Le projet de loi relatif à la bioéthique, présenté par le Premier ministre et la ministre de la santé a été transmis à l'Assemblée nationale dès le 24 juillet 2019, juste après son adoption en conseil des ministres. Le travail en commission commencera le 26 août, et le débat dans l’hémicycle le 24 septembre.
En tout état de cause, la loi a un peu de retard. En effet, les lois bioéthiques ont comme caractéristique de comporter une "clause de revoyure", terme un peu familier pour désigner des lois qui précisent elles-mêmes un délai à l'issue duquel le parlement doit de nouveau se prononcer. En l'espèce, la loi du 7 juillet 2011 prévoyait une "revoyure" dans sept ans, ce qui signifie que le parlement a un an de retard. Il est vrai qu'il a été très occupé.
On peut déjà penser que ce débat sera animé. Les anciens combattants contre le mariage pour tous sont en train de fourbir leurs arguments en vue d'une nouvelle bataille. Certains nostalgiques affirment déjà qu'"après le droit du couple déconstruit en 2013, c’est le droit de la filiation qui est détruit". De son côté, le gouvernement prône un débat apaisé et la recherche du consensus. A ainsi été décidée la création d'une commission spéciale pour examiner le projet de loi, structure censée mieux refléter les différentes sensibilités de l'Assemblée. Cette commission est présidée par Mme Agnès Firmin Le Bodo (UDI-indépendants, parti Agir). Elle comporte 72 membres, les députés LaRem disposant d'une confortable majorité de 38 membres.
Dans son avis, le Conseil d'Etat, lui aussi s'efforce de calmer le débat. S'inspirant largement de son rapport de juillet 2018 destiné précisément à préparer cette révision de la législation, il reprend les points les plus controversés et montrant que le projet de loi ne bouleverse pas à ce point le droit positif.
L'AMP des couples de femmes et des femmes seules
L'article 1er du projet ouvre l'assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes seules. Le Conseil d'Etat en prend acte, même si l'on sait qu'il n'était guère enthousiaste dans son rapport de 2018. A l'époque, il affirmait
qu'"aucun principe juridique (...) ni le fait que l'adoption soit
ouverte aux couples de femmes (...) ne rendent nécessaire l'ouverture
d'accès à l'AMP". Aujourd'hui, il répète que "l’extension de l’accès à l’AMP, telle qu’elle est prévue par le projet
de loi, relève d’un choix politique. Le droit ne commande ni le statu
quo, ni l’évolution." Il précise que ni le droit au respect de la vie privée, ni l'interdiction des discriminations ou le principe d'égalité n'imposent une telle évolution, pas plus que la notion de "droit à l'enfant", dépourvue de "consistance juridique". L'enfant est en effet un sujet de droit et non pas l'objet du droit d'un tiers. Le Conseil d'Etat proclame donc sa neutralité à l'égard du projet.
Le Conseil est tout de même obligé de constater que si le droit n'impose pas l'ouverture de l'AMP aux femmes seules ou en couple, il ne s'y oppose pas davantage. C'est donc au législateur de se prononcer sur ce point. Toute sa démarche vise alors à dissocier l'AMP et la gestation pour autrui (GPA). Il cite ainsi la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 17 mai 2013 à propos de la loi sur le mariage pour tous. Il avait alors affirmé que les couples formés d'un homme et d'une femme sont,
au regard de la procréation, dans une situation différente de celle des
couples formés de personnes de même sexe. Une différence de traitement ne porte donc pas atteinte au principe d'égalité. La Cour européenne des droits de l'homme, dans son arrêt Gas et Dubois c. France du 15 mars 2012, n'avait pas vu de caractère discriminatoire dans le refus opposé à un couple de femmes qui demandait une insémination avec donneur (IAD), Le Conseil d'Etat lui-même, statuant cette fois au contentieux, a refusé, le 28 septembre 2018, le renvoi d'une QPC portant sur les dispositions du code de la santé publique interdisant l'accès à l'AMP aux couples de femmes.
Cette absence d'enthousiasme pour l'AMP conduit ainsi le Conseil d'Etat à affirmer clare et intente que l'ouverture de l'AMP aux femmes n'aura pas pour conséquence obligée celle de la GPA aux couples d'hommes. Il permet ainsi à l'Exécutif de s'abriter derrière son avis pour écarter les objections qui ne manqueront d'apparaître, considérant que l'AMP conduit nécessairement à la GPA. De même la critique reposant sur le coût de ces techniques pour la collectivité publique est-elle largement relativisée, le Conseil d'Etat faisant état d'études évaluant ce coût à 15 millions d'euros, soit 5 % de coût total de l'AMP en France.
En cloque. Renaud, Zénith, 1985
AMP et filiation
En l'état actuel du droit, énoncé dans les articles 311-19 et 311-20 du code civil, les couples hétérosexuels ayant recours à l'AMP avec un tiers donneur doivent exprimer leur consentement préalable devant un notaire. Cette procédure demeure confidentielle et a pour effet d'interdire ensuite toute contestation de paternité. L'article 4 prévoit d'étendre cette déclaration anticipée aux couples de femmes, à la différence que l'acte sera transmis à l'officier d'état civil. Les deux femmes pourront alors être légalement les parents de l'enfant, dès sa naissance. Le Conseil d'Etat ne s'oppose pas à cette procédure mais se déclare réticent à l'idée de l'élargir à l'ensemble des couples recourant à l'AMP. En effet, rien n'interdit à un couple hétérosexuel de déclarer l'enfant dans les conditions du droit commun et de lui cacher les conditions de sa conception. Le Conseil souhaite préserver cette possibilité, dès lors que cette différence de traitement est justifiée par la différence de situations.
L'accès aux origines
Cette question nous conduit directement à la question de l'accès aux origines. L'article 3 du projet permet aux personnes nées d'un don de gamètes d'accéder aux informations non identifiantes relatives au donneur ainsi qu'à son identité. Les conditions concrètes de ce droit d'accès aux origines seront définies par décret. Pour le moment, l'article est rédigé de manière relativement obscure. Le Conseil d'Etat, quant à lui, semble tenir pour acquis que cet accès aux origines sera subordonné au consentement de l'intéressé. Il se déclare favorable au recueil de ce consentement au moment où la personne née d'une AMP en fera la demande, et non pas au moment du recueil des gamètes. En effet, c'est lorsque la question se posera concrètement, au moins dix-huit ans après le don, que le géniteur pourra donner un consentement éclairé, tenant compte des conséquences de cette divulgation sur sa vie actuelle. On observa qu'en tout état de cause, l'article 9 de la loi autorise la transmission de données génétiques au profit de personnes nées dans l'anonymat ou conçues par un don. Une commission d'accès aux données non identifiantes et à l'identité du tiers donneur devrait être créée pour gérer ces demandes.
Conséquence de ces réformes, le projet autorise l’autoconservation de gamètes, notamment pour permettre aux femmes de mener ultérieurement un projet d'AMP. En effet, comment refuser à une femme d'utiliser ses propres gamètes pour mener à bien une grossesse, alors qu'elle a le droit d'utiliser ceux d'un donneur ? Encore sera-t-il nécessaire d'empêcher que cette technique soit proposée aux femmes par une entreprise désireuse d'éviter les congés-maternité...
Pour le moment, le projet de loi est encore bien imparfait et il faut espérer que des débats de qualité permettront de l'améliorer. Il est par exemple tout-à-fait surprenant de constater l'absence de toute référence à l'insémination post-mortem alors que le Conseil d'Etat s'y était déclaré favorable dans son rapport de 2018 et que la jurisprudence l'avait admise, même de manière relativement restrictive. Dans son avis sur le présent projet de loi, le Conseil d'Etat ne peut d'ailleurs s'empêcher de souhaiter qu'elle figure dans la loi "dans un souci de cohérence d’ensemble de la réforme".
Le Parlement a donc du travail devant lui, et il conviendra de laisser le débat se déployer librement. Il faut donc espérer que les techniques destinées à limiter le temps de parole seront écartées. Souvenons-nous, que durant les débats de la loi sur le mariage pour tous, le gouvernement de l'époque avait courageusement fait face aux 9000 amendements déposés par l'opposition. Se rendant compte qu'elle ne parviendrait pas à susciter le recours à l'article 49 § 3, elle s'était lassée la première, laissant Christiane Taubira maître du champ de bataille.
Sur l'AMP : Chapitre 7, section 3 du manuel de Libertés publiques sur internet , version e-book, ou version papier.