« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


samedi 6 septembre 2014

Election présidentielle et principe démocratique

Le Président de la République est impopulaire. Un sondage TNS Sofres-Sopra affirme que la cote de confiance du Chef de l'Etat ne dépasse pas 13 %, chiffre le plus bas de l'histoire du "baromètre Figaro Magazine". Si le Figaro Magazine l'affirme, c'est donc nécessairement la vérité révélée et nul n'ignore l'indépendance politique de ce journal. Quant aux instituts de sondage, leurs chiffres sont toujours d'une parfaite honnêteté et ils cultivent un éloignement de bon aloi à l'égard des partis politiques, des institutions et des intérêts financiers. Aucun n'a d'ailleurs jamais passé de contrat de livraison d'études d'opinion à l'Elysée dans des conditions défiant tous les principes du code des marchés publics.

Que les chiffres soient justes ou non ne change rien à l'affaire. Ce qui est important, c'est la manière dont ils sont traités par certains responsables politiques : puisque le Président est impopulaire, il doit démissionner. Sur le plan politique, cela n'est guère surprenant de la part d'une droite qui n'a jamais accepté le résultat des élections présidentielles de 2012 et qui estime qu'elle détient seule la légitimité démocratique. Sur le plan plus juridique, la question posée est celle précisément du fondement de la légitimité du Président de la République. 

Cette dernière ne réside pas dans les sondages, mais dans l'élection, comme dans toute bonne démocratie qui se respecte.






Rappelons que le régime issu de la Constitution de 1958 n'a rien d'un régime présidentiel.Celui-ci s'incarne dans la constitution américaine, marquée par un Président seul face au Congrès. Seul parce qu'il ne dispose d'aucun gouvernement qui serait responsable devant le pouvoir législatif. Seul aussi parce qu'il n'a pas la possibilité de dissoudre la Chambre des représentants ou le Sénat. Les "Checks and Balances", forme américaine de la séparation des pouvoirs, font du Président un géant aux pieds d'argile. Il est certes le seul titulaire de l'Exécutif, mais il est impuissant lorsque la majorité du Congrès lui est opposée. C'est si vrai que les constitutionnalistes américains qualifient souvent leur régime de "congressionnel". En clair, il n'y a que les Français pour considérer que le régime présidentiel est celui qui confère des pouvoirs importants au Président. Nous n'évoquerons même pas la notion de régime "présidentialiste", notion obscure que personne n'a jamais clairement définie et qui n'a sans doute pas d'autre fonction que de semer le doute dans l'esprit des étudiants de première année.

Car le Président français est le pivot d'un régime parlementaire. Il ne s'agit certes pas d'un régime moniste, comme sous la IIIè ou la IVè République, caractérisé par une toute puissance du parlement, le droit de dissolution ayant été rendu plus ou moins inutilisable. Il s'agit d'un régime parlementaire dualiste, impliquant la double responsabilité du Premier ministre devant l'Assemblée nationale et devant le Président de la République. Ce dernier est donc le chef d'un exécutif à deux têtes. Il nomme et, le cas échéant, révoque le Premier ministre. Il dispose du droit de dissolution, dissolution qui peut renvoyer les députés devant leurs électeurs à n'importe quel moment.

Pour assurer à la fonction une légitimité indiscutable, le Général de Gaulle a demandé au peuple, en 1962, d'adopter par referendum la révision constitutionnelle imposant l'élection du Président de la République au suffrage universel. Le corps électoral a accepté cette réforme avec plus de 62 % des voix. Depuis 1965, date des premières élections intervenues avec ce nouveau mode de scrutin, le Président bénéficie donc d'une légitimité particulière liée à cette élection.

Cette légitimité trouve son origine dans la démocratie directe, car le Président seul est élu par l'ensemble du corps électoral. Sa circonscription, c'est l'ensemble du pays. La négation de sa légitimité revient à nier en même temps le principe démocratique.

Il n'est pas interdit de détester le Président. Il n'est pas interdit de le dire. Cette masse de critiques montre au moins que la liberté d'expression existe dans notre pays. Certains lui reprochent d'être trop mou, d'autres d'être trop brutal, son ex se lance dans la littérature de gare et dévoile ses secrets d'alcove, la météo elle-même lui est farouchement hostile. Comme les sondages. Mais tout cela est rigoureusement sans influence sur sa légitimité.

Reste que ce débat sur la légitimité du Président donne une actualité nouvelle aux thèses de René Rémond sur la pluralité des droites. Les droites légitimistes et libérales ont, jusqu'à tout récemment, largement dominé la Vème Républiques, droites attachées au régime et respectueuses des institutions. Droites qui ont su gérer la crise de Mai 68, évoluer à la fin de la période gaullienne, assurer la cohabitation par une lecture résolument parlementaire de la Constitution. Aujourd'hui, nous voyons resurgir une droite bonapartiste autoritaire et césarienne, qui n'accepte pas la dimension institutionnelle du régime. Face à sa propre incapacité à nourrir un débat interne, elle cherche le salut dans un sauveur, un leader, un guide... Bref, une droite de coup d'Etat.


8 commentaires:

  1. Totalement d'accord !

    J'avais écrit il y a quelques mois un billet au Plus du Nouvel Obs dans lequel j'avais consacré une partie sur la distinction "légitimité" et "popularité" : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/972362-francois-hollande-doit-il-dissoudre-l-assemblee-un-benefice-personnel-incertain.html

    Voici le lien si vous avez le temps (et l'envie!) pour le lire...

    Bien cordialement

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  2. Le rôle du "citoyen" se borne à désigner ses dirigeants.

    Il n'a aucune prise sur la décision politique elle-même sauf à descendre dans la rue et encore sans garantie de succès. Une réforme telle que le mariage en raison de son caractère "sociétal" aurait dû être faite via un référendum, chose impossible actuellement.

    Dans le système de la 5ème république, le président de la république décide et gouverne en fait (alors qu'il n'est censé être qu'un arbitre) par voie réglementaire. Pour les projets relevant du Parlement (article 34) , ceux-ci ne sont modifiés qu'à la marge. Seul le Conseil Constitutionnel a le pouvoir réel d'empêcher...

    Il faut en finir avec la 5ème république...

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  3. De façon toujours pertinente, votre réflexion met l'accent sur un phénomène inquiétant, à savoir l'ignorance (chez certains), le mépris (chez d'autres) dans la classe politique française (toutes options confondues) :

    - de la constitution (Cf. le cas d'espèce), texte organisateur de la vie politique,

    - de la loi (Cf. la mise à l'écart de l'éphèmère secrétaire d'Etat au commerce extérieur), texte régulateur des relations sociales.

    Au-delà, votre analyse interpelle le citoyen sur le double danger inhérent à de tels comportements :

    - pour la démocratie et l'Etat de droit, en général ;

    - pour les libertés publiques (raison d'être de votre blog), en particulier.

    L'existence de ce poison, qui se distille insidieusement et pourrait, à terme, être mortel en l'absence d'un sursaut "républicain", explique en grande partie le fossé croissant entre pays légal et pays réel. Merci de nous aider à cette prise de conscience salutaire !

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  4. Lâchez un peu les bretelles au bon François

    Gnouf, Meuf ! Je Me porte bien. Didonque, Meuf, yavait longtemps ! L’Elan approuve ton dire, chère petite chose. Des apprentis sorciers de tout acabit, politiques ou médiatiques, entreprennent de se livrer tout à la fois à un assassinat politique et à la démolition des institutions. Assassinat politique en créant un climat d’hystérie contre l’actuel président, en essayant de rendre plausible l’hypothèse de sa démission, en accablant sa personne des griefs les plus contradictoires et les moins pertinents, en faisant du Hollande bashing une sorte de sport national. L’Elan reste coi, nom d’une Raquette, devant la mauvaise foi de ces sicaires incultes, de ces spadassins de caniveau, de ces surineurs de barrière. Faire du buzz, vendre du papier, chercher des parts de marché audiovisuel, casser de la gauche ? La situation n’est certes pas nouvelle, et la droite cultive toujours une haine vigilante de la gauche gouvernante, des tombereaux d’injures contre Blum à l’exécration vouée à Mendès puis à Mitterrand. La haine, c’est aussi la peur, et la peur est le grand ressort de la droite.

    Pourtant, le bon Président Hollande semble bien paisible. Il a cherché à diriger de façon républicaine et conforme aux institutions, en n’accaparant pas tout le pouvoir et en distinguant bien la fonction présidentielle de la fonction gouvernementale. Mais les nostalgiques de Patachou président ne se consolent pas de sa défaite. Ils regrettent son agitation, sa prétention, son frégolisme politique, la vanité des apparences. Ils admirent jusqu’à son cynisme qu’ils prennent pour de l’intelligence. Patachou le tricheur a dépensé le double du montant autorisé des frais de campagne, et en plus pour se faire battre ! Ils n’en ont cure, ils veulent un chef, ces gueux ! Malheureusement pour eux, ils n’en auront plus parce que le pouvoir n’est plus en France et qu’ils subiront la domination froide des génies invisibles de la cité, pour lesquels le chômage par exemple n’est pas un problème mais une solution : lorsque l’on est pauvre, faible et marginalisé, on ne se révolte pas. Quant à Patachou, il met les malheurs de la patrie au nombre de ses espérances. Son ressentiment contre tous et d’abord ses anciens affidés lui sert de ressort quand il ne compte pas ses picaillons. Plût à Godie, mais avec lui on ne sait jamais, que son retour soit épargné à la République !

    Oooh, l’Elan aurait beaucoup de choses à dire. Il se limite, Meuf, il se limite pour ne pas abuser de ta patience : il n’est pas Catilina, intelligenti pauca. Passons sur ces émigrés fiscaux, nouvelle armée de Coblence, qui ont réussi à se faire passer pour des exilés. Ils planquent non seulement leurs avoirs sacrés mais aussi leurs critiques derrière une fausse compassion pour les pauvres dont ils arborent les malheurs comme un ostensoir ! Voici un siècle, leurs ancêtres se sont fait trouer la peau sans murmurer pour défendre le territoire, eux ils se sauvent avec des criailleries d’écorchés dès que l’on rogne leurs petits avantages. Malheureux pays que ses élites n’aiment pas. Pourtant, on n’y a jamais aussi bien vécu, cafés, restaurants, stations de loisirs, épargne privée ont rarement été aussi prospères. La paupérisation de l’Etat va de pair avec la richesse de la société civile, masquée par la croissance des inégalités. Comme le dit Warren Buffett, qui s’y connaît, il existe bien une lutte des classes, et nous les riches nous l’avons gagnée. Mais l’Elan dérive. Il faut revenir aux institutions.

    A suivre

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  5. En attaquant de façon irréfléchie et insensée la présidence et le gouvernement, la droite sous ses divers habits et ses registres multiples, politiques, économiques, médiatiques, sociétaux, n’atteint pas que des individus et une majorité qu’elle voudrait en perdition. Elle veut certes faire oublier son bilan, tant il est vrai que la gauche n’arrive jamais au pouvoir que comme syndic de faillite de la droite, qui l’accuse aussitôt de ses propres échecs. Ne faut-il pas aujourd’hui payer les dettes de Patachou ? Mais la droite menace plus profondément les institutions. Certaines portions de la gauche la rejoignent dans cette entreprise de démolition, alors que la question pourrait rapidement devenir de défendre la République, comme aux temps passés du boulangisme, de la querelle de la séparation ou des ligues factieuses. Certes, les institutions sont solides et ont surmonté des épreuves plus redoutables que l’on semble avoir bien oubliées. L’Elan t’en épargne la liste, mais elle serait facile à dresser. Tu as au demeurant commencé à le faire. Le climat actuel, de haine distillée et de déconsidération généralisée est un poison violent, ses effets peuvent être lents mais leur retard n’en est que plus pernicieux.

    Changer de République ne résoudrait rien et mènerait au chaos. Ce qui est en crise n’est pas le système institutionnel, certes perfectible mais qui fonctionne. C’est le système politique, et d’abord le système des partis, tous confondus. Gauche ou droite, il est à bout de souffle, sans imagination, sans caractère, miné par une corruption sourde qui affleure régulièrement et décourage les citoyens vertueux, la grande majorité. L’emprise totale des partis sur les institutions les a coupées du pays. La morgue extraordinaire des jeunes ambitieux qui s’y engagent sans projet collectif est insupportable, leur sottise le dispute à une avidité obscène. Objectivement, la fragmentation interne des grands partis les rend impuissants. Subjectivement, leurs abus multiples les rendent méprisables. Le Front national est précisément catilinaire et ne saurait gouverner, plutôt accélérer la guerre civile. La dissolution est possible mais risque fort d’amener à une impasse, un parlement sans majorité et un gouvernement sans autorité, intériorisant les contradictions des partis.

    Refuser au surplus la cohabitation est revenir à la IIIe ou à la IVe République, dont l’évolution est de sinistre mémoire. Les attaques permanentes dirigées contre le Président ne conduiront certainement pas à sa démission, fort heureusement, mais elles blessent les institutions. Et que dire lorsque ce sont des responsables qui se réclament du gaullisme qui entreprennent de saborder son grand œuvre ou ce qu’il en reste – après il est vrai l’avoir perverti, ainsi avec le quinquennat ou avec le retour automatique au parlement des ministres révoqués, ce qui affaiblit et ridiculise le gouvernement, ou avec la réduction du recours à l’article 49 § 3… Faire feu sur le quartier général, lapider un bouc émissaire permet aux oppositions de dissimuler leur absence de projet et leur incapacité à mobiliser l’opinion sur des programmes alternatifs. Alors l’Elan conseille, chère petite Meuf : patience, réflexion, propositions, sérénité, respect des institutions. Ne tirez pas sur le pianiste, vous allez casser le piano.

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  6. Rappel salutaire de la distinction entre légitimité et popularité.
    Par ailleurs, certains semblent oublier la prohibition, depuis la Révolution, du mandat impératif...
    (toujours aussi fan de votre clarté et de votre justesse :-)

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  7. Je ne suis ni constitutionnaliste et encore moins publiciste,mais hélas nul besoin f d' etre un sachant pour comprendre le jeu de dupes auquel nous assistons dans la vie politique française.Pathétique jeu de rôle entre une majorité incapable de prendre les mesures courageuses et réelles permettant l'issue de cette crise qui nous gangrène depuis bientôt 6 ans.
    Pathétique pièce jouée par une opposition qui refuse de tirer les leçons de ses échecs électoraux dont la seule recette réside dans l'espérance d'un retour d'entre les morts d'un individu pseudo-méssianique à l'égo hypertrophié.

    La seule victime reste bel et bien le citoyen électeur qui ne dispose pas d'offre de renouvellement politique dont les institutions souffrent d'un manque de respect de ceux qui sont censés les faire respecter.
    Pauvre France tu es si belle mais tes enfants ne t'aiment point.

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  8. "Changer de République ne résoudrait rien et mènerait au chaos. Ce qui est en crise n’est pas le système institutionnel, certes perfectible mais qui fonctionne."

    Ah bon ? Et pourquoi donc ?

    Comment pouvez-vous affirmer cela alors que l'on a jamais effleuré la question du contenu de la "nouvelle" constitution ? Qu'est-ce qui vous permet d'affirmer que ce serait nécessairement un retour aux errements des 3ème et 4ème républiques ?

    On connaît les défauts de la 5ème république : elle est très peu démocratique en réalité. Et c'est pour cela qu'il faut en changer.

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