Hergé. Les bijoux de la Castafiore. 1963 |
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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
mardi 2 octobre 2012
QPC : Le statut des gens du voyage devant le Conseil constitutionnel
dimanche 30 septembre 2012
La Cour européenne confirme l'accouchement sous X "à la française"
Comment résoudre un conflit de normes ?
Ce rattachement de l'accès aux origines à l'espace de la vie privée est parfaitement conforme à la jurisprudence antérieure de la Cour européenne. Il n'est pas sans conséquence, puisqu'il permet au juge européen d'admettre la recevabilité de la requête. En revanche, dès lors que l'accès aux origines est un élément de la vie privée, il ne constitue pas un droit autonome et doit être concilié avec les autres facettes du droit à la vie privée. Sur ce point, la décision Godelli pose le délicat problème des conflits de normes. Entre la vie privée de la mère et celle de l'enfant, laquelle doit l'emporter ? La réponse à une telle question peut être confiée à des comités d'éthique, ou au juge. C'est précisément ce type d'arbitrage que doit rendre la Cour européenne dans l'affaire Godelli c. Italie.
La Cour européenne sanctionne la loi italienne parce que l'équilibre entre les différents droits en présence n'est pas respecté. En effet, l'anonymat de la mère qui "ne consentait pas à être nommée" est irrréversible en droit italien. Aucune procédure n'est organisée pour qu'ultérieurement, et notamment lorsque l'enfant aura atteint l'âge adulte, cet anonymat soit levé. Aucune instance ne peut être saisie afin de prendre contact avec la mère biologique et lui demander si elle consentirait à une levée du secret des origines. Ce n'est donc pas l'anonymat qui est sanctionné, mais son caractère irréversible.
A contrario, le système français de l'"accouchement sous X" se trouve validé par la Cour européenne. Il est vrai que la décision Odièvre avait déjà affirmé que la loi française n'emportait aucune violation de l'article 8 de la Convention. Mais l'arrêt Gardelli permet de préciser que l'accouchement sous X ne peut exister que si le droit positif met en place une procédure permettant la levée de l'anonymat, en quelque sorte par consentement. C'est effectivement la mission du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP), créé par la loi du 22 janvier 2002. Cette autorité indépendante reçoit les demandes d'accès aux origines formulées par les enfants nés sous X. Elle prend alors contact avec la mère biologique, et lui demande si elle souhaite que son identité soit communiquée à l'enfant. Celle-ci peut refuser, ce qui montre que l'accès aux origines est une faculté, mais pas un droit.
Après l'arrêt Odièvre, après aussi la décision du Conseil constitutionnel rendue sur QPC le 16 mai 2012 qui consacrait la constitutionnalité de la loi française, la décision Gardelli renforce la procédure d'accouchement sous X. Alors même que celle-ci semblait devoir céder sous les pressions des partisans de la consécration d'un droit d'accès aux origines, elle est aujourd'hui considérée comme l'instrument d'un équilibre entre deux histoires également douloureuses, celle d'une mère, souvent très jeune ou dans une situation précaire, qui n'a pas pu assumer sa grossesse, et celle d'un enfant à la recherche de son identité.
jeudi 27 septembre 2012
OGM, pouvoir de police et principe de précaution
Vincent Van Gogh. Champ de blé derrière l'hospice. 1889 |
mardi 25 septembre 2012
Accès au dossier durant la garde à vue : les avocats en route vers la Cour européenne
L'équilibre entre les nécessités de l'enquête et les droits de la défense
La femme à abattre. Raoul Walsh. 1951. Humphrey Bogard |
Dans un arrêt du 11 juillet 2012, la Cour de cassation avait déjà considéré que ces dispositions étaient conformes à l'article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans la mesure évidemment où l'avocat du gardé à vue avait effectivement pu consulter les pièces énumérées à l'article 63-4-1 du code pénal. Sur ce point, la jurisprudence de la Chambre criminelle s'appuie sur celle du Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 18 novembre 2011 rendue sur QPC, ce dernier a en effet considéré que la conciliation entre la recherche des auteurs d'infraction et les droits de la défense constitutionnellement garantis était convenablement assurée dans la loi du 14 avril 2011.
Qu'il s'agisse du contrôle de conventionnalité par la Cour de cassation, ou de constitutionnalité par le Conseil constitutionnalité, la jurisprudence est identique. Les droits de la défense n'imposent pas une règle absolue de communication de l'ensemble des pièces du dossier, du moins durant la garde à vue.
Vers la saisine de la Cour européenne
Bien entendu, les avocats ne sont pas décidés à abandonner le combat. La décision de la Cour de cassation a pour intérêt, et c'est bien le seul de leur point de vue, de marquer l'épuisement des recours internes. La voie de la Cour européenne est donc ouverte, et il faut reconnaître qu'il n'est pas sans espoir. Dans l'arrêt Sapan c. Turquie du 20 septembre 2011, la Cour déclare en effet le droit turc non conforme à l'article 6 § 3, dans la mesure précisément où l'avocat du requérant n'est pas autorisé à avoir accès aux pièces du dossier. Dans le domaine de la garde à vue, depuis l'arrêt Salduz du 27 novembre 2008, il est vrai que les condamnations de la Turquie précèdent de peu les condamnations de la France.
Certes, mais à supposer qu'intervienne une condamnation du système français par la Cour européeenne, le problème serait-il résolu pour autant ? La hiérarchie des normes incite, en effet, à considérer que la législation française dans ce domaine peut être considérée comme verrouillée par la décision du Conseil constitutionnel. Une validation constitutionnelle n'a t elle pas une valeur supérieure à une invalidation conventionnelle ?
vendredi 21 septembre 2012
QPC : Les taureaux victimes d'une loi identitaire
Egalité devant la loi
Le premier, et le plus sérieux, est le non respect du principe d'égalité devant la loi, consacré par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Il est vrai que l'approche identitaire, pour ne pas dire communautaire, de la disposition contestée témoigne d'une volonté de traiter les régions qui pratiquent la corrida d'une manière différente par rapport au reste du territoire. On apprend ainsi qu'un comportement puni pour cruauté dans une région ne l'est pas dans une autre.
Le problème, pour le Conseil constitutionnel, est que le principe d'égalité ne s'oppose pas "le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général", principe acquis depuis la décision du 16 janvier 1982. Autrement dit, le législateur est compétent pour moduler la mise en oeuvre concrète du principe d'égalité, y compris en matière pénale. Il ne s'en prive pas, et on sait que l'égalité devant la loi pénale s'accommode de sanctions différentes, selon l'âge du coupable ou sa qualité de récidiviste, la vulnérabilité de la victime etc.
Cette modulation de l'égalité devant la loi doit cependant répondre à deux conditions, pour être considérée par le Conseil comme conforme à l'article 6 de la Déclaration de 1789. Elle doit être à la fois conforme à l'intérêt général et à la loi qui l'établit.
Pablo Picasso. Taureau agonisant. 1934 |
Sur l'intérêt général d'une telle tolérance envers les zones géographiques qui pratiquent la mise à mort des taureaux, le Conseil affirme seulement que cette restriction ne concerne que quelques régions et ne porte pas atteinte à un droit constitutionnellement garanti. Les animaux ne sont pas titulaires de droit, et le devoir de ne pas se montrer cruel à leur égard n'a qu'une valeur législative. Le Conseil estime en conséquence que l'intérêt général d'une telle dérogation au principe d'égalité devant la loi repose sur l'appréciation du législateur, quand bien même elle serait le résultat d'une action de lobbying des villes et régions pratiquant la tauromachie.
Sur la conformité de cette dérogation à la loi qui l'établit, le Conseil fait observer que les dispositions contestées ne s'appliquent que dans les parties du territoire national où une tradition interrompue de corrida est établie, et pour les seuls actes qui relèvent de cette tradition. Il en déduit donc que cette dérogation est conforme à la loi qui l'établit, puisque celle-ci organise précisément le régime juridique des actes de cruauté envers les animaux. Le Conseil aurait cependant pu en juger différemment, car admettre la mise à mort d'animaux dans une loi dont la finalité est précisément la protection de ces derniers aurait pu lui sembler incompatible avec cette finalité. Là encore, il a refusé d'intervenir dans ce qui lui apparaît comme relevant du législateur.
La "tradition locale ininterrompue"
Le second moyen soulevé par les requérants réside dans la clarté et la lisibilité de la loi. Il est juste de constater que la notion de "tradition locale ininterrompue" a été interprétée de manière particulièrement laxiste par la jurisprudence. Dans une décision du 7 février 2006, la Cour de cassation saisie d'un contentieux portant sur une demande de dissolution d'une association taurine en Haute Garonne, estime ainsi qu'il appartient aux juges du fond d'apprécier souverainement l'existence de cette "tradition locale ininterrompue". En l'espèce, celle ci est déduite de l'intérêt porté à la corrida par "un nombre suffisant de personnes", quand bien même aucune corrida n'a eu lieu à Toulouse depuis 1976. Le 16 septembre 1997, cette même Cour de cassation avait validé un jugement du tribunal correctionnel de Floirac refusant de poursuivre pour cruauté les organisateurs d'une corrida, qui s'était déroulée dans cette ville en 1993, après la reconstruction d'arènes détruites en 1961. Aux yeux du juge, la tradition locale n'est pas interrompue après trente-deux ans d'interruption. La jurisprudence évolue ainsi vers une analyse purement psychologique de cette "tradition locale". Il suffit qu'une poignée d'amateurs veuille maintenir, voire créer, des spectacles avec mise à mort, pour qu'elle soit considérée comme acquise.
Le Conseil constitutionnel n'est cependant pas compétent pour sanctionner le manque de clarté de la jurisprudence, mais seulement celui de la loi. La décision renvoie ainsi le législateur à sa compétence. C'est à lui qu'il appartient de déclarer que la mise à mort des taureaux est un spectacle barbare. Souvenons nous qu'en juillet 2010, le parlement régional de Catalogne a eu le courage de voter une loi interdisant ce type de spectacle. En France, une proposition de loi déposée par Geneviève Gaillard (PS) devant l'Assemblée Nationale en juillet 2011, n'a toujours pas été débattue.
Derrière la question de la corrida, et du traitement cruel infligé à des animaux, se pose un problème grave. Car la loi est utilisée pour donner satisfaction à une revendication identitaire, pour ne pas dire communautaire. La loi n'est plus l'expression de la volonté générale, mais celle des différentes communautés et des lobbies qui les représentent.
Caricatures de Mahomet, "provocation ou liberté d'expression" ?
Une liberté constitutionnelle
Les précédents
Les plaintes déposées par différentes associations pour injure et incitation à la haine raciale ont fort peu de chance de prospérer. On se souvient que, dès 2005, Charlie Hebdo avait déjà publié les premières caricatures de Mahomet, celles dont la publication dans le journal danois Jyllands-Posten le 30 septembre 2005 avait suscité de nombreuses manifestations. Une plainte avait alors été déposée à l'encontre de Charlie Hebdo pour injure envers un groupe de personnes à raison de leur appartenance à une religion déterminée, délit prévu par l'article 33 al. 3 de la loi de 1881. Le tribunal correctionnel a relaxé les prévenus le 22 mars 2007 après avoir examiné en détail les différents dessins, estimant qu'ils participaient à "un débat d'idées sur les dérives de certains tenant à un Islam intégriste ayant donné lieu à des débordements violents". La Cour d'appel de Paris, statuant le 12 mars 2008, a confirmé cette jurisprudence, faisant observer que les dessins incriminés ne comportaient aucune attaque personnelle et directe dirigée contre un groupe de personnes.
La Cour européenne
La jurisprudence de la Cour européenne n'est guère différente. Il est vrai qu'elle sanctionne le "discours de haine", mais elle le définit comme comportant nécessairement une incitation réelle et sérieuse à l'extrémisme. Tel est le cas d'un dessin publié dans un hebdomadaire basque le 13 septembre 2011, qui faisait l'apologie des attentats de New York survenus deux jours auparavant (CEDH, 2 août 2008, Leroy c. France). Tel n'est pas le cas, en revanche, d'un dessin humoristique, simplement provocateur. La Cour estime en effet que la liberté d'expression, notamment celle des personnes publiques et des journalistes, doit s'exercer pleinement, y compris lorsque les propos tenus risquent de "heurter, choquer ou inquiéter" autrui, lorsqu'ils "comportent une certaine dose d'exagération ou de provocation".
Provocation, le mot figure bel et bien dans la jurisprudence de la Cour européenne, et pour affirmer que le discours provocateur doit être protégé par l'article 10 de la Convention, qui garantit la liberté d'expression. Les idées peuvent circuler librement, y compris celles qui déplaisent ou qui dérangent, et celles que les croyants considèrent comme blasphématoires. Sanctionner Charlie Hebdo serait revenir à la loi dite "de justice et d'amour" de 1827, qui rétablissait la censure sur la presse, au nom des valeurs religieuses. A cet égard, Charlie Hebdo, par son discours provocateur et son humour dévastateur, mène un combat contre l'obscurantisme. Il démontre que la provocation n'est pas une alternative à la liberté d'expression, mais qu'elle en est indissociable.