« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


samedi 8 septembre 2012

Avocat et garde à vue, une double irrecevabilité

La Cour européenne n'en finit pas de traiter de la présence de l'avocat durant toute la durée de la garde à vue. La question fait le tour des pays du Conseil de l'Europe, et la Cour a successivement condamné la Turquie avec l'arrêt Salduz du 27 novembre 2008, puis la France avec la décision Brusco du 14 octobre 2010

La décision Simons c. Belgique rendu par la Cour le 6 septembre 2012 revient sur cette question par une décision d'irrecevabilité. Le droit belge de l'époque prévoyait que la garde à vue, comme d'ailleurs le premier interrogatoire du juge d'instruction, se déroulaient hors la présence de l'avocat de la défense.  Il était donc passible, a priori, de la même sanction que les systèmes juridiques français et turcs. Mme Simons avait reconnu à la fois devant la police et le juge d'instruction qu'elle avait agressé et blessé à coups de couteau son compagnon. Elle a ensuite contesté sa mise en détention provisoire. A ses yeux, cette dernière repose sur une procédure préalable non conforme à la Convention européenne, puisqu'elle n'a pas pu bénéficier de l'assistance d'un avocat, et n'a pas été informée de son droit de garder le silence. Elle invoque donc une violation du droit au procès équitable consacré par les articles 6 § 1 et § 3 de la Convention et du droit à la sûreté garanti par l'article 5 § 1. 

La Cour rend une décision reposant sur une double irrecevabilité, d'ailleurs sans beaucoup de conséquences sur le droit belge, puisque la loi "Salduz" du 13 août 2011 a consacré le droit à la présence de l'avocat dès le début de la garde à vue en Belgique. Elle n'a même pas de conséquences pour la requérante, qui a finalement été remise en liberté en attendant son procès.


Georges Mathieu (1921-2012) . Jours de captivité.


Pas de procès équitable sans procès

Ecartons d'emblée la première irrecevabilité, celle portant sur le droit au procès équitable figurant dans l'article 6 § 1 et § 3. En effet, le recours porte sur la procédure d'instruction, en l'espèce la détention provisoire. Selon une jurisprudence constante, et notamment l'arrêt Bouglame c. Belgique du 2 mars 2010, le droit au procès équitable s'apprécie sur l'ensemble d'un procès. Cette appréciation ne peut donc intervenir qu'après la condamnation. En l'espèce, le procès de la requérante n'a toujours pas eu lieu au moment de la décision de la Cour européenne. De cette jurisprudence, on doit donc déduire qu'il incombe au droit belge de préciser les droits des personnes mises en examen avant l'intervention de la loi de 2011.

Un principe de procédure pénale

La seconde irrecevabilité est plus intéressante. La requérante s'appuie en effet sur le principe de sûreté garanti par l'article 5 § 1, qui énonce que nul ne peut être privé de sa liberté que dans les cas qu'il énumère et "selon les voies légales". Elle estime qu'elle a été privée de sa liberté sur la base d'une procédure qui peut être considérée comme non conforme à la Convention européenne, et donc non conforme aux "voies légales" auxquelles se réfère cet article. La Cour reconnaît volontiers que la privation de liberté subie par la requérante relève du principe de sûreté. En revanche, les "voies légales"sont celles définies par la législation nationale, et non pas par le droit de la Convention européenne. Cette solution est d'ailleurs acquise depuis l'arrêt Winterwerp c. Pays Bas du 24 octobre 1979

Cette décision d'irrecevabilité marque très nettement le refus de la Cour de faire du principe des droits de la défense dès le début de la privation de liberté un" principe général". Pour la Cour, le "principe général" est toujours transverse et s'applique à tous les domaines du droit. Figurent notamment dans cette catégorie les principes de sécurité juridique ou de protection contre l'arbitraire. Le droit de la défense durant la garde à vue s'analyse ainsi comme un principe de procédure pénale, auquel il est d'ailleurs possible de déroger dans certains cas particuliers, et qui relève exclusivement du procès équitable. La présence de l'avocat durant la garde à vue est donc un élément de ce procès équitable, un parmi d'autres.



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