Droit au respect des biens et droit de propriété
Les requérants invoquent au premier chef la violation de l'article 1er du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme qui énonce que "toute personne a droit au respect de ses biens". Certes, ce texte n'emploie pas formellement le mot "propriété", mais c'est tout de même de cela dont il s'agit. La Cour européenne affirme ainsi, dans son arrêt Marckx c. Belgique du 13 juin 1979, que "le droit de disposer de ses biens constitue un élément traditionnel fondamental du droit de propriété". A partir de la décision Sporrong et Lönnroth c. Suède du 23 septembre 1982, la notion de propriété va d'ailleurs largement se substituer à celle de "droit au respect des biens" dans la jurisprudence de la Cour.
En l'espèce, il n'est pas contesté que la procédure de confiscation constitue une "ingérence" dans le droit de propriété. Les requérants considèrent que la loi qui leur est appliquée viole les principes d'égalité des armes et de non-rétroactivité, et qu'elle est disproportionnée au sens de la jurisprudence de la Cour. Après un recours devant la Cour suprême adjare en septembre 2004, puis devant la Cour constitutionnelle géorgienne en 2005, ils ont donc saisi la Cour européenne des droits de l'homme.
Confiscation "administrative"
La procédure de confiscation est qualifiée d'"administrative" par le droit géorgien. Une loi du 3 février 2004 l'introduit en effet dans le code de procédure administrative géorgien, et la confiscation des biens des requérants est engagée en août 2004.
La qualification de confiscation "administrative" vise seulement à affirmer que cette procédure est indépendante de toute peine pénale. C'est ainsi que l'entend le droit géorgien et la Cour européenne ne remet pas en cause cette terminologie, évoquant cependant la "so-called administrative confiscation". Le caractère administratif renvoie uniquement à l'initiative de la procédure qui appartient à l'Etat, celui-ci décidant de saisir un bien acquis avec l'argent de la corruption. Le contentieux porte cependant sur "des droits et obligations de caractère civil" au sens de l'article 6 § 1 de la Convention européenne, et la personne victime de cette confiscation peut saisir les tribunaux de l'ordre judiciaire.
Le renversement de la charge de la preuve
Pour la Cour européenne, ce renversement de la charge de la preuve est licite, dès lors que le contentieux n'est précisément pas de nature pénale. Elle en avait déjà jugé ainsi dans son arrêt Raimondi c. Italie du 22 février 1994 à propos de la législation italienne permettant la confiscation des biens acquis avec l'argent de la mafia. Dans une affaire récente Abouffada c. France du 27 novembre 2014, rendue cette fois à propos de la confiscation de biens achetés avec des fonds provenant du trafic de stupéfiants, la Cour a même admis ce renversement de la charge de la preuve dans le cas d'une peine complémentaire. La culpabilité des intéressés était déjà prononcée par une peine pénale prononcée à l'issue d'une procédure respectueuse de la présomption d'innocence.
La non-rétroactivité
Dès lors que la procédure de confiscation n'est pas de nature pénale, la question de la rétroactivité de la loi de 2004 est rapidement écartée. La Cour européenne fait observer que le droit géorgien de lutte contre la corruption permet de contraindre les personnes à justifier les moyens d'acquisition de leurs biens depuis 1997. Le texte de 2004 est donc une loi de procédure qui se borne à organiser cette confiscation concrètement.
Il reste à la Cour à s'interroger sur la confiscation elle-même et sur sa conformité au Protocole additionnel.
L'atteinte au droit de propriété
Pour être licite, la confiscation des biens acquis par des actes de corruption doit d'abord être prévue par la loi. Ce point n'est pas contesté, puisqu'une loi géorgienne de 2004 l'organise de manière très précise.
La Cour s'assure ensuite que cette législation poursuit un "but légitime". Sur ce point, la Cour dispose d'un argument particulièrement puissant, puisqu'elle a eu à connaître du cas d'une des victimes de l'ancien ministre de l'intérieur d'Adjarie. Le requérant de l'époque avait en effet dû, sous la contrainte, céder sa propriété au ministre pour une somme équivalent à 300 €. Dans son arrêt Tchitchinadze c. Géorgie du 27 mai 2010, la Cour fait observer que la législation géorgienne a pour objet essentiel de restituer des biens à leur légitime propriétaire. C'est seulement si cette restitution est impossible que les biens sont confisqués au profit de l'Etat.
Enfin, la Cour contrôle la proportionnalité de l'atteinte à la propriété par rapport à ce but légitime. Sur ce point, la Cour se limite à réaffirmer la légitimité de la lutte contre la corruption. La mesure de confiscation organisée par le droit géorgien est autorisée par l'article 31 de la Convention des Nations Unies de 2005 sur la lutte contre la corruption, par la Convention du Conseil de l'Europe de 2005 relative au blanchiment et (...) à la confiscation des produits du crime (...)". D'une manière générale, la Cour constate ainsi que la Géorgie, en prévoyant une mesure de confiscation dans son droit interne, ne fait que se conformer au droit international de la lutte contre la corruption.
La Cour encourage ainsi les Etats à développer leur arsenal juridique dans le cadre de la lutte contre la corruption et surtout à en faire usage. C'est ce qu'a fait le droit français, et le principe de confiscation des avoirs criminels est désormais une réalité, notamment depuis la loi du 9 juillet 2010 qui crée l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC). Il n'en demeure pas moins que cette confiscation n'est guère utilisée qu'en matière de grande criminalité et non pas pour lutter contre la corruption du monde politique. Il est vrai que les ministres de l'intérieur corrompus ne se rencontrent qu'en Adjarie.
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