« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


samedi 29 août 2015

Le don d'embryons à des fins de recherche

L'arrêt de Grande Chambre du 27 août 2015 Parrillo c. Italie précise la position de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) sur le don d'embryons à des fins de recherche.

Depuis la naissance en 1982 d'Amandine, premier bébé issu d'une fécondation in vitro avec transfert embryonnaire (FIVETE), cette technique s'est considérablement répandue. Elle consiste à créer des embryons in vitro avec les cellules procréatrices d'un couple, avant d'en réimplanter un ou plusieurs dans l'utérus de la femme. Dans la plupart des cas, il est créé plusieurs embryons qui sont congelés, afin de permettre au couple de mener à terme plusieurs grossesses échelonnées dans le temps. 

Les embryons surnuméraires 


Madame Parrillo et son compagnon ont créé cinq embryons en 2002, congelés et destinés à la réimplantation. Hélas, le compagnon est décédé et la requérante a décidé de ne pas mener à bien le projet parental. Elle a donc décidé de faire don de ces embryons à la recherche scientifique.

La question posée à la Cour est celle des embryons surnuméraires, dans l'hypothèse, très fréquente, où le couple n'utilise pas tous ceux qui ont été congelés. Ils ne sont plus l'objet d'un projet parental et ne seront donc pas réimplantés in utero. Peuvent-ils être utilisés à des fins de recherche, avec l'accord des géniteurs ? Les opinions sont, sur ce point, très divisées. Les uns redoutent l'utilisation de l'embryon comme matériel de laboratoire, les autres insistent sur le fait que l'étude des cellules souches ne peut être réalisée qu'avec des embryons et que cette étude est à l'origine de nombreux progrès thérapeutiques. 

La loi italienne du 19 février 2004 interdit tout expérimentation sur des embryons humains et donc tout don d'embryons à des fins de recherche. Elle interdit de créer plus de trois embryons par couple, et tous sont destinés à une réimplantation. Autrement dit, ceux qui ne sont pas réimplantés restent congelés indéfiniment. C'est précisément ce texte que conteste la requérante devant la CEDH, texte qui lui a interdit de faire don d'embryons deux ans avant son vote. Elle considère qu'il viole l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui protège la vie privée.

2001 Odyssée de l'espace. Stanley Kubrick. 1968


Le don d'embryons et le respect de la vie privée


La jurisprudence de la Cour européenne ne laisse guère de doute sur le fait que le don d'embryons relève de la vie privée. La Cour estime ainsi, depuis son arrêt Evans c. Royaume-Uni du 10 avril 2007,  que le droit d'avoir un enfant, ou de ne pas en avoir, est garanti par l'article 8. Plus tard, dans une décision du 2 octobre 2012 Knecht c. Roumanie, la CEDH a estimé que le refus des autorités roumaines d'autoriser le transfert d'embryons congelés d'un hôpital vers une clinique choisie par les géniteurs porte atteinte à leur vie privée. D'une manière générale, la jurisprudence de la Cour considère,  depuis une décision du 3 novembre 2011 S.H et a. c. Autriche, que l'accès à la procréation médicalement assistée constitue un choix qui relève du droit au respect de la vie privée et familiale. Celui de renoncer à une telle procréation doit donc également être rattaché à la vie privée.

Rappelons cependant qu'une ingérence dans la vie privée peut être licite aux yeux de la CEDH si elle est prévue par la loi et "nécessaire dans une société démocratique". La première condition est évidemment remplie puisque le législateur italien est intervenu pour prohiber formellement le don d'embryons. La seconde condition est moins évidente. Dans un arrêt du 28 août 2012 Pavan c. Italie, la Cour a déja sanctionné le droit italien qui interdisait le diagnostic in vitro permettant de déceler une affection génétique sur l'embryon. Pour la Cour, l'ingérence dans la vie privée était excessive, car elle privait les parents d'avoir un enfant indemne de toute maladie génétique. Elle les obligeait de surcroit à commencer une grossesse pour éventuellement l'interrompre ensuite, après un diagnostic pré-natal. 

Dans l'arrêt Parrillo, la Cour se montre plus nuancée. Certes, elle refuse d'entrer dans le raisonnement de certains groupements intervenant comme amici curiae, que l'on serait tenté de considérer plutôt comme des "amis de la Curie"... A leurs yeux, le refus du don d'embryon repose sur la "vie potentielle" qui fait de l'embryon une personne en devenir. Cet argument, repris depuis des décennies par les milieux catholiques devant la Cour pour contester aussi bien l'IVG que les techniques de procréation médicalement assistée n'a jamais prospéré devant les juges européens. En revanche, la Cour observe que la question du don d'embryons soulève des questions éthiques particulièrement délicates. 

L'absence de consensus


Comme dans beaucoup de décisions, et encore tout récemment dans l'arrêt Oliari c. Italie à propos de l'union des couples de même sexe, la Cour recherche donc l'existence d'un consensus européen sur la question. Elle observe que seulement dix-sept Etats sur quarante acceptent le don d'embryons surnuméraires à des fins de recherche scientifique. La majorité n'est donc pas atteinte, et l'Italie peut donc continuer à interdire le dons d'embryons et, par voie de conséquence, à interdire aux chercheurs italiens les recherches sur les cellules souches.

Observons que le droit français, quant à lui, n'a autorisé que très récemment l'expérimentation sur l'embryon, avec la loi du 6 août 2013. Cette recherche est désormais autorisée s'il n'existe pas d'autre moyen de parvenir au résultat escompté et si la "finalité médicale" est avérée. Bien entendu, les deux membres du couple géniteur doivent donner leur consentement à cette recherche. 

Une nouvelle fois, la Cour européenne se fonde sur l'existence ou l'absence d'un consensus au sein des Etats du Conseil de l'Europe pour apprécier la conformité du droit d'un Etat membre à la Convention européenne des droits de l'homme. Certes, cette jurisprudence laisse une grande latitude aux Etats dans des domaines sensibles dans lesquelles les convictions éthiques et religieuses interviennent largement. Il n'en demeure que l'on conserve le sentiment, un peu fâcheux, que le droit européen devient le produit d'une sorte de décompte mathématique. Madame Parillo pourra-t-elle faire un nouveau recours lorsque vingt et un Etats sur quarante autoriseront le don d'embryon ?



2 commentaires:

  1. Bonjour,

    Actuellement en toutes dernières révisions pour le CRFPA, je lis avec plaisir votre blog (ainsi que votre livre) et notamment cet article. Malgré mes diverses recherches, il persiste une interrogation à laquelle je ne sais comment répondre ni s'il est possible d'y répondre de façon catégorique. Peut-être pourriez-vous me renseigner sur la question de la responsabilité qui peut être engagée en cas de destruction des embryons sans accord ? Lorsque par exemple pour une raison inconnue, les frigos viendraient à ne plus fonctionner.

    Je vous remercie vivement de la réponse que vous pourrez m'apporter ainsi, qu'une fois encore, pour ce blog qui est vraiment très utile.

    Bonne journée.

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  2. Merci de votre lecture. Vous posez une excellente question, à laquelle la réponse ne peut être apportée qu'in abstracto, car je ne trouve pas de jurisprudence. Sans doute les frigos ne tombent-ils pas en panne !

    Quoi qu'il en soit, il est évident que le centre d'AMP est responsable des embryons dont il a la garde. Un juge statuerait probablement dans ce sens, sans qu'il soit besoin de qualifier l'embryon, chose ou personne. La responsabilité serait engagée, notamment pour perte de chance, puisque le couple ne peut plus mener à bien une grossesse.

    Pour le CRFPA, le jury serait déjà très heureux que vous posiez la question, car il n'a pas non plus la réponse...

    Bonne chance pour le concours.

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