Surprise et défaut de consentement
L'intéressé a reconnu avoir usé de ce subterfuge avec un grand nombre de femmes, entre 2009 et 2015. Il estime qu'il n'y a pas eu viol puisque, au moment du rapport sexuel, elles étaient parfaitement consentantes, aucune violence ou contrainte n'ayant été exercée. Toutes ont accepté l'étrange scénario, aucune n'a demandé à retirer le bandeau pour voir à quoi ressemblait cet étrange monégasque. Les juges du fond ont donc appliqué la jurisprudence de 2001. Ils ont estimé que la stupéfaction de la plaignante en découvrant leur partenaire ne faisait pas disparaître le fait qu'elle avait librement consenti au jeu de rôle et accepté le rapport sexuel.
Surprise et prudence
Mais la Cour de cassation, en janvier 2019, adopte une définition plus large de la surprise. La plaignante fait valoir qu'elle n'aurait évidemment jamais consenti à un rapport sexuel, si elle n'avait pas pensé avoir une relation avec l'homme séduisant de la photo. La Cour estime donc que "constitue un viol le fait de profiter, en connaissance de cause, de l'erreur d'identification commise par une personne pour obtenir d'elle un rapport sexuel". L'élément de surprise est donc constitué par le stratagème minutieusement élaboré pour obtenir le consentement.
Cette analyse s'inspire directement d'une jurisprudence initiée en matière d'agression sexuelle sur mineur. Dans un arrêt du 22 janvier 1997, la Cour de cassation s'était ainsi prononcée sur le cas d'un adulte qui avait entrainé chez lui un enfant de quinze ans sous le prétexte de visiter sa propriété, avant d'organiser une véritable mise en scène, avec projection de films pornographiques. En l'espèce, les juges avaient vu dans ces pratiques un "stratagème de nature à surprendre le consentement d'un adolescent de l'âge de l'intéressé" et à constituer la surprise (...)". Comme élément de nature à altérer le consentement, la surprise s'apprécie donc à l'aune de l'absence de maturité de la victime, de sa capacité à repérer un prédateur. Dans l'arrêt du 23 janvier 2019, il est ainsi précisé que l'auteur des faits s'adressait à des femmes certes majeures, mais le plus souvent "fragilisées par une rupture". Elles étaient sensiblement dans la situation du mineur incapable de mesurer le risque qu'il prenait.
On ne doit pas en déduire que l'imprudence de la victime n'a pas de conséquences judiciaires. La question de la surprise concerne les éléments constitutifs de l'infraction, et la faute de la victime concerne son indemnisation. Autrement dit, il y a effectivement viol, dès lors que l'élément de surprise affecte le consentement. Ensuite, il appartiendra à la justice de tenir compte de l'imprudence éventuelle de la victime dans le calcul des dommages et intérêts.
Considéré sous cet angle, l'arrêt du 23 janvier 2019 marque une évolution qui n'a pas d'autre but que protéger la victime. La Cour de cassation renvoie l'affaire à la Cour d'appel de Montpellier et il sera certainement intéressant de voir comment cette jurisprudence sera mise en oeuvre. Ceci étant, la présente affaire est tout de même relativement caricaturale, tant le stratagème est évident. Elle risque de devenir très délicate à appliquer dans d'autres cas. A chaque fois, les juges devront mettre en balance les techniques employées par l'auteur des faits au regard de la crédulité de sa victime, appréciation qui conduit à pénétrer dans la psychologie de chacun des acteurs. On attend l'arrêt qui se demandera sérieusement si le fait d'inviter une personne à "prendre le dernier verre" peut être considéré comme un stratagème de nature à caractériser une surprise.
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