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vendredi 1 février 2019

Prostitution : la pénalisation du client devant le Conseil constitutionnel

La décision rendue par le Conseil constitutionnel le 1er février 2019 Médecins du monde et autres déclare conformes à la Constitution les dispositions du code pénal sanctionnant le fait de recourir aux services d'une personne prostituée.

La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) porte en effet sur l'article 611-1 du code pénal qui punit d'une contravention de 5e classe "le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir des relations de nature sexuelle d'une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage" ainsi qui celles qui répriment la récidive ou le recours à la prostitution des personnes mineures ou vulnérables. Sont également visés les textes qui prévoient une peine complémentaire consistant en un "stage de sensibilisation à la lutte contre l'achat d'actes sexuels", accompli par la personne condamnée, éventuellement à ses frais. 

Cet ensemble est issu de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutter contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, loi qui fut défendue en son temps devant le parlement par Najat Vallaud-Belkacem. A l'époque, le texte n'avait pas été déféré au Conseil constitutionnel. Aucun parlementaire n'aurait en effet osé prendre une telle initiative, au risque d'être présenté comme un défenseur de la prostitution. Certains juristes pourtant émettaient quelques doutes sur la constitutionnalité de ces dispositions, doutes formulés mezzo voce dans l'ombre des couloirs des facultés de droit ou des palais de justice. Le fait de sanctionner une activité qui n'est pas interdite peut en effet susciter quelques interrogations juridiques.

La décision du Conseil s'inscrit dans un contentieux largement associatif regroupant une vingtaine de parties intervenantes, d'un côté des associations défendant les droits des personnes prostituées, notamment le syndicat du travail sexuel, de l'autre différentes associations qui considèrent la pénalisation du client comme un premier pas vers l'abolition de la prostitution. Celle-ci devrait en quelque sorte disparaître à terme comme devrait disparaître le proxénétisme, faute de clients. 

Les auteurs de la QPC invoquaient une triple atteinte aux droits et libertés, au droit au respect de la vie privée, à la liberté d'entreprendre et enfin au principe de nécessité et de proportionnalité des peines. Ces trois moyens avaient été jugés sérieux par le Conseil d'État, dans sa décision de renvoi du 12 novembre 2018. Le Conseil constitutionnel rend une décision un peu surprenante dans sa construction même. Il développe ainsi le grief tiré de la méconnaissance de la liberté personnelle, et écarte très rapidement les autres moyens.


Liberté personnelle et vie privée



La question posée ne manque pas de sérieux. On pourrait considérer en effet qu'une relation sexuelle tarifée qui se déroule entre deux adultes consentants relève de leur vie privée. Dès l'arrêt Dudgeon c. Royaume-Uni du 22 octobre 1981, la Cour européenne des droits de l'homme affirmait ainsi le droit de chacun de mener la vie sexuelle de son choix. 

Le Conseil constitutionnel, quant à lui, rattache le droit au respect de la vie privée à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui garantit la "liberté individuelle". Il refuse cependant de consacrer un principe général de liberté sexuelle impliquant le droit de recourir à la prostitution. Il se borne à exercer son contrôle de proportionnalité, à partir d'une interprétation des objectifs poursuivis par le législateur : (...) "En faisant le choix de pénaliser les acheteurs de services sexuels, le législateur a entendu, en privant le proxénétisme de sources de profits, lutter contre cette activité et contre la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle, activités criminelles fondées sur la contrainte et l'asservissement de l'être humain".  

L'objectif de la loi est d'abord de sauvegarder la dignité de la personne humaine contre l'asservissement que représente la prostitution, et l'on sait que ce principe de dignité  qui figure dans le préambule de 1946 a été repris par le Conseil constitutionnel, par exemple dans sa décision QPC du 16 septembre 2010, pour rappeler la nécessité de le respecter dans les enquêtes et les informations judiciaires. Le principe de dignité est donc repris dans la décision du 1er février 2019. La pénalisation du client est donc perçue comme une mesure motivée par la volonté du législateur de garantir le respect de la dignité de la personne prostituée. Pourquoi pas ? Si ce n'est que si la prostitution est considérée comme une atteinte à la dignité, on peut se demander s'il n'aurait pas été logique d'aller au bout de la logique abolitionniste en interdisant purement et simplement de se livrer à cette activité. Quoi qu'il en soit, le Conseil constitutionnel considère la dignité comme un élément de l'ordre public, et estime que la pénalisation du client n'est pas disproportionnée par rapport à cet objectif. 

A cela s'ajoute, mais ce n'est qu'un rappel, qu'il s'agit aussi de prévenir les infractions, et le Conseil fait ici directement référence au proxénétisme. Il estime donc que le législateur n'a pas fait une appréciation disproportionnée de la situation en considérant que la pénalisation du client permettra de lutter efficacement contre cette forme d'asservissement de la personne. 


En maison. Damia. 1934


La liberté d'entreprendre



Quant à la liberté d'entreprendre, elle ne donne pas lieu à une analyse substantielle. Le Conseil se borne à affirmer, dans une formulation stéréotypée, qu'"il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi". 

Certes, mais ce moyen aurait mérité une analyse plus approfondie. En l'état actuel du droit, la prostitution est, qu'on le veuille ou non, une activité licite. Dans son  arrêt Tremblay c. France du 11 septembre 2007, la Cour européenne considère ainsi comme conforme à la Convention le système fiscal français qui ponctionne le produit de la prostitution et contraint les personnes prostituées à s'acquitter des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF). Sauf à considérer l'Etat comme proxénète, on doit estimer que la prostitution est une activité non illicite, dès lors qu'elle est soumis aux prélèvements fiscaux et sociaux. Toujours réaliste, le fisc estime que ces revenus sont des bénéfices non commerciaux, mais il lui y arrive de les requalifier en salaires lorsqu'il est démontré que la personne prostituée exerçait son activité sous le contrôle d'un proxénète. De la même manière, dans son arrêt jany du 20 novembre 2001, la Cour de justice de l'Union européenne énonce que la prostitution est une activité indépendante, comme n'importe quelle autre.

Certes, le Conseil constitutionnel admet, depuis sa décision du 16 janvier 1982, que la liberté d'entreprise n'est ni générale ni absolue. Il considère néanmoins que ce libre exercice d'une activité économique suppose le droit de gérer son entreprise à sa guise, et de mettre en oeuvre tous les moyens loyaux pour attirer la clientèle. Il existe bien entendu des activités globalement illicites, comme la contrebande et, dans ce cas, le client peut aussi être condamné, pour recel. Mais dans le cas de la prostitution, il s'agit de sanctionner le client d'une activité qui demeure licite. Le Conseil écarte tout simplement ce problème qui risque d'être reposé, dans un avenir plus ou moins proche, devant la Cour européenne des droits de l'homme.

La décision du Conseil constitutionnel illustre ainsi l’ambiguïté d'une loi qui déclare vouloir supprimer la prostitution sans l'abolir, lutter contre le proxénétisme sans l'affronter directement. Dans ce type de situation, le Conseil dispose ainsi d'une solution de repli qui a l'avantage d'être parfaitement licite : il affirme qu'il ne lui appartient pas de substituer au législateur dans ses choix, dès lors que ces derniers reposent sur des motivations d'ordre public, et le tour est joué.

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