« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


lundi 18 juillet 2011

Les invités de LLC : Gérard-François Dumont : La recherche du "Vivre ensemble"





En droit international, il n’existe pas de définition unanimement acceptée de la notion de minorité nationale. Mais la notion de groupe humain minoritaire est utilisée dans divers documents internationaux, notamment dans la Convention-cadre du Conseil de l'Europe pour la protection des minorités nationales (ouverte à la signature depuis 1995). En outre, figure une définition dans la Recommandation 1201, adoptée le 1er février 1993 par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, recommandation demandant aux États membres d'adopter un protocole additionnel concernant les droits des minorités à la Charte européenne des droits de l'homme. L'article 1er définit cinq conditions :

« L'expression « minorité nationale » désigne un groupe de personnes dans un État qui :
a. résident sur le territoire de cet État et en sont citoyens ;
b. entretiennent des liens anciens, solides et durables avec cet État ;
c. présentent des caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques ;
d. sont suffisamment représentatives, tout en étant moins nombreuses que le reste de la population de cet État ou d'une région de cet État ;
e. sont animées de la volonté de préserver ensemble ce qui fait leur identité commune, notamment leur culture, leurs traditions, leur religion ou leur langue. »
    
Considérons donc un pays dont la géodémographie se caractérise par l’existence d’au moins une minorité nationale conforme à cette définition. Il existe plusieurs types d’inclusion.

Ainsi, dans les pays démocratiques, les personnes qui pensent appartenir à un groupe humain minoritaire bénéficient, pour préserver leur spécificité, des libertés existantes et notamment de la liberté associative, qui leur offre un cadre pour enrichir leurs liens et promouvoir leur reconnaissance par la société ou leur place dans la géopolitique interne et faire connaître leurs avis.

Cette inclusion des groupes humains minoritaires par la possibilité pour eux de bénéficier des mêmes libertés que les autres peut être illustrée par l’exemple des rapatriés en France, citoyens français qui ont dû quitter les anciennes colonies françaises au moment de leur accession à l'indépendance ou ultérieurement. Ces rapatriés n’ont jamais souhaité s’y organiser comme un parti politique distinct, mais ont créé nombre d’associations et constitué un réseau cherchant à préserver leurs liens et leur culture historique. 
    
Toujours dans les pays démocratiques, des groupes humains minoritaires peuvent considérer que la défense de leurs intérêts justifie de participer, en tant que tels, aux élections et notamment aux élections législatives. Cette voie est plus ou moins praticable selon le système électoral. Si ce dernier est fondé sur un découpage géographique selon de nombreuses circonscriptions, un groupe humain très présent seulement dans quelques régions du pays, voire une seule, peut obtenir une représentation parlementaire. Dans le cas d’un système de représentation proportionnelle nationale1, un groupe humain dont la localisation est dispersée sur l’ensemble du territoire peut obtenir des représentants au Parlement. 
    
Par la présence de représentants politiques, les groupes humains minoritaires concourent aux décisions nationales et internationales. Dans certains pays, cette représentation directe ou l’existence de tels groupes est institutionnalisée. En vue de reconnaître l’existence d’un groupe humain dans les institutions du pays, plusieurs possibilités existent, en effet, à travers des textes constitutionnels ou réglementaires : représentation politique minimale, organisation d’un corps électoral spécifique, reconnaissance d’une langue minoritaire… Prenons l’exemple de la Slovénie. Sa constitution de la république du 23 décembre 1991 contient l’Article 80 suivant : « Composition et élections : l'Assemblée nationale est composée de députés des citoyens slovènes et compte quatre-vingt-dix députés. Les députés sont élus au suffrage secret, direct, égal et universel. Un député pour chaque communauté nationale italienne et hongroise est toujours élu à l'Assemblée nationale ». La Slovénie dispose donc d’une reconnaissance institutionnelle de deux groupes humains minoritaires en leur accordant au moins un député chacun. 

Dans certains pays, une façon autre ou supplémentaire de reconnaître un groupe humain minoritaire consiste à donner un statut particulier à la langue de ce groupe. Par exemple, à Maurice, la constitution du 12 mars 1992 protège l’emploi de la langue française au sein de l’organe législatif dans un article 49 qui précise : «  La langue officielle de l'Assemblée est l'anglais, mais tout membre peut s'adresser à la présidence en français. » Les locuteurs de langue française sont donc traités comme une minorité qu’il s’agit de reconnaître tout en assurant la primauté d’une langue principale comme langue officielle de communication.
    
Les solutions politiques présentées ci-dessous consistent à donner des libertés aux personnes se sentant appartenir à un groupe humain minoritaire, qu’il s’agisse de la possibilité de bénéficier des mêmes lois que leurs compatriotes ou de libertés propres au groupe dans le souci de préserver la diversité humaine du pays. 

Distinguer « fin » et « objectif »
    
À l’examen de la situation des groupes humains minoritaires selon les pays, il apparaît clairement qu’à chaque fois, c’est essentiellement la conception idéologique du pouvoir politique, selon qu’il adhère ou non à une logique de fin, qui engendre les moyens. En effet, chaque fois qu’un pouvoir se voit tenu de décider d’une attitude vis-à-vis d’un groupe humain minoritaire résidant dans le pays, l’alternative est la suivante. Soit il met en place des modes d’inclusion : il peut fixer des règles permettant aux membres d’un groupe humain minoritaire de bénéficier des mêmes droits individuels, politiques ou associatifs que tous les autres citoyens, ou choisir un mode de reconnaissance juridique spécifique du groupe considéré. Soit il conduit des politiques d’exclusion dont l’éventail va de la négation de la diversité jusqu’à sa destruction violente par un génocide. 
    
À la lumière de ces exemples puisés dans la géopolitique des populations, il apparaît clairement que, dans la formule « La fin justifie-t-elle les moyens ? », le mot essentiel est le mot « fin ». C’est donc sur son sens qu’il faut s’interroger. Or il apparaît clairement une distinction fondamentale. Lorsqu’il y a recherche d’inclusion d’un groupe humain minoritaire dans une société, ce n’est pas une « fin » qui est recherchée, mais un « objectif ». Autrement dit, l’Etat sait que le « vivre ensemble », même s’il appelle par exemple des législations ou des mesures spécifiques, est un effort constant à poursuivre jour après pour. En revanche, les politiques d’exclusion visent non un objectif, mais une fin, donc un terme, une situation où le groupe humain minoritaire devrait se trouver hors d’état d’influence sur la société parce qu’il se trouverait totalement dominé, ses spécificités effacées ou son existence supprimée.

Gérard-François Dumont
Professeur à l'Université de Paris-Sorbonne
    


dimanche 17 juillet 2011

Eloignement des étrangers : pas de temps à perdre !

Les deux premiers décrets d’application de la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, en date du 8 juillet, ont été publiés au JO du 9, et seront en vigueur le 18.  De toute évidence, cette réforme est placée sous le signe de la rapidité. 

Rapidité du processus normatif, tout d’abord. Alors que l’on déplore souvent la lenteur mise dans l’élaboration des textes d’application, ceux là sont en vigueur un mois après la promulgation de la loi. On ne peut que s’en réjouir, car cette célérité permet de lever un certain nombre d’incertitudes juridiques.  

Rapidité aussi dans les procédures applicables. Le premier décret (n° 2011-819) porte sur l’ensemble du contentieux administratif  de l’éloignement, à l’exception des arrêtés d’expulsion. Sont donc concernés les obligations de quitter le territoire avec un délai, les interdictions de retour, les reconduites à la frontière, les placements en rétention, les assignations à résidence, et même la désignation de choix du pays de renvoi.

Les délais de recours ne sont pas sensiblement modifiés. Le droit commun est de 30 jours après la décision, mais il peut être ramené à 48 heures, lorsqu'il s'agit d'une décision d'éloignement immédiat. On observe cependant que ces délais ne sont susceptibles d'aucune prorogation, même en cas de recours administratif.

La décision juridictionnelle est elle même enfermée dans des délais très brefs. Dans le but de fluidifier le contentieux, le décret opère une distinction simple. 
  • Si l’étranger est privé de liberté, la décision doit être rendue dans les 72 heures suivant le dépôt du recours ou la transmission par le préfet de la décision de placement en rétention ou d’assignation à résidence. Dans de telles conditions de rapidité, voire de hâte, la décision est rendue par un juge unique et dispensée de conclusions du rapporteur public. 
  • En revanche, si l’étranger est libre, le tribunal, cette fois en formation collégiale, doit statuer dans un délai de trois mois après le dépôt de la requête. 
Dans tous les cas, le décret autorise le juge à « passer outre sans mise en demeure » si les parties ne respectent pas les délais fixés pour produire leurs observations. Et si le mémoire en défense visant à contester une rétention administrative ou une assignation à résidence n'est pas produit dans les 15 jours, le requérant sera tout simplement réputé s'être désisté. Reste à se demander quelle sera la position de la Cour européenne des droits de l'homme face à cette présomption de désistement..

Le second décret (n° 2011-820) insère un titre consacré à l’assignation à résidence dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Cette décision est prise par le préfet, qui fixe également le périmètre dans lequel l’étranger est autorisé à circuler. On notera toutefois que cette assignation à résidence peut être conciliée avec une autorisation de travail. 

On attend impatiemment les autres décrets d’application, qui seront certainement rapidement publiés. 

samedi 16 juillet 2011

Les Anglais en Irak, rattrapés par la Cour européenne

La Grande Chambre de la Cour européenne vient de rendre, le 7 juillet, deux décisions très attendues sur diverses exactions à l’égard de civils commises par les troupes britanniques en Irak, dans le courant de l’année 2003.

La première requête,  Al Skeini c. Royaume Uni, a été déposée par les familles de victimes civiles. Trois ont été tuées par balles par des soldats britanniques, une a  reçu une balle perdue lors d’une fusillade, une autre a été battue par des soldats britanniques et contrainte de se jeter dans une rivière où elle se noya. La dernière enfin est décédée par asphyxie sur une base militaire anglaise, son corps portant 93 blessures constatées par un médecin légiste. 

La seconde affaire, Al Jedda c. Royaume Uni, porte sur un internement arbitraire de trois années infligé à un ressortissant britannique d’origine irakienne, dans un camp de Bassorah.

Dans les deux cas, la question principale porte sur l’application de la Convention européenne des droits de l’homme : les ressortissants irakiens victimes de ces exactions relèvent ils de la juridiction de la Grande Bretagne au sens de l’article 1er  ? Peuvent ils donc se prévaloir de l’article 2 protégeant le droit à la vie, et de l’article 5 § 1 relatif au principe de sûreté ?

On s’en doute, la position britannique sur la question était négative. Les mémoires en défense mentionnaient qu’assurer à des Irakiens la protection de la Convention européenne pouvait s’analyser comme une forme d’ « impérialisme des droits de l’homme ». 

Dans  l’affaire Al Skeini, la justice britannique refusait, depuis 2004, d’ouvrir une enquête sur ces décès, d’en accepter la responsabilité et donc d’indemniser les requérants. Le 13 juin 2007, la Chambre des Lords confirma cette position, estimant que ces victimes n’étaient pas sous la juridiction britannique. La seule exception à ce principe concernait celle qui était décédée sur une base militaire anglaise. 

Dans l’affaire Al Jedda, la Grande Bretagne estimait que l’internement était imputable à l’ONU et non pas aux autorités britanniques. La Chambre des Lords, qui a statué le 12 décembre 2007, a estimé que l’internement résultait d’une obligation posée par la résolution 1546 du Conseil de sécurité, qui faisait obligation aux alliés d’interner les individus constituant une menace pour la sécurité en Irak. Cette obligation posée par le Conseil de sécurité prévaudrait sur celles que la Convention européenne fait peser sur le Royaume Uni. 


Salvador Dali
Prémonition de la Guerre civile


La Cour européenne a balayé ces deux séries d’arguments. Reprenant l’historique de l’occupation de l’Irak par la coalition, elle constate qu’après la fin des opérations militaires le 1er mai 2003, les alliés ont créé une « Autorité provisoire », qui a reçu, par la résolution 1483 du Conseil de sécurité, la mission de « promouvoir le bien-être de la population irakienne en assurant une administration efficace du territoire, notamment en s’employant à rétablir les conditions de sécurité et de stabilité (…) »

De ces dispositions, la Cour déduit que le Royaume Uni a assumé en Irak (conjointement avec les Etats Unis) des « prérogatives qui sont normalement celles d’un Etat souverain ». Pendant cette période de circonstances exceptionnelles, les civils irakiens étaient donc placés sous l’autorité, mais aussi sous la protection, des forces d’occupation. Cette situation suffisait alors à créer le lien juridique entre les autorités britanniques et leurs victimes irakiennes. 

Dès lors, la solution s’impose d’elle même, et, dans l’affaire Al Skeini la Cour européenne engage la responsabilité du Royaume Uni en se fondant sur l’article 2 de la Convention (droit à la vie), précisant évidemment qu’il n’avait pas satisfait à son obligation de diligenter des enquêtes sur les conditions de ces décès. 

Dans l’affaire Al Jedda, la Cour reprend le même raisonnement, et en déduit que la victime de l’internement n’était pas placée sous l’autorité de l’ONU, mais sous celle des forces britanniques. Elle ajoute d’ailleurs qu’aucune des résolutions du Conseil de sécurité ne faisait obligation aux alliés de recourir à l’internement. Dès lors, il n’y avait aucun conflit entre les obligations imposées au Royaume Uni par la Charte et celles découlant de la Convention européenne. La Cour condamne en conséquence les autorités britanniques qui n’ont pas respecté le principe de sûreté figurant dans l’article 5 § 1. 


Au terme de l’analyse, on pourrait se réjouir de voir la Cour européenne donner quelques leçons d’ « habeas corpus » aux autorités britanniques. 

Souvenons nous en effet que ces dernières invoquaient devant la Cour l’idée qu’appliquer les droits de la Convention européenne en Irak traduisait une sorte d’ « impérialisme des droits de l’homme ». Sur ce point, on ne peut que reprendre la conclusion de l’opinion concordante, et particulièrement décapante, du Juge Bonello : « Il ne sied guère à un Etat qui, par son impérialisme militaire, s’est invité sur le territoire d’un autre Etat souverain sans l’ombre d’une caution de la part de la communauté internationale de craindre qu’on l’accusé d’avoir exporté l’impérialisme des droits de l’homme dans le camp de l’ennemi vaincu. C’est comme si un Etat arborait ostensiblement son badge du banditisme international et se montrait choqué à l’idée qu’on puisse le soupçonner de défendre les droits de l’homme ». 



jeudi 14 juillet 2011

La jutice des mineurs va-t-elle disparaître ?

Depuis la célèbre ordonnance du 2 février 1945, la justice des mineurs est conçue comme une exception. Il ne s’agit pas tant, comme pour les majeurs, de juger un acte de délinquance, mais bien davantage de s’intéresser à celui qui l’a commis, dans une perspective globale qui cumule sanction et assistance éducative.  De fait, le juge des enfants assure une sorte de continuum éducatif qui va de l’instruction de l’affaire, à la sanction, puis à l’application de la peine. Cette vision globale repose sur l’idée qu’un mineur délinquant est, avant tout, un enfant en danger. 

Même si ce système peut être justifié par des considérations de fait, même si on doit saluer le travail fait par les juges des enfants dotés de moyens dérisoires par rapport à l’ampleur de leur tâche, le problème constitutionnel existe bel et bien.  Le principe d’impartialité des juridictions interdit en effet qu’un magistrat ayant poursuivi ou instruit un dossier puisse ensuite le juger.  

Dans une QPC du 8 juillet, le Conseil constitutionnel, s’appuyant sur le principe d’impartialité, considère donc comme non conforme à la constitution l’article L 251-3 du Code de l’organisation judiciaire, qui prévoit que le juge des enfants qui procède à l’instruction de l’affaire est également le président de la formation de jugement. 

Le problème est que cette décision constitue l’épisode le plus récent, mais peut être pas l’ultime, d’une jurisprudence triangulaire faisant intervenir la Cour de cassation, la  Cour européenne des droits de l’homme, et le Conseil constitutionnel. 

- La Cour de cassation avait considéré, dès 1993 que cette organisation particulière de la justice des mineurs était conforme à l’article 6 al. 1 de la Convention européenne, qui « ne fait pas obstacle à ce qu’un même magistrat spécialisé dans les affaires des mineurs, prenant en compte l’âge du prévenu et l’intérêt de sa rééducation, puisse intervenir à différents stades de la procédure ».  La Cour a d’ailleurs confirmé sa position en refusant purement et simplement d’intégrer cette question dans sa décision de renvoi de la QPC du 27 avril 2011. En effet, ce renvoi ne porte que sur la présence d’assesseurs non professionnels parmi les membres du tribunal pour enfants, éventuellement susceptible de porter atteinte au caractère équitable du procès. Aux yeux de la Cour, l’article L 251-3,  qui prévoit que le juge qui instruit l'affaire préside également le tribunal pour enfants n’a pas à être déféré au Conseil constitutionnel.

- La jurisprudence de la Cour européenne n’est pourtant plus aussi claire, depuis sa décision Adamkiewicz rendue le 2 mars 2010. Il est vrai que le juge européen reconnaît « le caractère singulier » de la justice des mineurs. Il prend soin néanmoins de préciser qu’il ne lui appartient pas d’apprécier in abstracto la législation d’un Etat, mais seulement de contrôler si son application à un cas d’espèce est conforme à la Convention. Or, dans l’affaire Adamkiewicz, le juge des enfants, en l’espèce polonais, avait pris, comme juge d’instruction, différents actes augurant de la culpabilité du mineur poursuivi. Dès lors, « il peut difficilement être affirmé que ledit magistrat n’avait pas d’idée préconçue sur la question sur laquelle il a été appelé à se prononcer ultérieurement en tant que président de la formation de jugement ». Et la Cour européenne de conclure qu’elle ne voit pas exactement dans quelle mesure cette « double casquette » du juge contribue à promouvoir l’intérêt supérieur de l’enfant.

- Dans la QPC du 8 juillet, le Conseil constitutionnel ne s’attarde pas sur la question des assesseurs non professionnels qui ne lui semble pas en soi inconstitutionnelle.. et il soulève d’office la question de l’impartialité de ce même tribunal.

Le Conseil énonce très clairement que le principe d’impartialité ne s’oppose pas à ce que le juge des enfants puisse prononcer des mesures d’assistance, de surveillance ou d’éducation. Toutefois, il considère que l’article L 251-3 du Code de l’organisation judiciaire, en permettant au juge des enfants qui a « été chargé d’accomplir les diligences utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et qui a renvoyé le mineur devant le tribunal de présider cette juridiction de jugement » porte au principe d’impartialité une atteinte contraire à la Constitution. 

François Truffaut
Les 400 coups
Le Conseil constitutionnel applique ainsi à la justice des mineurs les principes qui gouvernent celle des majeurs. Plus ou moins implicitement, il s’oppose à la thèse du caractère singulier d’une justice davantage tournée vers l’éducation que vers la répression, thèse précisément soutenue par la Cour de cassation. 

On comprend dès lors que cette QPC suscite les inquiétudes des juges des enfants qui y voient  l’instrument d’une lente destruction de la justice des mineurs. Le mineur délinquant n’est-il pas de plus en plus considéré comme délinquant, qui doit être puni comme un majeur ? Ces craintes sont accrues par les dispositions de la loi Mercier qui prévoient la création d’un tribunal correctionnel pour mineurs de 16 ans. Le juge des enfants devrait donc limiter son activité aux seuls enfants de moins de 16 ans… dispositions dont le Conseil constitutionnel a  précisément été saisi le 7 juillet. 

Doit-on en déduire que le Conseil constitutionnel reprend à son compte cette approche sécuritaire de la justice des mineurs ? Certainement pas, car celle ci dépend du législateur, et le Conseil n’a pas encore statué sur la loi Mercier. Quant à la présente QPC, il prend soin, en considérant les « conséquences excessives » d’une abrogation immédiate de l’article L 251-1 du Code de l’organisation judiciaire, de repousser cette dernière au 1er janvier 2013… c’est à dire après les élections présidentielles. 

mardi 12 juillet 2011

Egalité des salaires, un décret en trompe l'oeil

On ne change pas la société par décret,
disait Michel Crozier.


Garantir l’égalité salariale entre les hommes et les femmes est à l’évidence un objectif parfaitement louable, mais les moyens mis en oeuvre par le décret risquent fort d'être inefficaces.

Le décret oblige les entreprises de plus de 50 salariés à passer un accord sur l’égalité professionnelle, ou, à défaut, à engager un plan d’action dans ce domaine. Celles de plus de 300 salariés se voient en outre imposer les domaines dans lesquels ces actions doivent se développer (embauche, formation, qualification, conditions de travail, rémunération etc..).

Entendons nous bien… Ces documents, qui devront être adoptés avant le 1er janvier 2012, n’ont pas pour objet de réaliser concrètement et immédiatement l’égalité. Ils doivent seulement « fixer les objectifs de progression et les actions permettant de les atteindre ». Inutile de mettre en œuvre une égalité effective, il suffit de rédiger un plan…

Et si les entreprises n’ont pas adopté accord professionnel ou plan d’action dans le délai imparti, elles pourront se voir infliger des pénalités. Cette perspective, sans doute moyennement effrayante pour l’entreprise, est surtout satisfaisante pour l’Etat qui tire un bénéficie sonnant et trébuchant de la réforme.

Juin 1968. Manifestation de femmes conducteurs de bus.
Dagenham (Grande Bretagne)
Quant aux femmes travaillant dans les PME inférieures à 50 salariés (soit 97 % des entreprises françaises), elles sont purement et simplement exclues du dispositif, alors que ce sont probablement elles qui souffrent des plus grandes inégalités salariales. Mais qui pense à elles ?

Certainement pas les mouvements féministes, dont les méchantes langues diront qu’ils sont trop occupés à défendre les femmes de ménage new-yorkaises. 

lundi 11 juillet 2011

Les minarets suisses et la Cour européenne


En juillet 2008, une « initiative populaire » avait réuni 113 540 signatures de citoyens helvétiques « contre la construction de minarets ». L’introduction de cette prohibition dans la constitution avait ensuite été adoptée par référendum le 29 novembre 2009 avec 57, 5 % des voix, provoquant l’introduction dans la constitution d’un nouvel article 72 al 3 : « La construction de minarets est interdite ».

Ce bref rappel historique est indispensable pour comprendre le sens des deux décisions d’irrecevabilité rendues le 8 juillet par la Cour européenne des droits de l’homme (Ouardiri c. Suisse ; Ligue des Musulmans de Suisse et a. c. Suisse). Que l’on adhère ou non à l’interdiction des minarets, il n’en demeure pas moins qu’elle a été prise à l’issue d’un processus démocratique, qui plus est de démocratie directe, celle qui exprime avec le plus de justesse la volonté du peuple souverain.

La précision n’est pas mince, car elle conduit à se demander comment la Cour pouvait se tirer d’un bien mauvais pas. Déclarer qu’une législation votée dans le cadre d’un régime représentatif n’est pas conforme à la Convention européenne peut s’analyser comme la simple mise en œuvre du principe de supériorité du traité sur la loi interne. En revanche, déclarer non conforme une disposition constitutionnelle votée directement par le peuple reviendrait à affirmer qu’une cour de justice peut s’opposer à l’expression même de la souveraineté.. C’est une autre affaire.
Camoin
Le minaret

Ce défaut de légitimité conduit la Cour, dans l’affaire Ouadiri, à refuser de se fonder sur l’article 13 de la convention, le requérant se plaignant de l’absence de recours effectif lui permettant de contester une norme constitutionnelle. La Cour fait d’ailleurs observer que rien n’interdit un recours contre une règle d’application de la norme constitutionnelle,

Finalement, la Cour choisit la solution la plus simple, qui est de déclarer irrecevables les différents recours. Pour les juges européens, les différentes associations musulmanes requérantes ainsi que M. Ouadiri, lui même dirigeant d’une fondation musulmane, ne sont pas des « victimes » au sens de l’article 34 de la Convention.

Ils ne sont pas des victimes « directes », et la Cour prend soin de préciser qu’ils n’ont pas pour projet de construire eux mêmes une mosquée. Ils ne sont pas davantage des victimes « indirectes », puisqu’ils n’ont aucun lien de proximité avec une victime directe. Ils ne sont pas, enfin, des victimes « potentielles », puisqu’ils n’auront pas à subir directement les effets de la nouvelle disposition constitutionnelle. En effet, ils se fondement exclusivement sur le fait qu’elle heurte leurs convictions religieuses. Mais la Cour fait observer que l’interdiction de construire un minaret n’a pas pour effet de leur interdire l’exercice de leur religion et que leur comportement n’en sera en aucun cas modifié. Ayant la chance de résider au cœur de la démocratie suisse, ils pourront même développer un combat politique contre cette disposition qu’ils récusent.

En déclarant ces recours irrecevables, la Cour ne met pas fin au débat mais le repousse. Il est probable en effet qu’elle aura prochainement à se prononcer sur des mesures d’application refusant la construction de minarets.