« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mercredi 16 août 2017

Emmanuel Macron et les paparazzi

Emmanuel Macron a porté plainte pour harcèlement et tentative d'atteinte à la vie privée contre un paparazzi qui le suivait sur son lieu de vacances et s'efforçait de pénétrer dans la villa où il réside avec son épouse. Immédiatement, certains médias dénoncent une atteinte intolérable à la liberté de l'information. Dans un article particulièrement réjouissant, VSD publie le témoignage de l'intéressé, "traité comme un criminel pour avoir voulu photographier les Macron". On annonce en gros titre qu'il a été "coffré pour 48 heures", puis en petits caractères qu'il est ressorti au bout d'"environ six heures". Il a été placé en cellule "au milieu des délinquants", atroce promiscuité, et il a même dû, comble de l'humiliation, retirer "ses lacets de chaussure et sa montre".  Ces actes de torture ressemblent étrangement à une garde à vue ordinaire, plutôt brève si l'on considère que la garde à vue est décidée pour une durée de 24 heures, renouvelable une fois. 

Pourquoi tant de bruit ? D'abord parce que les relations entre le Président et la presse sont mauvaises. Durant les quinquennats Sarkozy et Hollande, les présidents avaient installé une relation de connivence avec la presse. Nul n'a oublié la photo de Nicolas Sarkozy en Jordanie, portant sur ses épaules le fils de Carla Bruni, malheureux enfant qui se cachait les yeux, effrayé par la meute des journalistes convoqués par le Président. Nul n'a davantage oublié les malheureuses confidences de François Hollande dans le livre dont le titre aurait dû lui servir d'avertissement : "Un Président ne devrait pas dire ça". Aujourd'hui, le Président Macron entend renouer avec une pratique plus traditionnelle et maitriser sa communication. Autrement dit, ses photos de vacances sont celles qu'il choisit de diffuser et seulement celles-là, choix qui prive de revenus des paparazzi qui vivent de la vente de leurs photos.  Y parviendra-t-il ? Ce n'est pas certain, mais la démarche suffit à rendre les médias frénétiques. En effet, ils ne manipulent plus le Président, c'est lui qui entend les utiliser au profit de sa communication.

Le droit de porter plainte


Quoi qu'il en soit, l'affaire du paparazzi en garde à vue conduit rappeler que le Président de la République est fondé à saisir les tribunaux, comme n'importe quel citoyen. On notera cependant que François Hollande s'y était refusé après la publication d'une photo le montrant sur son scooter en train de se rendre à un rendez-vous privé. Ce refus reposait sur une analyse personnelle de l'article 67 de la Constitution. Celui-ci affirme que le Président "n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité". Jusqu'à la fin de son mandat, il est donc soustrait à tout acte de procédure. François Hollande considérait que ce privilège lui interdisait d'engager des actions pénale contre des tiers, dès lors que l'égalité des armées n'était plus absolue. Ces scrupules l'honoraient sans doute, à moins qu'ils aient caché une volonté de mettre fin rapidement à une affaire un peu trop médiatique. Cette analyse n'est pourtant pas celle de la Cour de cassation qui, le 15 juin 2012, a admis la constitution de partie civile du Président de la République, à l'époque Nicolas Sarkozy, victime d'une fraude sur sa carte de crédit. A l'époque, aucune rupture d'égalité n'avait été invoquée.

Observons ensuite que le Président de la République, citoyen comme un autre, est titulaire du droit au respect de la vie privée. L'article 9 du code civil affirme en effet que "chacun a droit au respect de la vie privée".

L'inviolabilité du domicile


Le principe d'inviolabilité du domicile est l'une des facettes de ce droit et il constitue une exigence constitutionnelle que le législateur doit prendre en compte lorsqu'il vote des dispositions portant atteinte au droit de propriété. Le domicile se définit d'abord comme le lieu où habite une personne, là où elle a "son principal établissement". Mais cette définition, adoptée à l'origine pour déterminer le lieu d'exercice des droits civiques, a été étendue à toute habitation, qu'elle soit permanente ou non, résidence principale ou secondaire. La villa mise à disposition par le préfet est donc le "domicile" du couple Macron, pour la durée des vacances. 

Barbara. Si la photo est bonne. 1966. Archives INA

Le lieu privé

 

Conçu comme un lieu où l'habitant est fondé à se sentir chez lui, le domicile doit donc être à l'abri des intrusions des personnes privées. Un véritable droit à l'incognito est d'ailleurs formulé par l'article 226-1 du code pénal qui punit d'un an d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende le fait de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui (...) en "fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé". Le Président porte donc plainte pour tentative de captation de son image dans un lieu privé. 

La presse se fait l'écho à ce propos d'un débat d'une haute importance.. Le Président considère que le paparazzi a pénétré dans la propriété et ce dernier affirme le contraire. Hélas, quand bien même ce serait vrai, ce n'est pas l'intrusion de la personne qui crée le délit, mais la captation de la photo. Autrement dit, il n'est pas nécessaire que le photographe ait été présent sur la propriété, il suffit qu'il a capté, ou tenté de capter, l'image du couple présidentiel à l'intérieur de ce "lieu privé". 

Le lieu privé est défini par deux critères alternatifs. C'est d'abord l'espace dans lequel on ne peut pénétrer sans l'autorisation de celui qui l'occupe. C'est bien le cas d'une villa qui abrite le Président de la République et on peut penser qu'elle est gardée par un service d'ordre qui contrôle que ceux qui y pénètrent ont une autorisation. En termes de sécurité, c'est même une exigence minimum. Mais le lieu privé est aussi celui dans lequel une personne s'estime à l'abri des regards indiscrets. Dans un arrêt du 16 juillet 1982, la Cour de cassation qualifie ainsi de lieu privé le bateau qu'une princesse monégasque utilisait pour prendre des bains de soleil "le buste dénudé", dès lors que cette embarcation n'était pas restée à proximité des plages mais s'était délibérément rendue au large pour échapper aux paparazzi. Là encore, on ignore dans quelle tenue le couple Macron lézarde au bord de la piscine, mais il ne fait guère de doute qu'il a choisi une villa très sécurisée, précisément pour être à l'abri des regards indiscrets. 

Il existe cependant deux exceptions à ce principe de respect de la vie privée, exceptions qui permettent de publier des clichés liés à la vie privée des personnes. 

Le consentement de la personne


La première réside dans le consentement des intéressés. La jurisprudence opère dans ce cas une distinction entre la personne anonyme, le simple quidam et la personne publique ou célèbre. Dans le premier cas, toute captation et diffusion d'image est soumise au consentement exprès de l'intéressé. Dans le second cas, le consentement est présumé lorsque la personne publique est dans l'exercice de ses fonctions. Autrement dit, il est possible de capter l'image d'Emmanuel Macron lorsqu'il participe au défilé du 14 juillet ou va serrer quelques mains. En revanche, il n'est évidemment pas dans l'exercice de ses fonctions lorsqu'il est vacances, et son consentement est alors exigé.

Le débat d'intérêt général


La seconde exception trouve son origine dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Dans un arrêt Von Hannover c. Allemagne du 7 février 2012, elle a ainsi considéré que la photo prise à son insu du prince Rainier de Monaco affaibli par la maladie relevait du débat d'intérêt général, dans la mesure où les citoyens d'une principauté héréditaire avaient le droit d'être informés sur la santé du prince. De même, dans une décision du 10 novembre 2015, Couderc et Hachette Filipacchi associés c. France, la Cour estime que la révélation par Paris-Match d'une photo montrant l'"enfant caché" du Prince Albert "dépasse le cadre de sa vie privée". Dans ce cas, le droit à l'information l'emporte sur la vie privée. 

Sans doute, mais le paparazzi de Marseille n'a pas pu prendre de cliché et ne peut faire état du moindre débat d'intérêt général justifiant sa tentative de captation d'images de la vie privée du Président de la République. Peut-être aurait-il pu le faire si Emmanuel Macron avait reçu la visite de Vladimir Poutine venu batifoler joyeusement dans la piscine en évoquant la situation de l'Ukraine ? Hélas, ce n'est pas le cas.

On ne doute pas que l'affaire du paparazzi sera bientôt oubliée, d'autant qu'elle semble sortie du Gendarme de Saint-Tropez et que d'autres sujets plus sérieux vont reparaître à la rentrée. Elle révèle tout de même une véritable "peopolisation" de l'ensemble de la presse. La vie privée des personnes célèbres, y compris celle du Président de la République, ne concerne plus les seuls magazines spécialisés, ceux que les Anglais appellent les "tabloïds". Elle s'étale maintenant dans tous les journaux et on se souvient que Le Monde a rendu compte du mariage de George Clooney dans sa rubrique "Europe", sans doute parce qu'il s'est déroulé à Venise. Aujourd'hui, la presse d'information défend un paparazzi dont le métier est de porter atteinte à la vie privée des personnes. Si elle a parfaitement le droit de critiquer le Président de la République, doit-elle pour autant se mettre au niveau de la presse people ? A elle de juger.



Sur le droit à l'image : Chapitre 8 section 4 du manuel de libertés publiques sur internet




2 commentaires:

  1. Une fois encore, un grand merci pour ces explications précises du droit en vigueur qui nous changent du pifométrique médiatique ambiant. A titre de simple exemple, nos folliculaires omniscients parlent d'une "résidence privée" du préfet Bouillon alors qu'il s'agit plus simplement de sa "résidence de fonction" (avec piscine). Pour simple qu'elle puisse paraître au regard du droit positif, cette affaire pose deux types de problèmes.

    1. Des problèmes de nature politico-médiatique

    Cent jours après sa prise de fonction, le chef de l'Etat se prend les pieds dans le tapis. On ne peut dans le même temps jouer en permanence avec la communication (Cf. les nombreuses unes des magazines "people" consacrées au couple Macron) et se plaindre de ses excès que l'on entretient (consciemment ou inconsciemment). Notre Jupiter national découvre l'effet boomerang. S'il avait pris ses vacances au fort de Brégançon, le risque d'intrusion de paparazzis aurait été moindre. Comment ne pas imaginer un seul instant que l'on ne serait pas découvert en faisant son jogging sur la plage du Prado lorsqu'on est entouré de cinq gardes du corps ? Quelle candeur rafraichissante en vérité.

    2. Des problèmes de nature juridico-concrètes

    Même s'il est un citoyen comme les autres en théorie, le président de la République se présente devant la Justice avec un avantage certain. L'égalité théorique se transforme en asymétrie pratique.

    - Peut-on envisager un classement sans suite de la plainte par le parquet qui n'est ni indépendant, ni impartial de part son statut, étant dans une relation de subordination par rapport à l'exécutif ?

    - Peut-on envisager un juge suffisamment "libre" pour relaxer le prévenu sans subir quelques conséquences négatives sur sa future carrière ? Une affectation à Cayenne ou à Saint Pierre et Miquelon, par exemple, ce qui s'est déjà vu dans le passé.

    Notre Jupiter gagnerait à méditer la citation suivante : "A force de vouloir trop en faire, on risque de se brûler les zèles" (Marc Escayrol).

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    1. Bonjour,

      D'un point de vue totalement juridique, l'égalité théorique entre les justiciable n'est pas transformée en mutation pratique dès lors que le président de la République constitue l'une des parties au procès.

      En effet, l'article 30 du Code de procédure pénale, modifié par la loi n°2013-669 du 25 juillet 2013, dispose clairement que :

      "Le ministre de la justice conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République.
      A cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales.
      Il ne peut leur adresser aucune instruction dans des affaires individuelles.
      Chaque année, il publie un rapport sur l'application de la politique pénale déterminée par le Gouvernement, précisant les conditions de mise en œuvre de cette politique et des instructions générales adressées en application du deuxième alinéa. Ce rapport est transmis au Parlement. Il peut donner lieu à un débat à l'Assemblée nationale et au Sénat."

      L'exécutif ne peut donc donner d'instruction concernant l'affaire "Macron c/ Paparazzi" ; tout au plus, il peut donner des instructions générales concernant la protection de la vie privée, celles-ci bénéficiant alors à tous les justiciables.

      Par ailleurs, l'article 64 de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit clairement que :

      "Le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire.
      Il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature.
      Une loi organique porte statut des magistrats.
      Les magistrats du siège sont inamovibles."

      Seul le Conseil supérieur de la magistrature est donc compétent ainsi compétent pour opérer à la mutation d'un juge, et celle-ci ne peut avoir lieu sans son consentement. Pour les rares cas où l'on tenterait de violer cette protection constitutionnelle voit le soulèvement, légitime, des syndicats de magistrats.

      Les problèmes de nature juridico-concrète que vous évoquez sont donc, en théorie, inexistants.

      Reste néanmoins à voir ce qu'il en sera en pratique ...

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