« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 22 novembre 2013

Adoption du référendum d'initiative populaire, sans initiative populaire

Le 21 novembre 2013, la Commission mixte paritaire a adopté les textes relatifs au référendum d'initiative partagée, une loi organique et une loi ordinaire. Aussitôt adopté, la loi organique a d'ailleurs été transmise au Conseil constitutionnel, puisque ce dernier est obligatoirement saisi de toutes les lois organiques. Il est bien peu probable que le texte soit déclaré non conforme à la Constitution, et il va sans doute bientôt entrer en vigueur. C'est lui qui pose les principes généraux du référendum, la loi ordinaire étant consacrée à la procédure référendaire.

Cinq ans après...

On doit observer la lenteur de la gestation de ces textes qui trouvent leur origine dans la révision constitutionnelle de 2008 qui modifiait la rédaction de l'article 11, en ajoutant : "Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d'une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an". Rappelons cependant que cette procédure ne s'applique que dans le champ de l'article 11, ce qui signifie que la consultation populaire doit porter sur l'organisation des pouvoirs publics ou les réformes relatives à la politique économique sociale ou environnementale, ou encore avoir pour objet d'autoriser la ratification d'un traité qui aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.

Cinq années se sont donc déroulées entre la révision constitutionnelle et le vote des lois permettant sa mise en oeuvre. Le Président Sarkozy qui se proposait, par cette réforme, de "redonner la parole au peuple français", n'a rien fait que pour cette prise de parole devienne une réalité. Si deux projets de loi ont bien été déposés en décembre 2010, ils n'ont été adoptés par l'Assemblée nationale en première lecture qu'en janvier 2012. Il a donc fallu attendre l'alternance pour que la procédure législative soit menée à son terme, sans enthousiasme particulier. 

En réalité, les parlementaires n'ont jamais voulu du référendum d'initiative populaire, et le projet leur donne entière satisfaction sur ce point. Ce texte rappelle ainsi la fameuse lettre de Joseph Caillaux, écrivant en substance : "J'ai enfoncé l'impôt sur le revenu en ayant l'air de le défendre". 

La réforme apparaît donc purement cosmétique, marquée à la fois par l'étroitesse de son champ d'application, et la possibilité offerte au parlement de contrôler entièrement la procédure. 



Un champ d'application restreint

Le domaine des libertés publiques  n'est pas réellement concerné par la nouvelle procédure, sauf dans l'hypothèse où elle la réforme se traduirait par une modification de nos institutions. Certes, les opposants au mariage pour tous ont allègrement affirmé que la liberté du mariage relèvait de la "politique sociale", oubliant au passage que Nicolas Sarkozy avait oublié de faire voter les lois d'application. Mais cette analyse ne reposait sur aucun argument juridique.

De même, ceux qui souhaiteraient aujourd'hui utiliser ce référendum pour imposer le droit des vote des étrangers aux élections locales seront sans doute déçus. Car le droit de suffrage ne concerne pas les "pouvoirs publics", et pas davantage la politique économique, sociale ou environnementale. Pour empêcher toutes interprétation un peu trop libérale du champ du référendum, l'objet de toute initiative dans ce domaine doit être soumis au Conseil constitutionnel pour être préalablement contrôlé.

Une initiative parlementaire

Contrairement au slogan lancé par l'ancien Président, le nouvel article 11 ne redonne pas la parole au peuple français. Il ne s'agit pas d'un référendum d'initiative populaire, mais plus modestement d'une initiative parlementaire. Le texte doit être présenté par 1/5è des membres du Parlement, soit 185 députés et sénateurs qui déposent une proposition de loi, dans les conditions du droit commun. Le peuple n'intervient qu'ensuite, pour appuyer l'initiative parlementaire. La démocratie directe est donc entièrement absente de l'élaboration du texte, qui demeure la compétence exclusive du parlement. 

L'intervention du peuple se réduit à une forme un peu modernisée du droit de pétition, mise en oeuvre de telle manière qu'il ne puisse jamais être mis en oeuvre. En effet, pour qu'un référendum puisse effectivement avoir lieu, le texte doit recevoir le soutien du dixième de l'électorat, soit environ 4 500 000 électeurs. Un tel chiffre suppose une mobilisation qui, à dire vrai, a bien peu de chances d'être atteinte. Souvenons nous que lors du débat sur le mariage pour tous, ses partisans étaient très fiers de remettre au Conseil économique social et gouvernemental une pétition regroupant 690 000 signatures. 

Même si, par l'effet d'une mobilisation peu probable, un projet de texte parvenait à réunir les 4 500 000 signatures indispensables, il ne ferait pas pour autant obligatoirement l'objet d'un référendum. Le texte prévoit que le parlement peut alors reprendre le contrôle de la procédure. 

Après avoir contrôlé le nombre de signatures, le Conseil constitutionnel déclare, dans une décision publiée au Journal officiel, que la proposition a le soutien d'un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. A l'issue d'un délai de six mois après cette publication, le Président de la République la soumet au référendum.... sauf si le parlement en décide autrement.

Cela peut sembler compliqué, mais c'est très simple. Il suffit à la majorité de l'Assemblée et du Sénat d'"examiner" le texte une fois pour l'enterrer définitivement (art. 9 de la loi organique). Il n'est même pas indispensable de susciter un vote, il suffit de l'inscrire à l'ordre du jour, et d'organiser un débat, un seul. Dans ce cas, la proposition est alors purement et simplement enterrée, oubliée, comme sont enterrés les espoirs des malheureux citoyens qui auraient eu la naïveté de croire que cette réforme avait pour but de "redonner la parole au peuple".

Bien entendu, l'actuelle majorité s'est trouvée plus ou moins contrainte de mener à son terme une réforme figurant déjà dans la Constitution, depuis la révision de 2008. Et puisque le principe de ce référendum figure dans la Constitution, le Conseil constitutionnel ne pourra évidemment pas le déclarer inconstitutionnel.

Ce référendum d'un genre nouveau, caractérisé surtout par son caractère inapplicable, est pourtant une sorte de monstre juridique qui va certainement empêcher longtemps l'adoption d'une vraie initiative populaire.  Plus grave peut-être, il illustre parfaitement une tendance récente à intégrer dans la Constitution des dispositions inutiles, uniquement destinées à assurer une mission conjoncturelle de communication politique. Cette forme de pollution de la Constitution conduit à saper lentement sa crédibilité et la confiance que les citoyens ont à son égard. Ne sont-ils pas les premières victimes d'une procédure dont ils sont finalement exclus ?

3 commentaires:

  1. Si on voulait mettre le feu aux poudres, ce serait un excellent sujet...

    RépondreSupprimer
  2. Effectivement, ce mécanisme n'a rien de très populaire... Cette disposition constitutionnelle, outre qu'elle contrevient à l'esprit du principe de la République fixé à l'article 2 de la Constitution, contribue à discréditer un peu plus notre Démocratie.

    Cependant, ne croyez-vous pas possible que par ce biais puisse être adopté l'interdiction du cumul des mandats, qui aurait des conséquences positives pour notre démocratie?

    Vraisemblablement, cette réforme sur les mandats rentrerait dans le cadre de l'organisation des pouvoirs publics (isn't?). On peut également supposer, qu'avec 4, 5 millions d'électeurs favorable à l'interdiction du cumul des mandats (chiffre atteignable?), le Parlement ne se risquerait pas à enterrer la proposition de loi.

    Je rêve surement...

    Cordialement,
    Véronique

    RépondreSupprimer
  3. Bonjour,

    Manifestement, il y a une accumulation de provocations qui finiront par provoquer une colère franche et nette qui ne pourra mener qu'à des excès...A force de tirer sur la corde, elle finira par se rompre.

    Jusqu'ici on a eu affaire à de petites provocations.

    On pourrait multiplier les exemples et pour ne pas évoquer les sujets "socio-économiques" dont tout le monde parle et qui énervent suffisamment de monde, on peut aussi se faire la réflexion à propos de sujets plus "sociétaux".

    On a eu le débat sur le mariage "pour tous"...Maintenant on a un texte sur la prostitution où commence à poindre une sérieuse polémique.

    Tout le monde sait que ce texte est une absurdité, un texte inutile et parfaitement inapplicable.

    Sans compter que se profile aussi à propos de ce sujet, l'intention de censurer Internet...(sans que l'on sache comment...). Sujet à lui seul potentiellement explosif...Souvenons aussi du texte (sous Sarkozy mais avec le soutien de la gauche) sur la négation du génocide Arménien qui avait agacé tout le monde.

    Le référendum, je pense est encore plus grave car lorsque ce sujet sera un peu plus médiatisé (s'il l'est et il faut l'espérer) on se rendra assez vite compte que l'on est en présence d'une véritable tromperie et pour dire les choses plus clairement d' une véritable malhonnêteté intellectuelle. La provocation est ici patente et il ne s'agit pas d'une "petite" provocation mais d'une "grosse" provocation.

    Si on voulait mettre le pays à feu et à sang, on ne s'y prendrait pas autrement.

    RépondreSupprimer