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dimanche 10 février 2019

L'accès aux algorithmes de Parcoursup

Le tribunal administratif de Basse-Terre, dans un jugement du 4 février 2019, enjoint à l'Université des Antilles de communiquer à l'UNEF les algorithmes utilisés par l'Université dans le cadre du système Parcoursup d'orientation des étudiants ainsi que les codes sources correspondants. Sont donc considérés comme communicables les critères pris en compte ainsi que leur articulation. On se souvient que la première expérience de Parcoursup pour la rentrée universitaire de 2018 s'était caractérisée par l'opacité des critères utilisés pour gérer les voeux d'affectation des jeunes bacheliers. Il n'est donc pas surprenant qu'un syndicat étudiant ait demandé communication de ces éléments.


Algorithmes et transparence administrative



L'UNEF se fonde tout simplement sur la loi du 17 juillet 1978 désormais codifiée dans les articles L 311-1 et L 300-2 du code des relations entre le public et l'administration, loi qui consacre l'existence d'un droit d'accès aux documents administratifs. Depuis un avis du 8 janvier 2015 DGFIP, la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) estime ainsi que le code source utilisé pour le calcul de l'impôt sur le revenu est un document communicable, principe confirmé par le tribunal administratif de Paris, dans un jugement du 10 mars 2016. Par la suite, dans un avis du 23 juin 2016, Association Droits des Lycéens, la CADA s'est déclarée favorable à une transparence de même nature pour le code source du logiciel d'admission post-bas (APB), système qui a précédé Parcoursup.

La loi Lemaire pour une République numérique du 7 octobre 2016 a intégré ce principe dans la loi, en ajoutant les codes sources à la liste des documents administratifs communicables. Le décret du 14 mars 2017 précise ensuite que toute personne à laquelle est appliquée une décision issue d'un traitement algorithmique doit pouvoir obtenir communication des règles définissant ce traitement ainsi que des caractéristiques principales de sa mise en oeuvre. Pour faire bonne mesure, l'article L 312-1-3 du code des relations entre le public et l'administration (crpa) impose aux administrations la publication en ligne de ces algorithmes, lorsqu'ils fondent des décisions individuelles. L'État a effectivement rempli cette obligation en mai 2018 pour le système centralisé Parcoursup.

La transparence devrait donc s'imposer, si ce n'est qu'en l'espèce la CADA a rendu le 10 janvier 2019 un avis défavorable à la communication, avis écarté par le TA de Basse-Terre.

Nous participons, ils sélectionnent. Affiche Atelier populaire de Reims, mai 1968

Loi spéciale et loi générale



La loi du 8 mars 2018, celle qui précisément est à l'origine de Parcoursup, écarte en effet l'obligation générale de transparence imposée par la loi Lemaire dans le cas particulier de la mise en oeuvre de Parcoursup par les Universités. Son article 1er énonce en effet : "Afin de garantir la nécessaire protection du secret des délibérations des équipes pédagogiques chargées de l'examen des candidatures", les obligations de transparence "sont réputées satisfaites dès lors que les candidats sont informés de la possibilité d'obtenir, s'ils en font la demande, la communication des informations relatives aux critères et modalités d'examen de leurs candidatures ainsi que des motifs pédagogiques qui justifient la décision prise".

Une distinction est ainsi établie entre les deux étapes du traitement de Parcoursup par les Universités. Une première phase est d'abord menée à terme, à partir d'algorithmes, conduisant à un premier classement des étudiants candidats. Une seconde phase se conclut ensuite par une décision définitive prise par une équipe pédagogique. Les algorithmes ne sont donc qu'un outil de première phase, d'aide à une décision qui intervient en seconde phase. L'obligation d'information des candidats ne concerne que cette seconde phase, celle de la "délibération des équipes pédagogiques". Aux yeux de la CADA, ces dispositions excluent toute communication des algorithmes, que ce soit aux étudiants concernés ou aux tiers.

Le TA raisonne tout autrement car il considère que la loi de mars 2018 ne s'applique pas à l'UNEF qui n'est pas "candidat" dans la procédure Parcoursup. Le syndicat peut donc fonder sa requête sur la loi générale, c'est à dire la loi Lemaire qui reste applicable dans le cas d'une demande formulée par un tiers à la procédure. Sa demande de communication est donc parfaitement légale, dès lors qu'elle s'appuie sur la loi Lemaire. Cette analyse du juge administratif est conforme au principe général d'interprétation étroite de la loi spéciale.

La solution donnée par le tribunal est donc fondée en droit, mais elle présente la caractéristique de mettre en lumière un certain nombre de problèmes liés à la mise en oeuvre de Parcoursup.

Sur le plan juridique, cette distinction entre les deux phases de la procédure devant les Universités heurte directement les principes posés par le règlement général de protection des données (RGPD), entré en vigueur le 25 mai 2018. Ce texte précise en effet que le responsable du traitement doit "pouvoir expliquer, en détail et sous une forme intelligible, à la personne concernée la manière dont le traitement a été mis en œuvre à son égard". Il impose donc à l'Université d'expliquer en détail à un étudiant pourquoi il a été évincé de la filière choisie. Cette explication peut-elle être considérée comme suffisante si la motivation ne concerne que la seconde phase de la procédure, l'étudiant étant tenu dans l'ignorance des critères mis en oeuvre par l'algorithme durant la première phase ? Sur le plan strictement juridique, la communication des algorithmes s'analyse pourtant comme un élément de la motivation des actes administratifs, puisque celle-ci doit inclure tous les éléments de fait et de droit qui fondent la décision. Or les algorithmes sont un élément lié à cette décision, même si l'on sait qu'elle ne peut être prise sur son seul fondement.

Sur le plan pratique, la distinction formulée par le TA de Basse-Terre semble largement illusoire. Dès lors que l'UNEF, ou n'importe quel groupement, peut avoir communication de ces algorithmes sur le fondement de la loi générale, rien ne lui interdit de les communiquer ensuite à un candidat évincé et qui n'aura pas pu avoir accès aux algorithmes en raison du blocage posé par la loi spéciale. Rien n'interdit même à l'UNEF de publier ces algorithmes sur internet. La restriction établie par la loi du 8 mars 2018 est alors largement vidée de son sens. Ce ne serait sans doute pas une mauvaise chose, s'il l'on considère qu'il il est surprenant qu'un syndicat soit mieux traité qu'une personne privée directement concernée par une décision qui lui fait grief.


Un retour du secret




Il ne reste qu'à attendre que la question des algorithmes de Parcoursup donne lieu à une décision du Conseil d'État pour lever ces incertitudes. Pour le moment, Force est de constater une tendance actuelle du législateur à réduire le champ de la transparence administrative. De la directive secret des affaires à l'Open Data des décisions de justice, une série de textes vont toujours dans le même sens, celui d'un rétablissement du secret administratif et la loi du 8 mars 2018 s'inscrit dans ce mouvement. Les Universités, quant à elles, n'ont pas intérêt à exiger le secret de leurs propres algorithmes. Au contraire, leur diffusion devrait seulement montrer qu'elles s'efforcent de remplir la mission liée à Parcoursup avec honnêteté, dans des conditions difficiles, et sous le contrôle d'un État qui n'hésite pas à bouleverser totalement les choix des établissements. Il est vrai que l'autonomie des Universités n'a jamais été autre chose qu'un élément de langage destiné à justifier le désengagement financier de l'État, tout en maintenant un contrôle absolu la procédure d'inscription des étudiants.

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