« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 25 juillet 2019

Les droits de l'homme sans l'homme

Lors d'une conférence de presse du 8 juillet 2019, le Secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo a annoncé la création d'une Commission on Unalienable Rights présidée par Mary Ann Glendon, professeur à Harvard. Il s'agit de rien de moins que d'un profond réexamen de la notion de "droits inaliénables", la première, affirme M. Pompeo, depuis la Déclaration universelle des droits de l'homme. Conformément à une pratique américaine bien antérieure à la présidence Trump, cette commission composée d'universitaires et de militants des droits de l'homme sera néanmoins très proche de l'administration, son secrétariat étant assuré par Kiron Skinner, directeur de la planification au Département d'Etat.

Que l'on ne s'y trompe pas. Il ne s'agit pas de déterminer ce que doit être la politique américaine à l'égard des Etats qui violent les droits de l'homme. Il s'agit de dire ce qu'est un droit de l'homme, définition qui, ensuite, pourra peut-être, ou peut-être pas, servir de fondement à cette politique. Les débats qui entourent la création de la Commission montrent que l'idée font même apparaître une attractivité de la notion de "Natural Rights". Sans doute, mais pourquoi cette notion séduit-elle l'administration Trump ? 

Au-delà de cette question se trouve une constatation d'évidence. Cette volonté de changement ne concerne pas que l'administration Trump. On la trouve aussi du côté de ses opposants les plus vigoureux, du côté des militants, des ONG. Ceux-là ont choisi la notion de "Droits humains". Perçue comme moins sexiste, elle est plus sexy, plus à la mode, sans que ses utilisateurs ne s'interrogent pas les conséquences de son usage.

En réalité, l'opposition entre les deux démarches est purement rhétorique. Les "droits humains" et les "droits naturels" ont en commun de considérer l'être humain non plus comme un sujet de droit mais comme un objet de droit. Tous deux ont en commun une certaine dépossession de l'individu. 


Droits humains




Passons rapidement sur les "droits humains". Catherine-Amélie Chassin a fait une brillante critique de cette notion sur Liberté Libertés Chéries, il y a juste un an, le 17 juillet 2018. Elle a montré que la notion de "droits de l'homme", aujourd'hui décriée car pas suffisamment "inclusive", vise l'homme, "homo", c'est-à-dire l'être humain, et non pas "vir", l'homme sexué "viril". Peut-être peut on regretter que la langue française ne dispose que d'un seul mot quand le latin en possédait deux, mais doit-on est-ce si compliqué de comprendre que les droits de l'homme visent l'espèce humaine dans son ensemble ? 

Surtout, et c'est sans doute le plus gênant, il existe une différence entre les "droits de l'homme" et les "droits humains", différence si évidente qu'elle passe inaperçue. Dans les "droits de l'homme", les droits appartiennent à l'homme et il en est le titulaire. En revanche, le malheureux "humain" des "droits humains" n'est plus qu'un adjectif, un objet de droits. Là encore, la construction n'est pas neutre. Les intérêts de l'être humain ne relèvent plus de son libre arbitre mais peuvent être pris en charge par toute une série de corps intermédiaires. Il peuvent être appréhendés par rapport à la communauté à laquelle il appartient, par rapport à son sexe, à ses convictions religieuses etc. De fait, le principe de non-discrimination entre communautés est au coeur de la notion, au détriment du principe d'égalité devant la loi. 

Le Sacret du Printemps. Maurice Béjart. 1959


Droits naturels



En apparence, les "droits naturels" qui semblent séduire l'Administration Trump sont bien éloignés des "droits humains". Il s'agit en effet de se recentrer sur l'Ecole du droit naturel, l'idée que les droits appartiennent à l'individu en raison de sa qualité d'être humain. En témoigne l'insistance de Mike Pompeo sur leur caractère inaliénable. Pas d'approche genrée, et pas davantage de communautarisme.

Sans doute, mais le droit naturel a un champ très réduit, celui du "noyau dur" des droits de l'homme, droits détachés de tout lien étatique, qui concernent la vie, l'intégrité physique et morale de la personne. Cette conception jusnaturaliste du droit est surtout utilisée comme fondement du droit humanitaire, celui protège les victimes et les combattants des conflits armés contre les atteintes les plus graves, crimes de guerre, crimes contre l'humanité, torture, traitements inhumains ou dégradants. 

On voit ici tout l'intérêt de la notion pour l'Administration Trump.  Car les droits naturels sont a-historiques, détachés de toute idée de progrès ou même d'évolution.  Ils ignorent l'évolution des moeurs et sont alors écartés le droit à l'IVG, ceux liés à l'identité sexuelle, le mariage pour tous etc. Ils ignorent aussi l'évolution des technologies et disparaissent dans un même mouvement la protection des données personnelles ou l'assistance médicale à la protection. Ils ignorent enfin les droits de droits de l'homme en société, celui que Burdeau appelait l'"homme situé" dans son travail, dans sa famille, dans sa vie personnelle etc. Bref, les "droits naturels inaliénables" sont une bénédiction pour Trump, non pas parce qu'ils apportent à l'individu mais parce qu'ils lui retirent.

Ces nouvelles terminologies ne doivent pas être sous-estimées. Elles ne sont pas seulement des phénomènes de mode, ou des gadgets utilisés par un président pour justifier une politique ou par des idéologues désireux d'imposer leur point de vue. Elles sont aussi dangereuses, car elles adressent à l'individu un message simple : Inutile de revendiquer vos droits, inutile de vous considérer comme le titulaire de vos droits. D'autres sont là pour les garantir et les protéger à votre place, l'administration pour Trump, les ONG pour les partisans des droits humains. Doit-on en déduire que la tendance actuelle est de créer des droits de l'homme sans l'homme, un peu comme Pierre Dac cuisinait la sauce aux câpres sans câpres ?


Sur les droits naturels et les droits humains : Introduction du manuel de Libertés publiques sur internet , version e-book, ou version papier.


2 commentaires:

  1. La démarche pourrait s'avérer à double tranchant.

    Il n'est pas certain que le droit de porter une arme (2e amendement de la Constitution) puisse être considéré comme un droit naturel.

    Toute la construction du 2e Amendement est justement de faire du droit de porter une arme un droit naturel qui découle de la vie en société, puisque le droit de porter une arme est pour l'utiliser en cas de légitime défense (District of Columbia v. Heller 2008): il s'agit donc d'un "droit de l'homme en société".

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  2. La dictature est en marche mondiale et ils sont tous complices pour assassiner les inutiles a leurs affaires .
    Ne plus avoir le droit de défendre nos vie est un projet ancien !
    Pirate.

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