« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


lundi 3 septembre 2012

La radio de LLC : Le juge Trévidic sur France Culture

Dominique Souchier avait décidé, au printemps dernier, d'interrompre le talk shaw qu'il animait sur Europe 1, car les responsables de cette station lui avaient interdit de recevoir des hommes et femmes politiques durant la campagne électorale. Aujourd'hui, il revient sur France Culture avec une émission nouvelle, "Une fois pour toutes", qui recevait, le samedi 1er septembre 2012, le juge Marc Trévidic, juge d'instruction au pôle antiterroriste, et président de l'association française des magistrats instructeurs (AFMI). L'émission mérite d'être écoutée ou podcastée, car le juge Trévidic n'est pas venu régler ses comptes, ni même mettre en lumière les difficultés de son métier. Il est venu offrir aux auditeurs une réflexion de fond sur les conditions du fonctionnement de la lutte judiciaire contre le terrorisme. 

L'affaire Mérah ou l'histoire d'un échec

Questionné sur l'affaire Mérah, le juge Trévidic fait observer, fort justement, que celle-ci ne faisait l'objet d'aucun traitement judiciaire au moment de l'assaut contre l'appartement du terroriste. Mais c'est précisément là que se situe la problème. La période sarkozyste a été marquée, en matière de terrorisme, par une volonté de privilégier le renseignement, au détriment d'une approche judiciaire. Les informations recueillies par la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), voire par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE)  justifiaient peut-être l'ouverture d'une instruction judiciaire, avant même que Mohamed Merah passe à l'acte. Il était sans doute possible d'ouvrir une information  contre X pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste (art. 421-2-1 c. pén.).

La DCRI n'a pas seulement pour mission de nourrir le renseignement et donc l'Exécutif. C'est aussi un instrument au service de l'autorité judiciaire. Quand elle se trouve en possession d'informations sur une ou plusieurs personnes suspectées de participer à des activités terroristes, elle peut alerter le parquet anti terroriste, afin d'ouvrir une information judiciaire. Le juge antiterroriste saisi de l'affaire est alors compétent pour enquêter, rechercher des preuves, y compris par des écoutes téléphoniques ou des techniques de sonorisation. Et le délit de l'article 421-2-1 du code pénal permet précisément l'arrestation des terroristes lorsqu'ils sont en train de préparer un attentat, avant qu'ils fassent des victimes.

Le système ne fonctionne convenablement que s'il existe une relation de confiance entre l'Exécutif et l'autorité judiciaire. Or les années récentes ont vu, au contraire, se développer une méfiance à l'égard des juges d'instruction, y compris dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Est-ce la DCRI qui ne saisissait pas le parquet, ou ce dernier qui refusait l'ouverture d'une instruction ? Il est bien difficile de le savoir, mais on doit observer que ces deux autorités sont placées sous l'autorité de l'Exécutif. 

Dès lors qu'aucune information n'était ouverte, il était ensuite très facile de dire que les juges d'instruction ne servaient à rien, et qu'il faudrait songer à la supprimer. L'affaire Mérah est sans doute, au moins en partie, le résultat de cette politique. 

L'affaire de Karachi

Sur l'affaire de Karachi, le juge Trévidic est précisément en charge de l'instruction de son volet "attentat". Un autre juge est, en revanche, chargé du volet financier et des éventuelles commissions ou rétro-commissions peut-être versées pour le financement de la campagne électorale d'Edouard Balladur, en 1995. 



Le juge Trévidic est lié par le secret de l'instruction, et il n'entre évidemment pas dans les détails d'un dossier complexe, partagé entre deux instructions. Presque trois années d'enquête sur l'attentat ont en effet été nécessaires pour que soit ensuite ouverte une instruction sur les aspects financiers. 

Dans ce cas, est mise en lumière l'impérieuse nécessité de l'absolue indépendance du juge d'instruction à l'égard de l'Exécutif. Car l'efficacité de l'autorité judiciaire se mesure à l'aune de son indépendance à l'égard de l'Exécutif. 

Le juge Trévidic n'est prêt à aucune concession sur ce point, comme en témoignent les nombreuses pressions dont il a fait l'objet ces trois dernières années, de la part d'un Exécutif fort mécontent de son enquête sur l'attentat de Karachi. L'émission rediffuse à ce propos les paroles de Nicolas Sarkozy, répondant à un journaliste de l'AFP sur l'hypothèse selon laquelle l'attentat de Karachi aurait été commis en représailles au non versement de commissions  : "Qui peut croire à une fable pareille ?". Le juge Trévidic précisément croyait à une "fable pareille", ayant annoncé aux familles des victimes que cette piste était "cruellement logique".  Cette situation illustre, jusqu'à la caricature, les interventions de l'Exécutif dans l'instruction en cours, les pressions dont peuvent faire l'objet les juges d'instruction. 

Les contraintes d'une émission de radio interdisent les développements trop longs, et le juge Trévidic s'exprime sur le ton de la conversation, sans aucune animosité.  De ses propos, on peut seulement déduire la nécessité de renforcer l'indépendance de l'autorité judiciaire, en supprimant le lien incestueux entre l'Exécutif et la parquet. Quant aux juges d'instruction, il suffit de les laisser travailler. 

1 commentaire:

  1. Supprimer le lien entre l'Exécutif et le parquet revient à supprimer toute politique pénale. Ce serait une atteinte au principe de l'opportunité des poursuites.

    Et que dire du lien entre les magistrats du parquet et du siège. Est-il souhaitable de pouvoir passer invariablement de l'un à l'autre, pour le bien d'un avancement de carrière ? En ce sens, l'indépendance statutaire du juge d'instruction a ses limites et l'affaire des accusés d'Outreau en a été la médiatique illustration.

    RépondreSupprimer