Absence d'illégalité de principe
Secret défense v. Publication
Un texte couvert par le secret de la défense ne peut être publié sans emporter une violation de ce secret. Dans le cas présent, les requérants font état d'un article de L'Obs mentionnant un texte de 2008. Ils n'en connaissent pas la date et ne l'ont pas vu. C'est d'ailleurs fort heureux pour eux car, dans le cas contraire, ils pourraient être poursuivis sur le fondement de l'article 413-11 du code pénal qui interdit de détenir et/ou de porter à la connaissance du public des informations couvertes par le secret de la défense nationale. Les contrevenants risquent une peine de cinq années de prison et 75000 € d'amende.
Les requérants sont donc confrontés à une question bien délicate, celle de l'existence même du décret. Ils la déduisent du fait que le gouvernement n'ait pas démenti son existence après l'article de l'Obs. Ce raisonnement est dépourvu de fondement juridique, tout simplement parce que le secret défense s'étend à son existence même. Autrement dit, affirmer qu'une pièce couverte par le secret n'existe pas, c'est déjà violer le secret. Dans cette hypothèse, seul le silence des agents concernés est conforme à l'obligation de respect du secret défense qui leur est imposée par la loi.
Il est vrai que l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978 sur l'informatique et des libertés prévoit qu'un décret en Conseil d'Etat, publié celui-là, doit formellement dispenser de publication l'acte réglementaire qui crée un fichier couvert par le secret de la défense nationale ou de la sécurité publique. En l'espèce, cependant, il ne s'agit pas de la création d'un fichier, mais d'un décret autorisant des interceptions. La loi du 6 janvier 1978 n'est donc pas applicable en l'espèce.
Observons que les requérants n'ont pas cru bon de demander préalablement communication du décret sur le fondement de la loi du 17 juillet 1978 relative à l'accès aux documents administratifs. Ils ont considéré, et c'est une évidence, qu'un décret couvert par le secret défense entre dans les exceptions au droit d'accès aux documents administratifs définies par son article 6. Certes, l'article 6 autorise les autorités à ne pas communiquer, mais il ne leur interdit pas de communiquer. On doit donc en déduire que cette absence de demande de communication, avec saisine éventuelle de la CADA, a empêché de développer un contentieux à partir d'une décision solide et datée, en l'espèce le refus de communication.
En l'état actuel du droit, il suffit donc que le ministre compétent affirme tranquillement que le décret évoqué par L'Obs n'existe que dans l'imagination des journalistes pour rendre le recours irrecevable.
Secret défense v. Procédure contradictoire
Il se trouve dans une position étrange. S'il exige de l'administration la communication du décret, et s'il l'obtient, le principe du contradictoire l'oblige à communiquer le document au requérant, ce qui emporte une violation du secret défense. S'il refuse cette communication au requérant, il ne viole plus le secret de défense, mais il porte une atteinte grave au principe du contradictoire.
Quoi qu'il en soit, ce partage du secret n'est pas admis par le droit positif. Le Conseil d'Etat, il faut bien le reconnaître, ne s'en plaint guère. N'a-t-il pas, durant bien des années, rendu des décisions contentieuses sur le fondement d'avis consultatifs donnés par lui-même et non publiés ?
En matière de secret défense, il a cependant utilisé quelques expédients lui permettant d'exercer un contrôle, très modeste, sur l'usage de ce secret par les autorités. Avec l'arrêt Coulon du 11 mars 1955 il a été confronté à une sanction disciplinaire prise sur le fondement de pièces classifiées. Si l'administration refuse au juge la communication de ces éléments couverts par le secret, il peut lui demander de justifier sa décision de classement. Si ces justifications ne parviennent pas à le convaincre, il peut alors déclarer l'acte illégal. Certes, mais cela ne concerne que les décisions individuelles, et la jurisprudence Coulon n'est donc pas applicable au cas d'un décret non publié.
La loi du 8 juillet 1998 a mis en place une procédure qui permet à n'importe quel juge, judiciaire ou administratif, de demander au ministre compétent la déclassification du document. Celui-ci saisit alors la Commission consultative du secret défense (CCSDN) qui rend un avis, que le ministre suit, ou pas. In fine, la communication au juge d'une pièce classifiée relève donc du pouvoir discrétionnaire du ministre.
Les bijoux de la Castafiore. Hergé. 1963 |
Le précédent du fichier Cristina
Quoi qu'il en soit, cette jurisprudence ne constitue pas un moyen très solide. En effet, son fondement juridique réside dans l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978, et un décret en Conseil d'Etat avait été publié, autorisant le pouvoir réglementaire à ne pas publier le décret de création du fichier. Le Conseil d'Etat sera-t-il tenté de généraliser cette jurisprudence initiée à propos d'une loi spéciale ? Rien n'est moins certain.