Un an plus tard, Marie Piquemal, dans Libération constate qu'aucun logement n'a été réquisitionné depuis ces déclarations fracassantes. La journaliste s'est soigneusement renseignée au ministère, qui lui a répondu qu'une "petite dizaine" de procédures sont en cours en Ile de France, une autre dizaine en Midi-Pyrénées, et une trentaine en région PACA. Les chiffres sont dérisoires, et rien ne dit d'ailleurs que ces procédures arriveront à leur terme. Le discours officiel a donc changé. On affirme désormais que la réquisition n'est qu'une menace, destinée à inciter les propriétaires de logements vacants à vendre leur bien ou à le mettre sur le marché locatif.
Derrière ces discours contradictoires se cachent en réalité des difficultés juridiques.
Deux fondements juridiques
La procédure de réquisition est en apparence fort simple. Il s'agit, pour l'autorité publique, de prendre possession d'un bâtiment vide pour en disposer en lieu et place du propriétaire, et plus particulièrement pour le mettre à disposition de familles mal logées. Le problème est que cette procédure repose sur une dualité de fondements juridiques.
D'un côté, le pouvoir général de police du mari, sur le fondement de l'article 2212-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT). Il permet au maire de prononcer la réquisition de logements vacants pour reloger des familles sans-abri. Ce pouvoir de réquisition ne s'exerce cependant "qu'en cas d'urgence et à titre exceptionnel, lorsque le défaut de logement de la famille dont il s'agit est de nature à apporter un trouble grave à l'ordre public", principe posé par l'arrêt Commune de Pugnac c. Banque La Hénin rendu par le Conseil d'Etat le 18 octobre 1989.
De l'autre côté, l'ordonnance du 11 octobre 1945, codifiée dans l'article L 641-1 du code de la construction et de l'habitation (cch)a été adoptée à une époque où il fallait reloger les personnes dont les logements avaient été détruits. Elle permet au représentant de l'Etat de réquisitionner tout local à usage d'habitation vacant depuis plus de six mois, appartenant à une personne privée, individu ou entreprise. Par la suite, le dispositif a été étendu par la loi du 29 juillet 1998 à tous les locaux à usage commercial et professionnel détenus par les investisseurs institutionnels (banques, compagnies d'assurances etc..) vides depuis plus de dix-huit mois, puis par la loi du 18 janvier 2013 à "toute personne morale" titulaire d'un "droit réel" sur un bien (art. L 642-1 cch). Là encore, le Conseil d'Etat a précisé, dans une décision Lucas du 11 juillet 1980, que ce droit de réquisition est subordonné à la constatation d'"une crise grave du logement" dans la commune concernée, caractérisée par "d'importants déséquilibres entre l'offre et la demande de logement, au détriment de certaines catégories sociales".
Le dispositif juridique permettant la réquisition existe donc, et existe même en double exemplaire. Alors pourquoi ne fonctionne-t-il pas ?
Bernard Delaunay. Le déménagement. Collection particulière |
La contrainte financière
La première raison est sans doute d'ordre matériel et financier. Cécile Duflot a choisi de se fonder sur les dispositions du code de la construction, et plus précisément sur la loi de 1998 qui permet la réquisition des bâtiments vides appartenant aux investisseurs institutionnels. Or, ces bâtiments ne sont pas toujours en état d'accueillir des familles, loin de là.
Les autorités publiques se trouvent alors devant un choix difficile. Soit elles réalisent elles mêmes la remise en état, ce qui coûte évidemment très cher, pour un retour très maigre sur investissement, puisque les familles concernées ne sont pas en mesures de payer un loyer substantiel. Soit elles laissent se développer le mécanisme établi par la loi Duflot du 18 janvier 2013 qui permet au propriétaire de gagner du temps. Il peut choisir de remettre son bien sur le marché locatif, ce qui n'est d'ailleurs pas négatif. Il peut aussi présenter un échéancier de travaux pour la remise en état du bien, et ces travaux peuvent être longs. Autrement dit, la réquisition n'est jamais immédiate sur le fondement des articles L 641-1 et L 642-1 cch. Dans tous les cas, si les locaux sont finalement réquisitionnés, il conviendra d'indemniser le propriétaire lésé, contrainte là encore très onéreuse pour les finances de l'Etat.
La contrainte juridique
Derrière les contraintes financières apparaîssent aussi des contraintes juridiques. Le Conseil constitutionnel, dans une jurisprudence constante, affirme la valeur constitutionnelle du droit de propriété. Dans une décision QPC du 30 septembre 2011, il a ainsi rappelé le droit du propriétaire de s'adresser au juge pour obtenir l'expulsion des occupants sans titre de son bien immobilier. Le droit de propriété implique donc non seulement le droit de jouir de son bien, mais aussi celui d'exclure les tiers de la jouissance de celle-ci. La conséquence en est que les propriétaires ne peuvent être privés du libre exercice de leur droit de propriété sans que soient mises en oeuvre des procédures très protectrices, et donc très longues. La réquisition rapide de logement relève du discours politique, de la posture, mais tout le monde sait, y compris le ministre, que ce n'est pas une réalité juridique, et pas davantage une urgence financière.
Il est sûr que Cécile Duflot annonce de belles réformes mais, pour l'instant, et mis à par la loi fiscale Duflot, il y a peu de choses concrètes. Concernant le projet de loi ALUR, celui aussi n'est pas prêt d'être mis en application compte tenu des oppositions auxquelles il doit faire face... D' ailleurs, le texte de loi a été modifié par le sénat : http://www.loi-duflot.fr/lois-en-cours/2013-10/le-senat-adopte-alur
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