« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


lundi 14 décembre 2015

L'âge du mariage devant la Cour européenne des droits de l'homme

Dans son arrêt Z.H. et R.H. c. Suisse du 8 décembre 2015, la Cour européenne des droits de l'homme se prononce sur l'âge du mariage, sujet rarement évoqué devant elle. 

Les requérants sont un couple de jeunes Afghans qui sont cousins. Ils se sont mariés religieusement en Iran, où ils résidaient illégalement, en septembre 2010. Ils sont alors âgés de dix-huit ans pour le jeune homme et de quatorze ans pour la jeune femme. En septembre 2011, ils partent d'abord en Italie, puis en Suisse où ils demandent l'asile. L'Office fédéral des migrations rejette la demande d'asile. Appliquant le  règlement Dublin II, elle rappelle que l'instruction d'une telle demande est de la responsabilité de l'Etat sur le territoire duquel l'intéressé a pénétré dans l'espace Schengen.  Le mari ayant déjà déposé une demande d'asile en Italie, il est donc renvoyé dans ce pays.

On rappellera à ce propos que si la Suisse n'est pas membre de l'Union européenne, elle participe néanmoins au système Schengen. Cette association à l'espace Schengen a été acceptée par une votation populaire du 5 juin 2005.

La situation de chaque membre du couple est donc différente. Le mari est renvoyé en Italie, ce qui ne l'empêche pas de revenir à Genève quelques jours après. La femme, n'ayant pas formulé de demande d'asile en Italie, est autorisée à demeurer en Suisse pendant l'instruction de sa demande. Compte tenu de son jeune âge, elle est placée sous l'autorité du juge des tutelles. Dans les deux procédures, les époux invoquent la validité de leur mariage, et estiment que le refus d'en tenir compte entraine une violation de leur droit de mener une vie familiale normale, droit garanti par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme

Le refus du fait accompli


La Cour européenne refuse d'admettre la validité du mariage. De manière plus générale, elle considère que le droit au respect de la vie familiale ne saurait avoir pour conséquence de mettre l'Etat devant un fait accompli en le contraignant à accorder le droit de résider sur le territoire pour ce seul motif. 

Dans un arrêt du 3 octobre 2014 Jeunesse c. Pays-Bas, la Cour a ainsi rappelé qu'une Surinamienne mariée à un Néerlandais, avec lequel elle a eu trois enfants, ne peut invoquer son droit de mener une vie familiale normale pour se dispenser des formalités de demande de visa. La jurisprudence est identique en matière de droit d'asile et la décision A.S. c. Suisse du 30 juin 2015 rappelle que la présence d'un demandeur d'asile sur le territoire d'un Etat partie à la Convention européenne trouve son origine dans le droit interne de l'Etat ou dans ses obligations internationales, mais ne saurait être la simple conséquence du fait que le demandeur invoque le droit de mener une vie familiale normale.

Au moment où Z.H. et R.H. déposent leur requête devant la Cour européenne, leur résidence en Suisse ne repose sur aucun fondement juridique. De fait, la jurisprudence portant sur le respect de la vie familiale des étrangers bénéficiant d'un titre de séjour n'est pas réellement applicable à l'espèce. La seule question posée est donc celle de savoir si les autorités suisses pouvaient renvoyer le mari en Italie, pays où il avait déposé sa première demande d'asile, en laissant la femme résider en Suisse durant l'instruction de sa demande d'asile. 

Louis XV, âgé de 11 ans, avec sa fiancée Marie-Anne Victoire, infante d'Espagne, âgée de 4 ans  François de Troy. 1723

Le mariage précoce


Certes, l'appréciation de la réalité d'une vie familiale ne repose pas exclusivement sur le mariage. Depuis bien longtemps, la Cour admet qu'une famille peut être constituée en dehors du lien matrimonial (par exemple : CEDH 13 juin 1979 Marckx c. Belgique). Il n'en demeure pas moins que les requérants invoquent essentiellement la validité de leur mariage iranien à l'appui de leur requête.

Les autorités suisses ont refusé d'admettre cette validité, s'appuyant sur deux arguments essentiels. Le premier réside dans le droit afghan, pays dont les requérants ont la nationalité, et qui refuse le droit au mariage avant l'âge de quinze ans. Le second trouve son origine dans le droit suisse qui estime que le mariage d'une enfant de quatorze ans n'est pas conforme à son ordre public. Au contraire, l'article 187-1 du code criminel suisse sanctionne le fait d'avoir des relations sexuelles avec un mineur de moins de seize ans.

Le Cour européenne reconnaît le bien-fondé de ces arguments. Elle affirme que l'article 8 de la Convention ne saurait avoir pour conséquence de contraindre un Etat partie à reconnaître un mariage contracté par un enfant. Sur ce point, elle s'appuie sur l'article 12 de la Convention qui reconnaît un droit au mariage "à partir de l'âge nubile" et "selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit".  Il appartient donc aux Etats d'assurer l'équilibre entre le droit au mariage et la nécessaire protection de l'enfance. Les autorités suisses ont jugé que le mariage entre les requérants n'était pas valide et ont pu, sans violer l'article 8 de la Convention, renvoyer le jeune homme en Italie.

Toute l'analyse de la Cour repose sur l'idée que les Etats sont parfaitement fondés à interdire les mariages précoces, seul moyen de s'assurer de la réalité des consentements et de lutter contre les mariages forcés. C'est ainsi que le droit français, par une loi du 4 avril 2006, a porté à dix-huit ans l'âge requis pour se marier, pour les deux membres du couple. 

Le mariage religieux


On observe que la Cour ne se place pas sur le terrain du caractère uniquement religieux du mariage contracté en Iran. Elle s'est pourtant déjà prononcée sur la question à propos du droit turc, dans sa décision du 2 novembre 2010 Serife c. Turquie. Elle précise alors qu'un Etat qui refuse de reconnaître un mariage uniquement religieux ne viole pas le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la Convention. Pour la Cour, le droit turc qui impose une union civile et monogame a précisément pour objet de "mettre un terme à ne tradition du mariage qui place la femme dans une situation nettement désavantageuse, voire dans une situation de dépendance et d'infériorité par rapport à l'homme". En imposant l'intervention des autorités étatiques dans la célébration du mariage, la Cour limite le risque d'unions reposant sur la seule pression familiale. 

Le problème est que l'Iran, pays dans lequel les requérants se sont mariés, n'est pas partie à la Convention européenne des droits de l'homme et ne connaît d'autre mariage que religieux. Il n'appartient donc pas à la Cour européenne de juger du droit iranien... même si "la situation de dépendance et d'infériorité par rapport à l'homme" pourrait parfaitement caractériser la situation des femmes iraniennes.

Mariage et ordre public : Chapitre 8, section 1, § 2 du manuel de libertés publiques sur internet.

1 commentaire:

  1. Merci pour toutes ces informations, c'est complet ! Je n'ai jamais imaginé que l'âge du mariage renfermait toute une histoire.

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