« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 26 juin 2020

Les Invités de LLC : Serge Sur : Vive le Parquet national financier !

Liberté Libertés Chéries reçoit aujourd'hui Serge Sur,

Professeur émérite de l'Université Paris 2 (Panthéon-Assas).



Depuis quelques jours, depuis l’audition par une commission parlementaire de Madame Eliane Houlette, ancien Procureur national financier, une polémique entretenue par des avocats et relayée par des médias est engagée. Elle met en cause non seulement l’action de Mme Houlette à la tête du PNF, mais l’institution elle-même, qui serait en quelque sorte une atteinte permanente aux libertés, harcelant et traquant des innocents injustement persécutés. Et les avocats de dénoncer des méthodes intrusives contre les suspects, une surveillance indue à leur encontre, des atteintes à leur secret professionnel, etc… Mme Rachida Dati, ancienne garde des sceaux du président Sarkozy et comme lui en délicatesse avec la justice, n’hésite pas à dénoncer dans le PNF une « officine », formule qui relaie la thèse du « cabinet noir » qui aurait, par de basses manœuvres, détruit la candidature présidentielle de François Fillon. L’union sacrée contre le PNF est ainsi réalisée entre fillonistes et sarkozystes, qui s’étripaient voici encore quelques mois. Derrière des attaques conjoncturelles, une remise en cause plus insidieuse de l’institution, alors qu’elle est la grande réussite judiciaire de ces dernières années.

 

Le procès du Parquet national financier

 

Les attaques contre le PNF sont à trois étages : les politiques mis en examen et en attente de procès d’abord. Leurs avocats ensuite, qui font flèche de tout bois pour discréditer l’accusation et ceux qui la portent, faute d’arguments de fond plus convaincants. Les médias enfin, toujours désireux de répandre le venin du soupçon et de créer l’événement, même lorsqu’il ne repose sur aucun fondement réel. A chaque étage, la mise en cause du PNF est hautement sujette à caution. On comprend bien que les personnes visées par une accusation maudissent ceux qui les chargent et cherchent à impressionner ceux qui vont les juger – mais la disqualification n’est pas un argument. Quant à leurs avocats revendiquent hautement, par exemple par la bouche de Me Dupont Moretti, le droit de mentir, un droit qu’ils se flattent donc d’exercer. Belle déontologie ! Dès lors, quelle crédibilité accorder à leur parole, à leurs postures de pères nobles drapés dans les plis du droit puisqu’eux-mêmes nous disent qu’il ne faut pas les croire ? Les médias enfin, qui donnent volontiers unilatéralement la parole aux personnes publiques poursuivies et à leurs conseils, sans se soucier du principe du contradictoire, sans interroger les autorités compétentes pour leur permettre de donner leur analyse, et en réalité de rectifier les assertions souvent erronées des premiers.

 

Pour ne prendre qu’un exemple, les médias bruissent d’une prétendue « affaire des écoutes », parce que l’on a demandé la liste des communications téléphoniques d’un certain nombre d’avocats qui auraient pu entraver une enquête contre l’ancien président Sarkozy qui, à l’instar d’individus peu recommandables, avait choisi de mener ses conversations téléphoniques sous pseudonyme, usurpant au passage l’identité d’un honnête citoyen qui n’y pouvait mais. N’a-t-on pas, au surplus, poussé l’audace jusqu’à géolocaliser certains d’entre eux ? Et de conclure qu’il y a là une atteinte inacceptable au secret professionnel des avocats. Voilà le type même de la Fake New, de la désinformation intéressée. En effet, il ne s’agit nullement d’écoutes, puisqu’il n’y a pas d’accès au contenu des conversations, et puisque ces méthodes ne sont en rien répréhensibles et surtout pas illégales lorsque l’on a affaire à une délinquance économique et financière qui s’apparente au grand banditisme. Aujourd’hui, on voit les émeutiers demander que l’on désarme la police et les escrocs demander que l’on désarme la justice. Et nombre de politiques font chorus, à tout le moins manifestent de l’émotion devant une supposée atteinte aux libertés, en réalité défendant un milieu, une société de connivence dans laquelle les petits arrangements entre amis sont dérangés par une justice qui remplit sa mission, enquêter sur les délits et organiser la poursuite judiciaire de leurs auteurs.



La Vérité. Guy Béart

 

Apologie du Parquet national financier

 

Car derrière les attaques en cours ou en préparation contre une magistrate, c’est l’institution même qu’il s’agit d’atteindre et si possible de détruire. Le PNF, voilà l’ennemi ! On oublie les conditions de sa création au moment de l’affaire Cahuzac, et la droite politique qui brandit volontiers le reproche de partialité feint de ne plus se souvenir que c’est un ancien ministre socialiste qui, sous une présidence socialiste, a donné lieu au procès le plus retentissant découlant de l’action du PNF. On oublie surtout que la partie visible de l’iceberg PNF, les enquêtes sur des responsables politiques, ne sont qu’une partie minime de son action. La partie invisible, du moins la partie qui n’intéresse pas les médias et sur laquelle les avocats préfèrent garder le silence modeste qui convient aux causes perdues, est en effet beaucoup plus importante, et bénéfique pour le respect du droit comme pour le trésor public. Si l’on consulte la Synthèse annuelle établie par le PNF sur son activité, document en accès libre et qui devrait être davantage connu, on observe que pour 2019, le PNF est en charge de 577 procédures en cours, que 156 ont été ouvertes durant l’année ; que 50 % de ces affaires concernent des atteintes à la probité, 7 %  aux marchés financiers, 43 % aux finances publiques ; que l’activité du PNF a permis au trésor public de récupérer au profit de l’Etat 7,7 milliards d’euros. C’est un bilan qui est tout à fait à l’honneur de l’institution et de ceux qui l’animent, avec un sens de l’Etat de droit qu’il convient de saluer et non de salir.


Car, comme le note Mme Eliane Houlette dans son avant-propos de la Synthèse 2018, il faut pour parvenir à ce résultat, utiliser des méthodes, naturellement légales, mais adaptées à un type de criminalité rationnelle, inventive, cynique et rusée : "(...) Utilisation de nouvelles méthodes de renseignement, d'investigation et de traitement de l'enquête économique et financière, mise en oeuvre des réponses pénales variées et adaptées à la spécificité des dossiers. Ces principes d'action (...) portent le projet de renforcer la lutte contre la grande délinquance économique et financière dont l'aptitude au renouvellement et à l'innovation nous oblige encore et toujours à adapter nos principes de fonctionnement, nos méthodes et outils de travail."


Qu’il y ait besoin en France d’un parquet national financier disposant de moyens juridiques et matériels renforcés est démontré sans conteste possible par les résultats obtenus depuis qu’il existe. Le supprimer serait une action contre le droit, contre l’Etat, contre l’intérêt public, dont seuls les escrocs pourraient se réjouir. L’affaiblir, mettre en cause les personnes qui le servent, est un pas dans cette direction, et tous ceux qui jouent les sycophantes contre le PNF feraient bien d’y réfléchir. Sans doute pourrait-on souhaiter que, dans l’intérêt même d’un ordre constitutionnel bien compris, on institue un réel pouvoir judiciaire, indépendant, au statut constitutionnel, permettant de refondre en un même corps la justice judiciaire, administrative et constitutionnelle, que le parquet ne dispose plus d’une compétence d’enquête préliminaire et que tous les actes d’instruction soient réservés à des magistrats du siège. Il y faudra une révision constitutionnelle, mais dans l’état actuel du droit, celui d’une justice fragmentée, dotée de moyens insuffisants, peu respectée par les responsables politiques, l’existence du PNF et sa réussite sont une bénédiction pour l’Etat de droit et la démocratie.  

 

3 commentaires:

  1. Tout à fait d'accord avec cet article. J'ai confiance dans le PNF. Il n'y a pas d'affaire. Chacun a fait son travail. Il n'y a pas d'abus ni d'opérations barbouzes comme j'ai pu l'entendre. Merci au PNF de faire ce travail. On s'interroge sur le rôle politique que certains avocats veulent se donner..

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  2. La création du PNF a représenté un énorme progres dans l'indépendance et l'efficacité de l'appareil judiciaire . Cette création n'a pu donner son plein effet que par la ténacité etl'indépendance d'Elian e Houlette.
    En tant que Procureur général près la Cour des comptes et responsable de l'action de l'ensemble des juridictions financières , j'ai rencontré en permanence le souci de donner suite efficace aux saisines , nombreuses émanant du parquet général et des parquets des chambres régionales ou territoriales des comptes .

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  3. Pour compléter utilement votre post, ainsi que les deux commentaires qui précèdent, le Monde daté du 1er juillet 2020 publie deux contributions utiles au débat qui ne fait que commencer tant la question de l'indépendance du parquet pose, à l'évidence, problème : le premier sous la plume de Marcel Lemonde ("L'affaire Eliane Houlette peut être l'occasion d'une vraie réforme judiciaire", page 32) et sous celle de Thomas Clay ("En défense du Parquet national financier", page 33).

    Une question importante est dès lors posée. La réforme du parquet doit-elle être envisagée séparément ou dans le contexte d'une refonte plus globale du système judiciaire ? La seconde voie paraît plus prometteuse à condition qu'elle ne tombe pas dans le travers d'une réforme de circonstance et qu'elle englobe la problématique de l'anachronique juridiction administrative.

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