Nadine
Morano a a déclaré le 26 septembre 2015, sur la plateau de l'émission de
télévision On n'est pas couché : " Il faut garder un équilibre
dans le pays, c'est-à-dire sa majorité culturelle. Nous sommes un pays judéo-chrétien,
le général de Gaulle le disait, de race blanche, qui accueille des personnes
étrangères. (...) Je n'ai pas envie que la France devienne musulmane".
La formule ressemble à son auteur, dépourvue de subtilité et visant tout à la
fois à séduire les électeurs du Front National et à attirer l'attention des
médias. Nadine Morano est donc un excellent produit d'appel pour les
responsables d'une émission dont l'unique but est de susciter la polémique pour
faire gonfler l'audimat.
Sur
ce plan, l'émission est un succès. Les réseaux sociaux d'abord, car ils
fonctionnent le dimanche, la presse et le monde politique dès lundi, ont repris
et commenté les propos de Nadine Morano. Tout le monde, ou presque, a fait
observer que le mot "race" entendu comme une "catégorie de
classement de l'espèce humaine" repose sur une analyse scientifique
parfaitement obsolète. Les progrès de la génétique ont en effet montré qu'il
n'existe qu'une seule race humaine. Il est donc absurde d'opérer des
classifications raciales entre les humains. Sur le plan scientifique, les
propos de Nadine Morano relèvent donc du bêtisier...
Sans
doute, mais il arrive que les auteurs de contresens soulèvent, à leur insu, une
question intéressante. Car si le mot "race" relève aujourd'hui d'une
analyse scientifique dépassée, pourquoi figure-t-il toujours dans notre système
juridique ? Tout simplement parce que, sur le plan juridique, il est aujourd'hui exclusivement utilisé dans le cadre de la lutte contre le racisme.
L’ambiguïté de la notion
Historiquement, la notion de race a pu être utilisée pour fonder des régimes discriminatoires. Le texte le plus célèbre en ce domaine est sans doute la loi du 3 octobre 1940 portant statut des Juifs. Elle affirme qu'est "regardé comme juif pour l'application de la présente loi toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou de deux grands-parents de la même race, si son conjoint lui-même est juif".
De nos jours, la référence à la race permet surtout de fonder des législations anti-racistes. C'est même
dans ce but qu'apparaît la première occurrence du mot "race", dans le
décret Marchandeau du 21 avril 1939 qui
réprimait la diffamation commise par voie de presse envers « un groupe
de personnes appartenant, par leur origine, à une race ou à une religion
déterminée ».
La
notion de "race" peut donc aussi bien fonder des comportements
discriminatoires que participer à la lutte contre ces mêmes comportements. Cette seconde
démarche est aujourd'hui, et heureusement, la seule consacrée par le droit
positif. Elle figure dans l'article 1er de la Constitution qui
affirme que "la France (...) assure l'égalité devant la loi de tous les
citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion". L'article 55 de la Charte des Nations Unies énonce, quant à lui, que les Etats membres de l'Organisation "favoriseront (...) le respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race (...)". Enfin, l'article 14 de la Convention européenne des droits
de l'homme déclare que "la jouissance des droits et libertés
reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction
aucune, fondée sur le sexe, la race, (etc..)."
Des références identiques existent
dans la loi. C'est ainsi que la loi du 1er juillet 1972, premier grand
texte destiné à lutter contre le diffusion de propos racistes modifie la loi du
19 juillet 1881. Son article 24 permet désormais de sanctionner "la
provocation à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe
de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance (...) à une
ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée". De manière
plus générale, un rapport parlementaire de 2013 a
comptabilisé 59 articles faisant référence au mot "race" et à ses
dérivés dans des dispositions législatives figurant dans 9 codes différents et
13 lois non codifiées. Il est probable que ce mouvement va encore s'amplifier,
Christiane Taubira ayant annoncé, en janvier 2015, sa volonté de modifier
les textes pour généraliser la circonstance aggravante de racisme.
Qu'on le veuille ou non, le
dispositif juridique mis en place pour lutter contre le racisme s'appuie sur le
mot "race". Qu'il soit génétiquement erroné n'y change rien, du moins
pour le moment.
Les tentatives de modification de la Constitution
De nombreuses propositions de
suppression du mot "race" de notre Constitution ou de notre
législation ont déjà été formulées, sans succès. Un amendement en ce sens a été
déposé, dès 2002, par Victorin Lurel en ce sens lors de l'examen du projet de
loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République.
Cet amendement fut rejeté, sans doute parce
qu'il n'avait qu'un lointain rapport avec la révision en cours. En novembre
2004, une proposition de loi constitutionnelle
également signée de Victorin Lurel reprend la même idée. Elle n'a pas davantage
de succès, puisqu'elle n'a jamais été débattue.
En 2008, la révision initiée par
Nicolas Sarkozy et dont l'objet était pourtant de "moderniser" la
Constitution ne traite pas de cette question. Le rapport préparatoire du Comité Balladur ne
la mentionne même pas. De nouveau, deux amendements en ce sens, dont l'un
défendu par Jean-Jacques Urvoas, sont repoussés par la majorité de l'époque.
Elle explique alors que le mot "race" permet de fonder l'ensemble de
la législation anti-raciste.
En
2012, François Hollande, candidat à la présidence de la République, s'était
engagé à réviser la Constitution dans ce sens. On sait cependant que les
conditions de majorité imposées par l'article 89 de la Constitution ont rendu
pratiquement impossible toute révision de la Constitution.
Les tentatives de modification législatives
La
suppression du mot "race" de la Constitution étant exclue, au moins
pour le moment, ses partisans se sont orientés vers une autre stratégie. L'idée
est alors de modifier la loi avant la Constitution, idée quelque peu audacieuse
car la conformité de la loi à la norme suprême risque alors de ne plus être
assurée.
Quoi
qu'il en soit, la démarche n'a pas davantage eu de succès. Le 16 mai 2013, une proposition de loi visant à supprimer
toute référence à la race dans notre législation, initiée par différents
membres du Front de Gauche, a été votée en première lecture. Depuis mai 2013,
la proposition n'a jamais été débattue au Sénat et elle ne semble pas devoir
être inscrite prochainement à l'ordre du jour.
L'analyse de ces différentes
propositions révèle un parlement pour le moins partagé entre deux attitudes
contradictoires. D'un côté, une volonté d'affirmer haut et fort son refus de la
notion de "race", dans la mesure où elle est susceptible de conduire à des
discriminations. De l'autre côté, une répugnance à remettre en cause un système
juridique de lutte contre le racisme qui a le mérite de fonctionner.
Cet antagonisme repose sans doute
sur une méprise. Certes, le mot race ne renvoie pas à une réalité génétique et
est donc dépourvu de fondement scientifique. Mais une démonstration scientifique
ne suffit pas pour supprimer le racisme qui est une réalité humaine et sociale,
dépourvu de contenu rationnel. Bref, si les races n'existent pas, le racisme
existe.