« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 17 août 2023

Les libertés à l'école : les choses bougent


Le décret du 16 août 2023 n'a guère attiré l'attention des médias. La lecture du Journal officiel n'est pas précisément une lecture de plage et il est plus facile de centrer l'information sur la météo, trop chaude pour les uns, trop froide pour les autres. Et pourtant ce décret témoigne d'une évolution au sein du ministère de l'Éducation nationale. 

Son objet est de "conforter le respect des principes de la République" au sein du service public de l'enseignement. La formulation montre qu'il s'agit d'étendre à ce domaine les principes posés par la loi du 24 août 2021, elle-même "confortant les principes de la République". L'article 1er de ce texte rappelle ainsi que "lorsque la loi ou le règlement confie directement l'exécution d'un service public à un organisme de droit public ou de droit privé, celui-ci est tenu d'assurer l'égalité des usagers devant le service public et de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité du service public". Depuis cette date, des décrets d'application sont intervenus, notamment pour imposer le "Contrat d'engagement républicain" au secteur associatif. 

Mais l'Éducation nationale restait à l'écart, comme si elle n'était pas concernée par la loi. Au contraire, le ministre placé à la tête de ce département ministériel s'efforçait de détruire les outils existants destinés à soutenir les enseignants confrontés à de nombreuses atteintes au principe de laïcité. C'est ainsi que le "Conseil des sages de la laïcité" mis en oeuvre par J.M. Blanquer se voyait privé de sa fonction d'interlocuteur des enseignants. Considérablement élargi, il était "enrichi" de nouveaux membres, pour la plupart assez peu favorables au principe de laïcité.

Heureusement, le ministre a finalement été renvoyé à ses chères études, et son successeur semble se préoccuper davantage de ces questions. Le décret du 16 août 2023 se présente, avant tout, comme un texte qui met en oeuvre une procédure disciplinaire, en distinguant les faits de harcèlement et les atteintes aux valeurs de la République, et notamment la laïcité. Dans les deux cas, il s'agit donner les moyens aux directeurs d'école et aux chefs d'établissement d'apporter une réponse appropriée à certains comportements de la part des élèves.

 


 Calvin & Hobbes. Bill Watterson

 

Le harcèlement

 

A l'école primaire, une procédure ne peut être engagée que si "le comportement intentionnel et répété d'un élève fait peser un risque caractérisé sur la sécurité ou la santé d'un autre élève de l'école". Cette formulation se rapproche de la définition du harcèlement moral, dans le domaine des relations de travail. L'article L 1152-1 du code du travail dispose ainsi qu'"aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel". A l'école, comme au travail, le caractère répété du harcèlement est un élément de sa définition, comme l'a rappelé la Chambre sociale de la Cour de cassation le 13 février 2013. 

Bien entendu, des actes commis par des enfants de l'école primaire ne sauraient susciter des poursuites, au sens traditionnel du terme. Le décret prévoit une réaction de l'institution en plusieurs étapes. Dans un premier temps, des mesures éducatives destinées à faire cesser le comportement de l'enfant harceleur sont envisagées par l'équipe, en concertation avec les parents. Le directeur de l'école peut alors suspendre l'accès à l'établissement de l'élève pour une durée maximum de cinq jours.

Si le harceleur persiste dans son comportement, le directeur académique, saisi par le directeur de l'école, peut demander au maire de procéder à la radiation de l'élève et de procéder à son inscription dans un autre établissement rattaché à la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale. Dans sa nouvelle école, l'enfant bénéficiera d'un suivi pédagogique renforcé jusqu'à la fin de l'année scolaire. Là encore, le directeur de l'école peut suspendre l'accès de l'enfant à l'établissement jusqu'à la fin de la procédure. 

Ces dispositions présentent l'avantage d'associer tous les acteurs concernés, y compris les parents de l'élève harceleur, à la procédure. Sa mise en oeuvre risque toutefois d'être délicate dans les petites communes, où il n'existe qu'une seule école. L'inscription de l'enfant dans un établissement d'une commune voisine est en effet subordonnée à l'accord de l'élu qui risque de voir d'un mauvais oeil l'arrivée d'un jeune harceleur en cours d'année.

Dans les établissements secondaires, collèges et lycées, la procédure est identique mais le décret étend la procédure aux actes de harcèlement commis à l'encontre d'élèves d'autres établissements. Le texte permet ainsi de s'attaquer aux phénomènes collectifs de harcèlement, plus fréquents dans l'enseignement secondaire que dans l'enseignement primaire.


Valeurs de la République et laïcité


Le décret prévoit une procédure disciplinaire applicable aux élèves pour les faits portant une atteinte aux valeurs de la République ou au principe de laïcité. L'essentiel du décret réside sans doute dans le fait que le chef d'établissement a compétence liée, ce qui signifie qu'il est tenu d'engager des poursuites disciplinaires en cas d'atteinte au principe de laïcité. C'est évidemment un gros progrès, dans la mesure où le chef d'établissement est désormais protégé par la règle juridique impérative. 

Il est aussi protégé par sa hiérarchie. Il a ainsi le choix entre deux procédures. Il peut saisir le conseil de discipline de l'établissement compétent pour prononcer la sanction. Pour se protéger et montrer le soutien de son administration, ce conseil peut être présidé par le Directeur académique des services de l'Éducation nationale (DASEN) ou son représentant. Mais s'il estime que la sérénité du conseil de discipline n'est pas assurée, ou que l'ordre et la sécurité dans l'établissement risquent d'être compromis, il peut, en quelque sorte, délocaliser la procédure. C'est alors le conseil de discipline départemental qui se prononce, à l'abri de l'agitation.

On ne peut que se réjouir de voir enfin un texte témoignant du soutien de la hiérarchie de l'Éducation nationale envers des enseignants qui se sentaient totalement abandonnés. Sur ce point, le décret est aussi un message envoyé par le nouveau ministre Gabriel Attal, témoignant d'une rupture totale avec la politique de son prédécesseur.

On attend, bien entendu, de voir comment ces dispositions seront appliquées. Il s'agit maintenant de les mettre en oeuvre, sans crainte des différents lobbies, sans crainte des parents d'élèves.

 

 Laïcité dans l'enseignement : Chapitre 11, section 1 § 2 du manuel de Libertés publiques sur internet


3 commentaires:

  1. Comme vous le soulignez judicieusement dans votre conclusion, attendons de voir ! Nul n'ignore, surtout dans une une société de la communication comme la nôtre, le fossé existant entre les paroles fortes et les actes faibles.

    L'on peut s'étonner, par ailleurs qu'il faille adopter un énième texte de circonstances pour répondre à un problème systémique (Cf affaire Paty, agressions des enseignants et proviseurs par parents et élèves, harcèlement, remise en cause de notre mode de vie...). Pourquoi ne pas renvoyer aux grands principes fondateurs de la République et autres valeurs que nous souhaitons exporter aux quatre coins de la planète. Ils existent bel et bien. Il suffit de les rappeler dans une charte que parents et élèves devraient signer avant chaque rentrée scolaire sous peine de refus d'admission.

    Ce sujet renvoie à une question fondamentale dans notre société, celui du respect de l'autorité. Tant qu'elle n'aura pas trouvé une réponse adéquate et ferme, tous les dispositifs mis en place ne seront que d'une utilité marginale.

    "Appuyez-vous sur les principes, ils finiront bien par céder" pourrait être la devise d'une Macronie sans cap ni boussole.

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