Les propositions de nomination au Conseil constitutionnel ont été rendues publiques le 17 février 2019. Proposé par le Président de la République, Jacques Mézard, ancien sénateur, fut ministre de la cohésion des territoires jusqu'en octobre 2018, et laissera surtout le souvenir de la très controversée loi ELAN. Proposé par le Président du Sénat, François Pillet est du même sérail, sénateur du Cher et vice-président de la Commission des lois. Enfin il est inutile de présenter Alain Juppé, ancien Premier ministre, proposé par le Président de l'Assemblée nationale. Après avoir renoncé à être candidat aux élections présidentielles de 2017 à la suite de la mise en examen de François Fillon, il renonce aujourd'hui à la mairie de Bordeaux pour devenir membre du Conseil.
La politisation du Conseil
La désignation d'Alain Juppé éclipse dans les médias celles des deux sénateurs. Les projecteurs ne sont pas braqués sur eux et leur arrivée au Conseil ne suscite pas le même émoi. Ces trois personnalités ont pourtant un point commun : toutes trois sont des politiques, même si les deux anciens sénateurs ont exercé la profession d'avocat, il y a bien longtemps. De toute évidence, les compétences juridiques ne sont plus un élément pris en compte par les autorités de nomination. Résumant la pensée des décideurs politiques, Christophe Barbier déclarait ainsi que la désignation d'Alain Juppé était une "récompense méritée". C'est dire clairement que le Conseil est perçu une prestigieuse maison de retraite, réservée aux amis politiques.
Cette politisation n'a rien de nouveau. même si elle surprendra peut-être ceux qui espéraient en 2017 une autre manière de faire de la politique et un retour à la méritocratie. Les autres se bornent à observer que le Conseil constitutionnel du doyen Vedel ou de Robert Badinter a disparu depuis longtemps. On se souvient que Nicolas Sarkozy avait nommé Michel Charasse en 2010, et en 2014 Claude Bartolone avait désigné Lionel Jospin. Deux exemple, parmi tant d'autres.
Conformément à l'article 56 de la Constitution, les propositions doivent être soumises à la Commission des lois de chaque assemblée, celle de l'Assemblée nationale se prononçant seule sur la proposition faite par son président, comme celle du Sénat se prononce seule sur la proposition faite par son président. Il est précisé que "Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions". Cette procédure ne peut en aucun cas être considérée comme une soupape de sûreté permettant d'éviter des désignations politiques. Une telle majorité qualifiée est pratiquement impossible à réunir, d'autant que l'on imagine mal que les membres d'une commission parlementaire aillent à l'encontre du choix fait par leur Président. Cette procédure de confirmation apparaît donc largement cosmétique.
Il n'est pas question ici de faire un procès d'intention aux membres en cours de désignation. Sans doute s'efforceront-ils d'exercer leurs fonctions avec honnêteté et ils seront au moins dans une excellente position pour se familiariser avec le contentieux constitutionnel. Le problème n'est pas tant dans leur désignation que dans ses conséquences sur la révision constitutionnelle en cours.
Xavier Gorce. Les Indégivrables. 17 février 2019 |
Remplacer les anciens Présidents par les anciens premiers ministres
Comment peut-on envisager de supprimer les membres de droit du Conseil, c'est-à-dire les anciens Présidents de la République, pour les remplacer par les anciens premiers ministres ? On se souvient que le 9 mai 2018, un projet de loi "pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace" a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale. Les débats en commission ont ensuite été interrompus par les suites parlementaires de l'affaire Benalla, mais l'Exécutif annonce régulièrement la reprise de cette procédure de révision constitutionnelle, à une date indéterminée.
Quoi qu'il en soit, le projet prévoit la suppression pure et simple des membres de droit du Conseil constitutionnel. Le rapport précise que cette mesure est "en faveur d'une justice plus indépendante". La question prioritaire de constitutionnalité
(QPC) ayant pour effet de faire participer le Conseil constitutionnel au
contentieux de droit commun, soit devant le juge judiciaire, soit devant
le juge administratif, la présence des anciens présidents de la
République en son sein devient en effet de plus en plus indéfendable. Leur présence même risque de mettre en cause l'impartialité objective de l'institution, au sens où l'entend la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).
Le problème est que la présence d'anciens premiers ministres suscite exactement les mêmes craintes. Il semble donc bien délicat de supprimer les membres de droit trop politiques et de désigner "en même temps" des anciens premiers ministres tout aussi politiques.
Sur un plan plus concret, on voit se développer des situations absurdes, illustrées par la multitude des recours déposés par Nicolas Sarkozy pour retarder autant que possible son passage devant le juge pénal. On se souvient qu'il avait vainement contesté, en juillet 2013, le refus de valider son compte de campagne devant le Conseil constitutionnel dont il était membre de droit. Aujourd'hui, et cette fois, dans le cadre de l'affaire Bygmalon, la Cour de cassation vient de renvoyer au Conseil une QPC, déposée par le même Nicolas Sarkozy, invoquant le non respect du principe non bis in idem. Il estime que la sanction prononcée par le Conseil constitutionnel lorsqu'il a refusé de valider son compte de campagne devrait rendre irrecevables des poursuites pénales engagées dans le cadre de Bygmalion. Ses chances de succès sont fort modestes, et il s'agit probablement d'un nouveau recours dilatoire. Mais une nouvelle fois, le requérant Nicolas Sarkozy engage une procédure devant le Conseil dont il est membre de droit, même s'il a renoncé à siéger. L'absurdité de la situation n'échappera à personne.
Le problème est que des situations comparables peuvent se développer à propos des membres nommés, dès lors qu'ils sont également issus du monde politique. Lionel Jospin a été candidat aux élections présidentielles, et Alain Juppé a participé aux primaires de la droite. Il n'est pas impossible qu'un jour un ancien ministre battu aux élections présidentielles se trouve confronté à un refus de validation de son compte de campagne, et la question de son recours devant le Conseil constitutionnel serait posée en termes identiques.
Les trois propositions de nomination au Conseil constitutionnel mettent ainsi en lumière une pratique totalement incohérente. Tout en affirmant son indépendance et son impartialité, on reproduit les errements anciens, ceux d'une société de connivence. On désigne des amis politiques en espérant qu'ils sauront se montrer reconnaissants. Peu importe qu'ils soient honnêtes, car leur crédibilité est déjà atteinte et, avec elle, celle de l'institution elle-même. La première victime de ces désignations est donc le Conseil constitutionnel lui-même, sacrifié à des petits arrangements entre amis. Or l'intérêt de l'institution voudrait qu'elle soit transformée en une véritable cour suprême constitutionnelle, composée de magistrats incontestables et désignés selon une procédure garantissant son indépendance. On en est bien loin.
Sur le Conseil constitutionnel : Chapitre 3 section 2 § 1 du manuel de Libertés publiques sur internet , version e-book, ou version papier.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire