Dans un arrêt du 19 juillet 2019, l'Assemblée du Conseil d'Etat écarte le recours déposé par Marine Le Pen contre la délibération du 24 octobre 2018 de la Haute autorité sur la transparence de la vie publique (HATVP). Celle-ci avait en effet décidé d'assortir la publication de la déclaration de situation patrimoniale d'une appréciation constatant que cette déclaration n'était ni exhaustive, ni exacte, ni sincère.
La HATVP est une autorité administrative indépendante créée par la loi relative à la transparence de la vie publique du 11 octobre 2013. Ce texte vise à assurer la transparence financière de la vie politique et à prévenir les conflits d'intérêt. Les élus, ainsi que certains hauts responsables administratifs, doivent donc remplir une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d'intérêts, déclarations qui peuvent être consultées sur le site de la HATVP. C'est ce qu'a fait Marine Le Pen, élue en 2017 députée du Pas de Calais, mais il semble que la Haute Autorité ait estimé que son patrimoine immobilier était largement sous-évalué. Après exercice des droits de la défense, et donc échanges avec l'intéressée, la HATVP a publié la déclaration assortie de ses commentaires mettant en cause sa sincérité. Marine Le Pen conteste donc la délibération ajoutant ces annotations.
Une décision faisant grief
La première question qui se pose est celle de la recevabilité du recours. L'appréciation portée par la HATVP sur la déclaration peut-elle s'analyser comme une décision administrative ? Il est vrai que le décret du 23 décembre 2013 ajoute la HATVP à la liste des "organismes collégiaux à compétence nationale" dont les actes sont contestables, en premier et dernier recours, devant le Conseil d'Etat (art. R 311-1 du code de la justice administrative).
Certes, mais cette compétence du Conseil d'Etat ne nous renseigne pas sur la nature juridique de la déclaration "annotée" par la HATVP. La question est intéressante, car elle nous ramène à la définition même de l'acte administratif. Bon nombre d'autorités indépendantes, telles que la CNIL ou le CSA disposent d'un pouvoir de sanction. Celui-ci a même constitué l'un des critères, mais pas le seul, de la qualification d'autorité administrative indépendante, lorsque le législateur, avec la loi du 20 janvier 2017 a entrepris de dresser une liste exhaustive de ces institutions. La HATVP en fait évidemment partie, mais elle ne dispose pourtant pas d'un pouvoir de prendre des sanctions financières au même titre que la CNIL ou le CSA. Lorsqu'elle constate qu'une personne n'a pas respecté les obligations de transparence imposées par la loi, elle peut seulement informer les autorités qui disposent d'un pouvoir de sanction sur l'intéressé ou susciter une vérification par l'administration fiscale. Comme tout service public, elle est aussi tenue de signaler au parquet toute infraction dont elle a connaissance sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale.
La délibération contestée par Marine Le Pen ne comporte aucune sanction, mais elle comporte la menace d'une sanction, fiscale et/ou pénale. Une fois constatée l'absence de sincérité de sa déclaration de patrimoine, la HATVP va en effet probablement transmettre le dossier au parquet.
Sans doute, mais le Conseil d'Etat, lui, ne peut pas déduire le caractère de sanction des seules suites, encore hypothétiques, de la constatation faite par la Haute Autorité.
Il se place donc sur le terrain de la publicité de cette déclaration. L'article LO 135-2 du code électoral précise en effet que l'appréciation de la HATVP est rendue publique en même temps que la déclaration de patrimoine. Certes, cette appréciation est, en soi, dépourvue d'effets juridiques, mais elle porte à l'évidence atteinte à la réputation du parlementaire concerné et, à ce titre, elle est susceptible d'influencer les électeurs. Le Conseil d'Etat déduit de cette analyse que l'appréciation de la HATVP fait grief à l'intéressé et qu'à ce titre, elle peut donc faire l'objet d'un recours. Sur ce point, le Conseil d'Etat reprend une jurisprudence traditionnelle qui considère qu'une décision ne peut faire l'objet d'un recours que si elle a un impact sur la situation juridique de l'intéressé, en un mot si elle lui fait grief.
Cache ton piano, Dréan, 1920
Mais pas une sanction
Une fois acquise la recevabilité du recours, le Conseil d'Etat examine la requête au fond. Il prend alors soin d'affirmer que si l'annotation figurant sur la déclaration de patrimoine constitue une décision faisant grief, elle ne saurait être considérée comme une sanction. Dans sa décision du 9 octobre 2013, le Conseil constitutionnel avait déjà énoncé que "la décision de la Haute autorité d'assortir la
publication d'une déclaration de situation patrimoniale d'un député ou
d'un sénateur de la publication de son appréciation quant à
l'exhaustivité, l'exactitude et la sincérité de cette déclaration (...) ne constitue pas une sanction ayant le caractère d'une punition". Par voie de conséquence, l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ne peut être invoqué en l'espèce. Le moyen articulé par Marine Le Pen qui voyait un manquement au principe d'impartialité dans le fait que les différentes étapes de la procédure n'ont pas été confiées à des organes distincts ne peut donc pas être examiné.
Le Conseil d'Etat examine ensuite le déroulement de la procédure et notamment le fait qu'une procédure soit actuellement en cours devant l'administration fiscale. Elle exerce enfin un contrôle au fond montrant que Marine Le Pen a sans doute sous évalué ses biens, notamment en évaluant un bâtiment situé dans les Hauts de Seine à la valeur du terrain nu. Tout cela conduit à un rejet du recours qui était plus que prévisible.
Oublions un peu la situation personnelle de Marine Le Pen pour ne regarder que l'analyse juridique du Conseil d'Etat. Son raisonnement en deux temps a quelque chose d'un peu surprenant. D'abord, il commence par affirmer que la constatation de la Haute Autorité a une valeur décisoire et peut donc faire l'objet d'un recours. Ensuite, il refuse de la considérer comme une sanction, ce qui écarte tout moyen tiré d'un manquement aux règles du procès équitable. En d'autres termes, le requérant a le droit de contester un acte, mais pas réellement de se défendre efficacement. Quant au Conseil d'Etat, il semble reconnaître qu'une décision faisant grief n'a pas besoin d'être prise par une autorité impartiale. L'administré, à la lecture de cet arrêt, risque de conclure que la transparence de la vie publique a pour corollaire l'opacité de la jurisprudence.
Le médiatique avocat pénaliste, Maître Eric Dupond-Moretti estime que tout procès recèle sa part de "droit et de tordu".
RépondreSupprimerPour ce qui est de la justice judiciaire, nous venons d'en avoir un brillant exemple avec la relaxe générale prononcée dans l'affaire Tapie (arbitrage Crédit Lyonnais). Du vaudeville de très haute tenue !
S'agissant de la juridiction administrative, la décision que vous commentez illustre à la perfection l'art consommé de la duplicité et du "jésuitisme" du Conseil d'Etat. Un véritable travail de dentelle juridique.
A quand la création d'un collectif d'éminents juristes et universitaires indépendants et impartiaux - un tantinet non conformistes - pour instruire en toute transparence le procès de la pratique du "tordu" au Palais-Royal ? Un exercice démocratique qui pourrait s'avérer aussi savoureux que salutaire au pays de la patrie autoproclamée des droits de l'homme.
Attention R.311-1 CJA a été modifié par le décret n°2013-730 du 13 août 2013...
RépondreSupprimerLa notion d'organisme collégial à compétence nationale n'existe plus dans ce texte...
La mention pertinente est la suivante:
4° Des recours dirigés contre les décisions prises par les organes des autorités suivantes, au titre de leur mission de contrôle ou de régulation : (...)
– la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ;
Je ne comprends pas votre commentaire de cette décision, d'autant plus lorsque celui-ci émane d'un Professeur de Droit Public de la Sorbonne...
RépondreSupprimerVous exposez en quoi le Conseil d'Etat juge que la décision rendue par la HATVP n'a pas le caractère de sanction, et ne peut donc se voir appliquer l'article 6§1 de la CEDH, ce qui n'a rien de nouveau puisque cela est fait dans la droite lignée de sa jurisprudence (cf. CE Didier 1999) et il est plutôt aisé de voir en quoi la HATVP ne réponds pas aux trois critères d'application de l'article 6§1 (ce n'est pas un tribunal comme vous le rappelez dans votre article, et les droits de l'intéressé ne sont que faiblement atteints en ce que seul l'atteinte à l'honneur pourrait être retenu, mais soit).
Puis vous vous indignez que le Conseil d'Etat refuse de faire droit au moyen tiré de l'atteinte à l'article 6§1 (qui n'a aucune raison de se voir appliquer!) pour en conclure bien rapidement sur une potentielle impossibilité pour tout requérant de contester un acte administratif de ce seul fait...
D'une part, cette conclusion sans nuance et sans rappel du large panel de possibilités offertes aux requérants pour contester efficacement un acte administratif (moyen de légalité interne/externe + REP gratuit sans représentation par un avocat obligatoire + une grande bienveillance de la part des magistrats pour les requêtes d'administrés, en général bien mal rédigées), n'a vocation qu'à jeter l'opprobre sur la juridiction administrative sans véritablement questionner utilement son fonctionnement (et je le déplore, d'autant quand, sur un sujet similaire, le Conseil Constitutionnel, juridiction hautement plus critiquable et politisée que n'est le CE qui garde une ligne et une cohérence, vient de refuser tout recours des tiers contre la décision de la Commission Nationale des comptes de campagnes et de ses financements..). D'autant que vous passez très rapidement sur le fait que le CE rejette justement le seul moyen utilement invoqué par Mme Lepen, à savoir l'inexactitude matérielle des faits...
D'autre part, votre propos serait-il de dire que chaque AAI devrait scinder son rôle de réglementation et de contrôle (comme le suggère la requête de Mme LePen) afin que celle ci ne puisse que prononcer des sanctions après qu'une autre AAI, indépendante de la première, se serait chargé de la phase d'instruction? Devrait-on faire cela pour chaque sanction prononcée par toute administration? Les Collectivités devraient-elles en passer par là également afin de sanctionner disciplinairement un agent désobligeant? Pensez vous réellement que cela est opérationnellement possible, ou même souhaitable?..
Tout cela me semble être une confusion entre le droit à un PROCES équitable et les droits de la défense.
Dans l'attente de mieux comprendre votre commentaire, merci pour votre travail de veille qui reste de grande qualité.
Cordialement