Domicile v. Propriété
Photographie anonyme. 1871 |
Contrôle de proportionnalité
La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), de son côté, estime, depuis un arrêt Winterstein c. France du 17 octobre 2013, qu'une occupation, même illégale, confère à l'occupant des garanties liées à sa vie privée. En l'espèce, elle voit une violation de l'article 8 de la Convention dans le droit français autorisant l'expulsion de gens du voyage de terrains qu'ils occupaient illégalement à Herblay. Observons toutefois que cette violation ne résulte pas de l'expulsion en tant que telle, mais de l'absence de contrôle de proportionnalité de l'ingérence ainsi réalisée dans la vie privée des intéressés. Elle insiste en particulier sur la nécessité de proposer aux intéresser des solutions de relogement.
Les juges du fond se sont immédiatement saisis de ce contrôle de proportionnalité. La Chambre criminelle, dans un arrêt du 31 janvier 2017, examine ainsi la proportionnalité d'une décision de démolition d'une construction illégale au regard du droit au respect de la vie privée de celui qui est aussi l'auteur de l'infraction. Mais ce contrôle ne l'empêche pas un an plus tard, le 16 janvier 2018, de considérer comme licite la démolition d'une construction illégale en zone inondable, quelle que soit l'atteinte à la vie privée et familiale que cette mesure entraine.
La 3è Chambre civile suit en quelque sorte la chambre criminelle dans cette évolution. Dans une première décision du 4 juillet 2019, elle sanctionne, à la demande de toute une série d'associations, une décision de la cour d'appel de Montpellier qui avait écarté le recours dirigé contre l'expulsion d'un campement illégal. Elle se fondait sur le motif traditionnellement affirmé constatant l'existence d'un "trouble manifestement illicite caractérisé par l'occupation sans droit ni titre". Aux yeux de la Cour, les juges du fond doivent donc se livrer à ce contrôle de proportionnalité. Considérée sous cet angle, la décision du 28 novembre 2019 apparaît comme l'équivalent, au civil, de celle intervenue au pénal le 16 janvier 2018. Le contrôle de proportionnalité, en effet, est effectué par le juge, pour finalement conclure que l'ingérence dans la vie privée des occupants sans titre "ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété".
La décision apparaît ainsi comme un cas d'effet boomerang d'une jurisprudence de combat. En exerçant le contrôle de proportionnalité, la Cour apprécie à la fois l'ingérence dans la vie privée des occupants sans titre, mais aussi l'ingérence dans le droit de propriété. Et précisément, les juges du fond se sont exclusivement fondés sur la première, en oubliant le second. La cour de cassation constate alors que "l'expulsion est la seule mesure de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien occupé illicitement". En refusant cette expulsion, les juges du fond ont donc conduit la Cour de cassation à affirmer haut et fort que le droit de propriété doit prévaloir sur la vie privée des occupants sans titre. Il est vrai qu'une occupation sans titre conduit à priver le propriétaire de l'ensemble des attributs du droit de propriété : l'usus, le fructus, et l'abusus.
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