L'expulsion contestée ne concerne en l'espèce que deux personnes, un ressortissant malien et un ivoirien, arrivés au Maroc entre 2012 et 2013. En août 2014, ils ont tenté de pénétré en territoire espagnol en escaladant les clôtures qui entourent l'enclave de Mellila. Immédiatement repérés et arrêtés, ils sont aussitôt renvoyés au Maroc par la
Guardia Civil, sans autre forme de procès. Ils contestent cette mesure en invoquant une atteinte à
l'article 4 du Protocole n° 4 à la Convention européenne qui interdit les expulsions collectives des étrangers ainsi qu'à
l'article 13 de la Convention elle même qui garantit le droit à un recours effectif. La Cour européenne leur donne satisfaction sur ce double fondement. Même si l'arrêt n'a rien de surprenant, il offre cependant quelques précisions utiles sur la notion même d'expulsion collective.
Expulsion collective et territoire
Les autorités espagnoles s'efforcent tout d'abord d'écarter l'application de la Convention européenne. Elles affirment que les faits litigieux ne se sont pas produits sur le territoire espagnol, mais sur le territoire marocain. Les deux requérants ont été arrêtés juste après avoir sauté la clôture, avant le poste frontière de Mellila.
La CEDH ne s'épuise pas à rechercher sur quel territoire est placée la clôture ou plutôt les clôtures car il y en a trois successives. Il suffit que les intéressés se soient faits cueillir par les autorités espagnoles pour démontrer qu'ils se sont immédiatement trouvés sous la juridiction espagnole. La CEDH avait déjà statué dans le même sens, à propos de l'interception de migrants en haute mer par la marine italienne, interception immédiatement suivie d'une reconduite en Libye. Dans un arrêt
Jamaa c. Italie du 23 février 2012, elle avait reconnu la possibilité d'une expulsion extra-territoriale. La procédure avait pourtant été déclarée non conforme à la Convention, non parce qu'elle s'était déroulée en haute mer, mais parce qu'elle s'analysait comme une expulsion collective.
Le nombre de personnes expulsées
L'arrêt N.D. et N.T. c. Espagne met en lumière les éléments utilisés par la Cour pour apprécier le caractère collectif ou non de l'expulsion.
Le nombre de personnes concernées n'est, à l'évidence, pas le critère déterminant. On aurait pourtant pu le penser à la lecture de l'arrêt
Conka c. Belgique du 5 février 2002 qui définit l'expulsion collective comme "t
oute mesure contraignant des étrangers, en tant que groupe, à quitter le pays (...)". Plus récemment, dans une
décision du 3 juillet 2014 Georgie c. Russie, la Cour a déduit le caractère collectif du caractère "massif" des expulsions de ressortissants géorgiens par la Russie à partir d'octobre 2006. Alors même qu'une décision individuelle visant chacun des expulsés était effectivement prise, la CEDH observe que ces mesures ont touché plusieurs milliers de Géorgiens et que la procédure contradictoire durait en moyenne deux minutes par personne.
Dans l'arrêt du 3 octobre 2017, la Cour qualifie pourtant d'expulsion collective une mesure qui touche deux personnes. Au risque d'interpréter le silence des juges, on doit en déduire que le caractère collectif de l'expulsion ne s'apprécie pas par rapport au nombre de personnes éloignées. Dans l'arrêt Sultani c. France du 20 septembre 2007, un vol groupé de migrants vers l'Afghanistan n'avait pas été considéré comme une expulsion collective.
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Chappatte. NZZ am Sonntag. Zürich. 20 août 2015 |
L'absence de garanties procédurales
Le critère de l'expulsion collective n'est donc pas quantitatif, mais qualitatif, c'est-à-dire procédural. C'est l'absence de garanties qui définit l'expulsion collectif, dès lors que les personnes éloignées sont au moins deux. Déjà dans l'affaire Conka de 2002, la Cour avait fait remarquer que les étrangers concernés avaient tous été convoqués en même temps auprès des autorités belges sous le prétexte de compléter leur demande d'asile. Ensuite, sans avoir pu solliciter l'assistance d'un avocat, ils avaient fait l'objet d'une décision d'obligation de quitter le territoire. Ils avaient donc été éloignés avant même que leur demande d'asile ait été examinée. De même, dans l'arrêt Sharifi c. Italie et Grèce du 21 octobre 2014, trente deux migrants parvenus au port d'Ancône avaient confiés immédiatement au capitaine d'un ferry, chargé de les ramener en Grèce. Ils n'avaient pas fait l'objet d'une décision formelle d'éloignement et n'avaient donc pas pu bénéficier d'une procédure contradictoire ni d'un droit au recours.
La Cour fait preuve d'un certain réalisme dans l'appréciation du respect de ces procédures. Le fait que l'arrêté d'expulsion ne se réfère pas à la procédure contradictoire qui l'a précédé ne signifie pas, à ses yeux, qu'elle n'ait pas eu lieu. (CEDH, 23 juillet 2013, M. A. c. Chypre). Elle déclare même la requête irrecevable, dans un arrêt Dritsas c. Italie de 2011, lorsque des manifestants contre le G 8 de Gênes, venus de Grèce, se plaignent d'avoir été rapidement et collectivement remis dans un bateau. Or le défaut d'examen individuel du dossier résultait de leur comportement : ils avaient refusé de donner leur identité aux autorités italiennes, rendant impossible le respect des procédures habituelles.
Dans l'affaire du 3 octobre 2017, l'affaire était simple. Les étrangers concernés n'étaient que deux et aucune situation particulière ne pouvait justifier le non respect du principe du contradictoire, de la prise d'une décision individuelle et du droit au recours. Certes, nul n'ignore que les Etats sont aujourd'hui confrontés à un afflux de migrants aux frontières extérieures de l'Union européenne, situation qu'ils ont des difficultés à gérer. Il leur appartient cependant, et la Cour ne leur demande pas autre chose, de prévoir une procédure respectueuse du principe de l'examen particulier du dossier. Comme le montre la jurisprudence, rien ne leur interdit d'organiser cette procédure sur place, et de prévoir des délais rapides pour sa mise en oeuvre.
Le dialogue des juges
Cette jurisprudence n'a pas seulement pour fonction de garantir les droits des personnes ainsi refoulées. Elle répond aussi aux nécessités du dialogue des juges. Le système Dublin, appliqué dans l'ensemble de l'Union européenne, repose en effet sur un principe apparemment simple : un
Etat, et un seul, est chargé d'instruire la demande d'asile formulée
par un étranger. Le dispositif est complété par un fichier
Eurodac qui
établit une base de données conservant les empreintes digitales des
demandeurs. Si un étranger formule une seconde demande dans un autre
Etat de l'Union, il fait l'objet d'un transfert rapide vers celui où il
avait formulé sa demande initiale. Or la Cour de justice de l'Union européenne dans un
arrêt Cimade c. France du 26 octobre 2012
rappelle que ce transfert "automatique" ne dispense pas les autorités
de l'examen particulier du dossier. Avouons qu'il n'aurait été guère judicieux que la Cour européenne des droits de l'homme détruise les garanties posées par le droit de l'Union européenne.
La lecture de l'argumentaire retenu par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) pour décréter qu'une expulsion collective n'est pas conforme à la Convention laisse perplexe le lecteur de votre post qui essaie de comprendre les grands principes du droit tels qu'énoncés par le texte fondateur signé en 1950. Ses conséquences doivent s'apprécier tant sur le plan juridique que politique(au sens noble et non politicien).
RépondreSupprimer=== SUR LE PLAN JURIDIQUE ===
L'impression prévaut que la juridiction strasbourgeoise met la charrue avant les boeufs pour parvenir au résultat souhaité (condamner l'Espagne). Ce qui se nomme en bon français un préjugé, juger avant. Pour ce faire, on élimine tous les critères avancés par le pays qui est confronté à un problème de migration essentiellement économique assez sérieux pour se donner le beau rôle. Oubliée la marge d'appréciation qui revient à chaque Etat pour régler des problèmes complexes comme celui de l'immigration illégale. C'est tellement plus facile de juger confortablement installé dans son fauteuil confortable à Strasbourg. En définitive, mieux vaut commettre un délit en bande que seul !
=== SUR LE PLAN POLITIQUE ===
En termes politiques, le message envoyé aux migrants potentiels est clair. Si vous voulez être certains de rester dans le pays européen de votre choix, mieux vaut ne pas solliciter l'octroi d'un visa. Le plus simple est de violer la loi pour mieux pouvoir s'en prévaloir ultérieurement. Avec cette politique de gribouille, le résultat est clair : défiance accrue des Etats et des citoyens à l'encontre la Cour, progression constante des partis d'extrême droite à toutes les élections : Allemagne, hier, Autriche, demain, incompréhension vis-à-vis de la norme qui apparait de plus en plus subjective et illisible... Cette décision conforte la politique migratoire de certains pays d'Europe centrale et orientale, qu'on le veuille ou non.
"Un délit généralisé devient bientôt un droit" (Gustave Le Bon).