Dans son discours au dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), le Président de la République a confirmé qu'une proposition de loi serait bientôt déposée, probablement au mois de mai, pour lutter contre les discours de haine sur internet.
On pourrait évidemment s'interroger sur l'étrangeté d'une telle annonce. En principe, une proposition de loi émane d'un parlementaire alors qu'un projet de loi émane du gouvernement. En annonçant lui-même le dépôt d'une proposition de loi, le Président de la République admet implicitement une certaine forme d'instrumentalisation de l'initiative parlementaire. Ce n'est cependant pas la première fois, et la loi "Fake News" sur la manipulation de l'information comme la loi du 30 juillet 2018 sur le renforcement du secret des affaires ont toutes deux été attribuées à l'initiative d'un député alors qu'elles étaient le produit de l'Exécutif, le parlementaire LREM étant invité à porter un texte qu'il n'a pas rédigé.
En l'espèce, la parlementaire désignée est Laetitia Avia (Paris, LREM). Avec l'écrivain Karim Amellal et le président du Crif Gil Taieb, elle est déjà l'auteur d'un rapport consacré au renforcement de la lutte contre le racisme et l'antisémitisme sur internet, remis au Premier ministre en septembre 2018. Il suggère un certain nombre de mesures concrètes que le Président Macron reprend, au moins en partie, à son compte. Alors que la proposition de loi n'est pas encore déposée, la seule question qui se pose est de savoir si elle est utile.
Doit-on d'abord intégrer cette notion de "haine" dans le droit positif ? Son emploi peut surprendre, tant il est vrai que le droit a vocation à contrôler des comportements, pas des sentiments. Le rapport Avia/Amellal/Taieb ne se pose pas de question de ce type et mentionne la "lutte contre le racisme et l'antisémitisme" parmi ce qu'il dénonce comme "des discours de haine multiformes". Aucune définition de la haine n'est donc proposée, comme si elle se limitait au racisme et à l'antisémitisme. Dans son discours au Crif, le Président Macron reprend cette notion qu'il ne questionne pas davantage. Or elle trouve son origine dans le droit américain qui parle de "crime de haine" ou de "discours de haine", le plus souvent sanctionnés par des mécanismes de responsabilité civile. Au niveau fédéral, un discours de haine désigne un propos motivé, au moins en partie, par des considérations liées à la race, à la religion, à l'ethnie, au genre, à la préférence sexuelle ou au handicap. La liste n'est pas exhaustive et renvoie à toute volonté de discrimination, quel qu'en soit le fondement. Elle dépasse donc largement le champ du racisme et de l'antisémitisme.
C'est précisément cette étroitesse qui rend la notion de "haine" inutile en droit français. Le principe de non-discrimination est plus efficace, car il fait partie de notre système juridique et il est loin de se limiter au racisme et à l'antisémitisme. L'article 1er de notre Constitution affirme ainsi que la France "assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion", liste que le droit français considère comme non exhaustive. Le Conseil constitutionnel évoque désormais régulièrement l'interdiction de toute discrimination, "de quelque nature qu'elle soit" entre les personnes. Cette position est également celle de la Cour européenne des droits de l'homme et des juges du fond.
Une loi réservant le discours de haine aux seuls propos racistes et antisémites pourrait susciter un effet pervers particulièrement redoutable. Des propos discriminatoires liés à la religion, au sexe ou à la préférence sexuelle, au handicap ou à tout autre élément de l'identité d'une personne ne seraient pas considérés comme haineux. On serait alors conduit à reconnaître des degrés dans les discriminations, entre celles qui sont haineuses et celles qui ne le sont pas, avec le risque que certains considèrent que tel ou tel type de discrimination n'est pas si grave, puisqu'il ne relève pas du discours de haine.
Une proposition du Président
On pourrait évidemment s'interroger sur l'étrangeté d'une telle annonce. En principe, une proposition de loi émane d'un parlementaire alors qu'un projet de loi émane du gouvernement. En annonçant lui-même le dépôt d'une proposition de loi, le Président de la République admet implicitement une certaine forme d'instrumentalisation de l'initiative parlementaire. Ce n'est cependant pas la première fois, et la loi "Fake News" sur la manipulation de l'information comme la loi du 30 juillet 2018 sur le renforcement du secret des affaires ont toutes deux été attribuées à l'initiative d'un député alors qu'elles étaient le produit de l'Exécutif, le parlementaire LREM étant invité à porter un texte qu'il n'a pas rédigé.
En l'espèce, la parlementaire désignée est Laetitia Avia (Paris, LREM). Avec l'écrivain Karim Amellal et le président du Crif Gil Taieb, elle est déjà l'auteur d'un rapport consacré au renforcement de la lutte contre le racisme et l'antisémitisme sur internet, remis au Premier ministre en septembre 2018. Il suggère un certain nombre de mesures concrètes que le Président Macron reprend, au moins en partie, à son compte. Alors que la proposition de loi n'est pas encore déposée, la seule question qui se pose est de savoir si elle est utile.
L'étendue de la "haine", en termes juridiques
Doit-on d'abord intégrer cette notion de "haine" dans le droit positif ? Son emploi peut surprendre, tant il est vrai que le droit a vocation à contrôler des comportements, pas des sentiments. Le rapport Avia/Amellal/Taieb ne se pose pas de question de ce type et mentionne la "lutte contre le racisme et l'antisémitisme" parmi ce qu'il dénonce comme "des discours de haine multiformes". Aucune définition de la haine n'est donc proposée, comme si elle se limitait au racisme et à l'antisémitisme. Dans son discours au Crif, le Président Macron reprend cette notion qu'il ne questionne pas davantage. Or elle trouve son origine dans le droit américain qui parle de "crime de haine" ou de "discours de haine", le plus souvent sanctionnés par des mécanismes de responsabilité civile. Au niveau fédéral, un discours de haine désigne un propos motivé, au moins en partie, par des considérations liées à la race, à la religion, à l'ethnie, au genre, à la préférence sexuelle ou au handicap. La liste n'est pas exhaustive et renvoie à toute volonté de discrimination, quel qu'en soit le fondement. Elle dépasse donc largement le champ du racisme et de l'antisémitisme.
C'est précisément cette étroitesse qui rend la notion de "haine" inutile en droit français. Le principe de non-discrimination est plus efficace, car il fait partie de notre système juridique et il est loin de se limiter au racisme et à l'antisémitisme. L'article 1er de notre Constitution affirme ainsi que la France "assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion", liste que le droit français considère comme non exhaustive. Le Conseil constitutionnel évoque désormais régulièrement l'interdiction de toute discrimination, "de quelque nature qu'elle soit" entre les personnes. Cette position est également celle de la Cour européenne des droits de l'homme et des juges du fond.
Une loi réservant le discours de haine aux seuls propos racistes et antisémites pourrait susciter un effet pervers particulièrement redoutable. Des propos discriminatoires liés à la religion, au sexe ou à la préférence sexuelle, au handicap ou à tout autre élément de l'identité d'une personne ne seraient pas considérés comme haineux. On serait alors conduit à reconnaître des degrés dans les discriminations, entre celles qui sont haineuses et celles qui ne le sont pas, avec le risque que certains considèrent que tel ou tel type de discrimination n'est pas si grave, puisqu'il ne relève pas du discours de haine.
Ah les salauds ! Ridan 2012
Le retrait des contenus
Le contenu de la future proposition de loi n'est pas encore connu, mais certaines pistes sont déjà explorées, tant par le rapport Avia/Amellal/Taieb que par les déclarations de certains membres du gouvernement. L'essentiel réside dans une volonté de contraindre les réseaux sociaux à retirer rapidement les "contenus haineux" qui se propagent très rapidement sur ces supports. Emmanuel Macron s'est borné à affirmer que ce retrait devrait intervenir "dans les meilleurs délais" mais le rapport se montre plus précis et évoque un délai de 24 heures.
La loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004 prévoit déjà une procédure de retrait des contenus illicites qui ne pèse sur les fournisseurs d'accès qu'à partir du moment où ils ont connaissance de ce caractère illicite de l'information, c'est à dire concrètement à partir du moment où une notification très détaillée leur a été remise. Ils doivent alors, aux termes de la loi, agir "promptement pour retirer ces données", formule qui manque de précision, même si le juge judiciaire peut intervenir en référé pour prescrire un tel retrait dans un délai plus précis.
Il est certainement important de supprimer le plus rapidement possibles des réseaux sociaux les messages discriminatoires qui risquent de s'y répandre de manière virale. La mise en oeuvre risque toutefois d'être délicate.
D'une part, le rapport suggère de limiter cette contrainte aux seuls réseaux et moteurs de recherche de grande taille, de type Facebook, Google, Twitter etc. Cette réserve risque de susciter une rupture de l'égalité devant la loi que la seule taille du réseau ne suffit pas à justifier : si un contenu est considéré comme illicite, il doit disparaître aussi rapidement que possible d'internet, quel que soit le site ou le réseau sur lequel il peut être lu.
D'autre part, la distinction entre le licite et l'illicite n'est pas toujours nette et des débats peuvent surgir à ce propos. Le rapport suggère alors une "mise en quarantaine" du contenu litigieux en attendant qu'une autorité de régulation, qui devrait être créée par le législateur, se prononce sur ce cas. La tentation sera grande d'utiliser cette procédure pour envoyer en quarantaine des propos qui déplaisent mais qui n'ont rien de discriminatoire. Et le temps que l'autorité de régulation se prononce, le message aura perdu de son acuité. Compte tenu de la rapidité de la circulation de l'information sur internet, mettre en quarantaine un message revient à le faire disparaître, sans aucun contrôle. Dans ces conditions, ne serait-il pas plus simple et surtout plus respectueux des droits de la défense de renforcer les pouvoirs du juge des référés dont l'intervention est toujours sur le fondement de la loi de 2004 ?
La responsabilité des plateformes
La menace d'une très forte amende s'ils ne retirent pas suffisamment rapidement les contenus discriminatoires devrait conduire les réseaux sociaux à renforcer leurs procédures de modération. Mais la loi française, aussi volontariste soit-elle, serait elle réellement en mesure d'imposer à Twitter ou à Facebook de s'intéresser à une fonction de modération que, pour le moment, les réseaux sociaux n'exercent qu'a minima ? On peut en douter, et les autorités françaises reconnaissent indirectement cette difficulté. Edouard Philippe, dans un discours prononcé lors de la remise du Prix Ilan Halimi le 12 février, a annoncé le lancement d'une expérimentation avec Facebook dans un but de régulation des contenus. De son côté, le rapport Avia/Amellal/Taieb suggère la création d'un "Observatoire de la haine en ligne" qui serait chargé d'identifier le phénomène et d'analyser les mécanismes de propagation. Il n'en demeure pas moins que l'action préventive ne peut exister sans la coopération des réseaux sociaux eux-mêmes.
D'autres éléments de la future proposition demeurent, pour le moment, très incertains. Emmanuel Macron affirme ainsi que sera envisagée la possibilité de lever l'anonymat sur les réseaux sociaux. La formule n'est pas claire. En réalité, il n'existe pas d'anonymat total dans ce domaine, mais seulement une possibilité de recourir à un pseudonyme. Dans l'état actuel du droit, les juges peuvent donc demander au gestionnaire du réseau l'identité de la personne qui se cache derrière un pseudonyme, permettant ainsi d'engager des poursuites pénales en cas de contenu discriminatoire. L'anonymat n'est donc pas un moyen de soustraire à la justice, à la condition toutefois que la justice engage des poursuites.
La future proposition de loi visant à lutter contre la haine sur internet n'est pas encore prête à être discutée, ni même déposée. Les notions employées ne sont pas clairement définies, les procédures restent floues. L'ensemble laisse, du moins pour le moment, une forte impression d'improvisation. La recrudescence de l'antisémitisme constatée ces dernières semaines suscite une certaine fébrilité, une volonté de réagir à chaud, mais la précipitation est souvent mauvaise conseillère en matière législative. Comme toute proposition de loi, celle-ci ne s'accompagnera d'aucune étude d'impact, et la question ne sera sans doute pas posée de son utilité. Avant d'empiler les dispositifs législatifs, il conviendrait pourtant de dresser le bilan des textes applicables en matière de discrimination, et de voir s'il ne suffirait pas, tout simplement, de les mettre en oeuvre avec rigueur.
Sur la lutte contre les discriminations : Chapitre 9 section 3 § 2 du manuel de Libertés publiques sur internet , version e-book, ou version papier.