intérêt supérieur de ces enfants. Mais ils demandent aujourd'hui, au-delà d'une simple indemnisation financière, qu'il soit mis fin à toutes les conséquences dommageables de cette situation. Dans l'affaire ayant suscité le second arrêt, il s'agit également de jumeaux, cette fois nés à Mumbay. Les requérants ont également été déboutés par la Cour de cassation avant l'arrêt Mennesson, le 13 septembre 2013. Le 21 juillet 2016, la CEDH a conclu à une violation de l'article 8 de la Convention qui garantit le droit au respect à la vie privée et familiale. Dans les deux cas, les affaires sont renvoyées à l'Assemblée plénière. La Cour de réexamen estime en effet que "par leur nature et leur gravité, les violations constatées entraînent pour les enfants des conséquences dommageables, auxquelles la satisfaction équitable accordée par la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas mis un terme".
La procédure répond, de toute évidence, à une préoccupation d'équité. Il n'était guère satisfaisant que des enfants soient condamnés, durant toute leur vie, à ne pas avoir d'état civil français, pour la seule raison que le contentieux lié à ce refus est antérieur de quelques mois ou quelques années à l'arrêt Mennesson. Il n'était pas plus satisfaisant qu'ils ne puissent obtenir autre chose qu'une indemnisation financière.
dimanche 18 février 2018
Guerre d'Algérie : le Conseil constitutionnel indemnise tout le monde
Abdelkader A. a été blessé par balles lors d'un attentat perpétré à Mascara en février 1958, alors qu'il était âgé de huit ans. Soixante ans plus tard, il demande une pension sur le fondement de l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963 prévoyant les avantages sociaux accordés aux Français ayant résidé en Algérie. Ces dispositions énoncent que "les personnes de nationalité française, ayant subi en Algérie depuis le 31 octobre 1954 et jusqu'au 29 septembre 1962 des dommages physiques du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence en relation avec les évènements survenus sur ce territoire ont, ainsi que leurs ayants cause de nationalité française, droit à pension". Abdelkader A. était de nationalité française au moment de l'attentat dont il a été victime, mais il est Algérien depuis l'indépendance. Il s'est donc vu refuser le bénéfice d'une pension par les autorités françaises.
Le principe d'égalité
Certes, le principe d'égalité devant la loi est garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : "La loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse". L'intégration de cette Déclaration dans le bloc de constitutionnalité, par la célèbre décision du 28 décembre 1973, a même été réalisée à partir de ces dispositions. La plupart des commentaires considèrent donc que le Conseil s'est borné à mettre en oeuvre le principe d'égalité. A l'appui de cette analyse, ils mentionnent une première QPC intervenue le 23 mars 2016. Le Conseil avait alors considéré comme portant atteinte au principe d'égalité devant la loi les dispositions de ce même texte limitant le droit à pension aux personnes ayant la nationalité française à la date de de sa promulgation, c'est-à-dire en 1963. Il avait donc ouvert ce droit à pension aux personnes ayant acquis la nationalité après cette date. L'idée générale est donc que la décision de 2016 avait ouvert une première brèche dans un dispositif déjà fissuré et que celle de 2018 achève cette évolution.
Cette simplicité n'est pourtant qu'une apparence. La décision de mars 2016, loin de nier la condition de nationalité, la renforçait au contraire et en faisait le critère essentiel du droit à pension. Peu importe quand elle avait été acquise, c'est en effet la nationalité française qui ouvrait ce droit à pension. La décision de 2018 n'est donc pas la suite logique de celle de 2016. Elle en est au contraire la négation et s'analyse comme un revirement de jurisprudence.
Le principe de solidarité nationale
Le caractère sibyllin de la motivation de la décision surprend le lecteur, car le Conseil ne se pose pas la question de savoir si les citoyens français et les ressortissants étrangers sont dans une situation juridique différente. Selon une jurisprudence solidement ancrée dans le droit positif, et par exemple dans la décision QPC du 28 mai 2010, il est pourtant acquis que "le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi". En l'espèce, le législateur de 1963 a traité de manière différentes les victimes françaises et étrangères des actes de violence commis durant le conflit algérien. Le Conseil est donc conduit à s'interroger sur l'objet de la loi, pour s'assurer que cette différence de traitement lui est conforme.
Il affirme que le texte poursuivait un "objectif de solidarité nationale", le législateur ayant entendu "garantir le paiement d'une rente aux personnes ayant souffert de préjudices issus de dommages qui se sont produits sur un territoire français de l'époque". Ce principe de solidarité, tout droit issu du solidarisme de Duguit, trouve son fondement constitutionnel dans l'alinéa 12 du Préambule de 1946. Certes, mais celui énonce que "La Nation proclame la solidarité et l'égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales". Aux termes de la Constitution, la solidarité "nationale" concerne donc "tous les Français"...
Aux yeux du Conseil, cette rédaction de l'alinéa 12 du Préambule est sans importance. La situation à prendre en considération est celle de l'ayant-droit auquel il convient de garantir la compensation de la perte de la pension servie au bénéficiaire décédé. Distinguer les ayants-droit au regard de leur nationalité constituerait une rupture d'égalité inacceptable. Il convient donc de traiter de la même manière l'enfant algérien d'une victime française que l'enfant français d'une victime française. Pourquoi pas ? Mais le problème est que le Conseil est ainsi passé de l'objet de la loi à l'objet de la pension, s'écartant ainsi considérablement de sa jurisprudence traditionnelle.
Il reste évidemment à s'interroger sur les conséquences de cette décision. Passons sur les conséquences financières qui risquent d'être extrêmement lourdes pour le budget de l'Etat. Toutes les victimes algériennes, y compris les anciens combattants du FLN et leurs ayants-droit, sont désormais fondées à exiger une pension des autorités françaises. Mais au-delà de cet aspect matériel, les conséquences de cette décision résident essentiellement dans le fait qu'elle crée une insécurité juridique.
La Kasbah à Alger. Charles Brouty. 1950 |
La loi de 1946 et les victimes de la seconde guerre mondiale
Les Accords d'Evian
mardi 13 février 2018
Absence d'Accord-Déon : Une position sans concession de la mairie de Paris
Une police spéciale des funérailles
Compétence liée et autorisation
Elle se trompe, car la compétence liée doit se lire en sens inverse : si le défunt entre dans l'une de ces catégories, la mairie est tenue d'autoriser l'inhumation. Un éventuel refus, illégal, engage d'ailleurs sa responsabilité (CAA Marseille, 9 février 2004). La seule exception à ce principe a été formulée dans la décision du Conseil d'Etat du 16 décembre 2016 refusant le renvoi d'une QPC portant précisément sur l'article L 2223-3 cgcl. Dans le cas du refus d'inhumation opposé par le maire de Mantes-la-Jolie à la famille de Larossi Abballa, terroriste ayant assassiné le couple de policiers de Magnanville, le Conseil d'Etat a considéré que la police spéciale des cimetières devait se concilier avec la police générale de l'ordre public. Autrement dit, il demeure possible de refuser l'inhumation, si le maire peut démontrer l'existence d'un risque de trouble à l'ordre public qu'il ne serait pas en mesure de gérer. Dans le cas de Larossi Abballa, la question s'est finalement réglée par un transfert du corps au Maroc, où il a été finalement inhumé.
La compétence liée ne contraint donc pas la commune à refuser le permis d'inhumer si le défunt n'entre dans aucune des catégories énumérées dans le code général des collectivités locales. Elle l'autorise seulement à prononcer ce refus, ce qui est bien différent. En témoigne la formulation employée par le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 16 novembre 1992. Il affirme que "la commune (...) n'avait aucune obligation d'autoriser l'inhumation de M. Sylvain X. dans le cimetière communal, dès lors que celui-ci n’y possédait pas de sépulture de famille, qu’il n’était pas décédé sur le territoire de la commune et n’y était pas domicilié au moment de son décès ». Le maire "n'avait aucune obligation d'autoriser", ce qui signifie qu'il n'était pas tenu de le faire, mais qu'il aurait pu le faire, en vertu de son pouvoir discrétionnaire. Le site Vie Publique, "site officiel de l'administration française" affirme clairement que "l'inhumation est aussi possible dans une autre commune, mais le maire peut la refuser". Il est un peu fâcheux de constater que l'adjointe aux affaires funéraires connaisse aussi mal le droit funéraire.
L'égalité devant les discriminations
Les contentieux dans ce domaine ne sont pas fréquents, soit parce que les Français se font inhumer dans leur commune, soit parce que les élus sont moins intransigeants que madame Hidalgo. Rien ne lui interdisait d'autoriser finalement l'inhumation de Michel Déon dans un cimetière parisien.
A l'appui de son refus, la mairie de Paris invoque une atteinte au principe d'égalité. On comprend que le fait que Michel Déon ait été un écrivain à succès, membre de l'Académie, et revendiquant des convictions monarchistes, ne joue pas vraiment en sa faveur. Souvenons-nous cependant du cas de Maria-Francesca, ce bébé rom décédé à l'âge de trois mois, et que le maire de Champlan refusait d'inhumer dans le cimetière de sa commune. Comme Michel Déon, elle n'entrait dans aucune des catégories prévues par le code des collectivités territoriales. A l'époque, le refus du maire avait fait grand bruit, au point que le Défenseur des droits s'était saisi du dossier et avait déclaré la décision "illégale et discriminatoire". L'égalité invoquée par la mairie de Paris serait-elle, in fine, une égalité devant les discriminations ? Elle devrait plutôt réfléchir à l'idée que l'égalité devant la mort est bien réelle, car, comme le disait allègrement Henri Rochefort : "Si haut qu'on monte, on finit toujours par des cendres". .