« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 5 janvier 2024

Les Invités de LLC - Emmanuel Kant. Vers la paix perpétuelle

Liberté Libertés Chéries invite régulièrement ses lecteurs à retrouver les Pères Fondateurs des libertés publiques. Pour comprendre le droit d'aujourd'hui, pour éclairer ses principes fondamentaux et les crises qu'il traverse, il est en effet nécessaire de lire ou de relire ceux qui en ont construit le socle historique et philosophique. Les courts extraits qui seront proposés n'ont pas d'autre objet que de susciter une réflexion un peu détachée des contingences de l'actualité, et de donner envie de lire la suite. 

Les choix des textes ou citations sont purement subjectifs, détachés de toute approche chronologique. Bien entendu, les lecteurs de Liberté Libertés Chéries sont invités à participer à cette opération de diffusion de la pensée, en faisant leurs propres suggestions de publication. Qu'ils en soient, à l'avance, remerciés.
 
Il nous a semblé indispensable que le premier invité de l'année 2024 soit Emmanuel Kant. Il avait déjà écrit pour LLC, en 2021, avec "Qu'est-ce que les Lumières ?". Il revient aujourd'hui avec "Vers la paix perpétuelle", publié en 1795. Il nous explique que la guerre ne doit pas s'accompagner d'actes irréversibles, qui rendraient impossible le retour de la confiance, et donc de la paix. Un beau message en ce début d'année.

 

Vers la paix perpétuelle


Emmanuel Kant

 

1795

 


 

 

 

VI. Nul État ne doit se permettre, dans une guerre avec un autre, des hostilités qui rendraient impossible, au retour de la paix, la confiance réciproque, comme, par exemple, l’emploi d’assassins (percussores), d’empoisonneurs (venefici), la violation d’une capitulation, l’excitation à la trahison (perduellio) dans l’État auquel il fait la guerre, etc.

Ce sont là de honteux stratagèmes. Il faut qu’il reste encore, au milieu de la guerre, quelque confiance dans les sentiments de l’ennemi ; autrement il n’y aurait plus de traité de paix possible, et les hostilités dégénéreraient en une guerre d’extermination (bellum internecinum), tandis que la guerre n’est que le triste moyen auquel on est condamné à recourir dans l’état de nature, pour soutenir son droit par la force, puisqu’il n’y a point de tribunal établi qui puisse juger juridiquement.

Aucune des deux parties ne peut être tenue pour un ennemi injuste puisque cela supposerait déjà une sentence juridique, mais l’issue du combat, comme dans ce que l’on appelait les jugements de Dieu, décide de quel côté est le droit. Une guerre de punition (bellum punitivum) entre les États ne saurait se concevoir, puisqu’il n’y a entre eux aucun rapport de supérieur à inférieur. 

Il suit de là qu’une guerre d’extermination, pouvant entraîner la destruction des deux parties et avec elle celle de toute espèce de droit, ne laisserait de place à la paix perpétuelle que dans le vaste cimetière du genre humain. Il faut donc absolument interdire une pareille guerre, et par conséquent aussi l’emploi des moyens qui y conduisent. — Or il est évident que les moyens indiqués tout à l’heure y mènent infailliblement ; car, si l’on met une fois en usage ces pratiques infernales, qui sont infâmes par elles-mêmes, elles ne s’arrêteront pas avec la guerre, mais elles passeront jusque dans l’état de paix, et elles en détruiront absolument le but. Tel est, par exemple, l’emploi des espions (uti exploratoribus), où l’on se sert de l’infamie des autres, infamie qu’on ne peut plus ensuite extirper entièrement. »



 

1 commentaire:

  1. Vous ne pouviez trouver meilleur choix que ce texte d'Emmanuel Kant. La paix, vaste programme aurait dit le général de Gaulle.

    Lé génie de ce texte tient à la combinaison de sa clarté et de sa concision. Sans parler de sa clairvoyance. A combien de conflits actuels, les préceptes d'Emmanuel Kant pourraient s'appliquer. 2023, année des deux guerres en fournit le meilleur exemple.

    Une fois de plus, tout a été bien pensé, bien écrit depuis des siècles sur le binôme guerre et paix. Il ne reste - et ce n'est pas chose aisée - qu'à mettre en pratique la théorie d

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