L'avant-projet de loi renforçant la lutte contre le terrorisme et la sécurité a été diffusé par Le Monde le 8 juin 2017, dans le but, nous dit-on, d'ouvrir le débat public. A dire vrai, il était déjà ouvert par les opposants "historiques" à l'état d'urgence qui redoutent qu'il ne devienne permanent et qui dénoncent sa banalisation. On peut évidemment comprendre cette crainte, mais les partisans du texte font, quant à eux, observer que ce n'est pas l'état d'urgence qui se banalise mais le terrorisme.
A travers ce débat, on peut discerner les difficultés rencontrées pour définir le régime juridique du terrorisme. Il est assez facile d'organiser le droit pénal destiné à réprimer les infractions liées au terrorisme et la
loi Urvoas du 3 juin 2016 a pu renforcer les pouvoirs du juge, par exemple en matière de perquisitions de nuit, sans susciter de sérieuse opposition dans l'opinion. En revanche, il est plus délicat de légiférer sur sa prévention. En adoptant une loi pérenne, on accepte, et c'est évidemment très dérangeant, de considérer que le terrorisme n'est plus un évènement exceptionnel connu à travers les différentes "vagues" qui ont frappé notre pays. C'est désormais un élément contextuel qui menace l'ensemble de la vie en société, menace qui franchit les frontières, face noire d'une mondialisation dont on vantait généralement les bienfaits. Le parlement légifère donc aujourd'hui à partir d'une approche globale et permanente de la menace terroriste.
Bien entendu, l'avant-projet sera probablement profondément modifié, après l'avis du Conseil d'Etat et durant le débat parlementaire. En son état actuel, il laisse apparaitre de nombreuses zones d'ombres et une rédaction parfois incertaine. Il est pourtant suffisamment élaboré pour que l'on puisse constater qu'il vise à créer une police spéciale du terrorisme, système de police administrative qui repose sur la méfiance à l'égard du juge judiciaire.
Une police spéciale du terrorisme
L'avant-projet de loi organise une nouvelle police spéciale du terrorisme, police administrative qui permet de limiter l'exercice de certaines libertés publiques en fonction de la menace pour l'ordre public que représente le terrorisme. Si l'on voulait résumer son contenu, on pourrait le présenter comme un texte reprenant les dispositions principales des lois sur l'état d'urgence enrichies des décisions de jurisprudence intervenues dans ce domaine. Bon nombre de libertés peuvent ainsi être limitées au nom du terrorisme.
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Calvin and Hobbes |
La liberté de circulation
La première d'entre elles est la liberté de circulation. Il est ainsi ajouté un chapitre 6 au code de la sécurité intérieure, qui autorise la création, par arrêté préfectoral, de périmètres de protection pour assurer la sécurité d'un lieu ou d'un évènement. Rien de bien nouveau dans ce domaine et les forces armées comme les forces de police mettent déjà en place des "bulles" destinées à protéger un évènement, tel que le G8 de Dauville en 2011, le 70è anniversaire du Débarquement en Normandie ou encore la coupe d'Europe de football en 2016. L'avant-projet se propose de donner un fondement législatif à cette pratique, ce qui permet de préciser les conditions d'entrée et de sortie dans ce périmètre.
L'avant-projet permet aussi des atteintes à la circulation visant cette fois des individus nommément désignés. Est ainsi visée la "
personne à l'égard laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité pour la sécurité et l'ordre publics". La formule est exactement celle adoptée par les différentes lois sur l'état d'urgence, depuis
celle du 20 novembre 2015. Elle est aujourd'hui complétée par quelques précisions sur le comportement visé. Est ainsi concerné celui qui "
entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme", formule assez simple qui car elle peut être appréciée de manière objective. En revanche, beaucoup moins claire est la référence au comportement qui consiste à "
soutenir ou adhérer à des des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme (...) ou faisant l'apologie de tels actes". La notion d'apologie a une contenu juridique, notamment en matière d'apologie de crimes de guerre. Celle de soutien ou d'adhésion à des thèses incitant au terrorisme, beaucoup moins. On peut se demander si cette disposition suvivra au débat parlementaire, alors même que le Conseil constitutionnel, dans
une QPC du 10 février 2017, a abrogé le délit de consultation habituelle de sites terroristes.
Quoi qu'il en soit, l'assignation à résidence entre dans l'arsenal législatif de droit commun. Décidée par le ministre de l'intérieur, elle peut s'accompagner d'un dispositif de surveillance électronique. Reprenant sur ce point
la jurisprudence du Conseil d'Etat, le texte précise que cette assignation doit permettre à l'intéressé de "
poursuivre sa vie familiale et professionnelle". De même, pour tenir compte de la décision QPC rendue par
le Conseil constitutionnel le 16 mars 2017, il est prévu, depuis la
loi du 19 décembre 2016, que cette mesure ne peut être prise que pour trois mois renouvelables, "
sur la base d'éléments nouveaux ou complémentaires". Cette condition risque cependant d'avoir fort peu d'effets concrets car, dans une
ordonnance de référé du 25 avril 2017, le Conseil d'Etat s'est contenté d'apprécier la menace que représente la personne pour l'ordre public, sans trop se préoccuper de recherches des éléments nouveaux.
La liberté de culte
L'avant projet envisage un nouveau chapitre VII dans le code de la sécurité intérieure, permettant à l'autorité administrative de décider la fermeture de lieux de culte. On sait que, dans sa rédaction ancienne, l'article 8 de la
loi du 3 avril 1955 autorisait le préfet ou le ministre de l'intérieur à ordonner "l
a fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature". Dans la
loi du 21 juillet 2016, la commission des lois du Sénat a obtenu que soit ajouté à cette phrase : "
en particulier des lieux
de culte au sein desquels sont tenus des propos constituant une
provocation à la haine ou à la violence ou une provocation à la
commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes". Cette rédaction impose de fonder la décision de fermeture des lieux de culte sur l'existence d'une infraction, ce qui n'est pas une garantie négligeable, si l'on considère que le juge administratif pourra ensuite apprécier la réalité du motif invoqué.
La vie privée
Ces mesures autorisées en matière de lutte contre le terrorisme ont pour caractéristique de constituer autant d'ingérences dans la vie privée. Certes, ce type d'ingérence n'est pas nécessairement illicite si elle prévue par loi, répond à un but légitime et demeure proportionnée à la menace, conditions posées par la Convention européenne des droits de l'homme.
Il est ainsi prévu de contraindre la personne assignée à résidence à "
déclarer ses identifiants de tout moyen de communication électronique". Cette obligation avait déjà été envisagée dans les débats précédant le vote de
la loi du 3 juin 2016 déjà destinée à renforcer la lutte contre le crime organisé et le terrorisme. Mais la commission des lois du Sénat l'avait supprimée. Contrairement à ce qu'affirment certains, cette disposition n'emporte aucune atteinte aux droits de se taire et de ne pas s'auto-incriminer. Une nouvelle fois, il convient en effet de rappeler que ces droits sont exclusivement mis en oeuvre en matière pénale et ne s'appliquent donc pas à une procédure purement administrative. A dire vrai, cette disposition semble surtout destinée à vérifier la conformité des propos de la personne assignée à ce que les services de renseignement savent déjà.
En matière de perquisitions, qui constituent aussi des atteintes à la vie privée en tant que telles, l'avant-projet reprend largement le droit existant issu de l'état d'urgence et plus précisément de la loi du 21 juillet 2016. Le Conseil constitutionnel, dans une
décision QPC du 16 mars 2017, a cependant déclaré inconstitutionnelle la procédure qui faisait intervenir le juge des référés du Conseil pour autoriser la perquisition, en lui confiant en même temps le contrôle a posteriori de cette mesure. L'avant-projet tire les conséquences de cette décision en attribuant au procureur de la République de Paris la compétence d'autorisation, conservant celle du Conseil d'Etat pour le contrôle.
Le juge judiciaire écarté
Précisément, et c'est sans doute le plus gênant dans ce texte, la seule apparition du juge judiciaire est celle du procureur. C'est lui qui autorise les perquisitions, c'est aussi lui qui est informé, et seulement informé, des assignations à résidence. Or nul n'ignore que le procureur demeure rattaché à l'Exécutif par un lien hiérarchique, la Cour européenne considérant, quant à elle, qu'il n'est pas un magistrat "indépendant" au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
Emmanuel Macron avait pourtant
proposé, durant la campagne, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, afin de garantir l'indépendance des procureurs. Le
projet Bayrou semble vouloir tenir cette promesse. En perpétuant cette tradition de méfiance à l'égard du juge judiciaire, l'avant-projet de loi parait en décalage avec cette volonté réformatrice. Ce rejet du juge judiciaire apparaît encore plus nettement si l'on considère que la Cour de cassation a récemment rappelé, dans
trois arrêts du 13 décembre 2016, qu'elle était aussi compétente pour apprécier la légalité des actes administratifs intervenus sur le fondement de l'état d'urgence, en particulier en matière de perquisitions. Sur ce point, on cherche vainement l'innovation introduite par le texte. Comme sous les gouvernements précédents, le Conseil d'Etat est présenté comme le juge unique de cette nouvelle police administrative. L'article 66 de la Constitution qui énonce pourtant que le juge judiciaire est "
gardien de la liberté individuelle" est purement et simplement écarté. C'est pourtant le juge judiciaire, juge du siège, qui, détaché de tout lien d'allégeance à l'Exécutif, serait le mieux en mesure de contrôler la mise en oeuvre d'un droit extrêmement dérogatoire au droit commun.