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mardi 15 septembre 2015

Mesure de sûreté ou sanction pénale, la définition de la Cour européenne des droits de l'homme

L'arrêt Berland c. France du 3 septembre 2015 offre à la Cour européenne des droits de l'homme l'occasion de se prononcer sur l'application de la loi du 25 février 2008 qui prévoit l'internement dans un établissement psychiatrique d'une personne qui a fait l'objet d'une déclaration d'irresponsabilité pénale.

Le requérant, âgé de vingt ans au moment des faits, n'a pas supporté la rupture décidée par son amie qui lui reprochait d'avoir proféré des menaces  et de s'être livré à des actes de violences à son égard. En septembre 2007, il s'est rendu sur son lieu de travail, l'a tuée de plusieurs coups de couteaux et a blessé deux autres personnes. Il a donc été mis en examen pour assassinat de son ex-compagne et pour violences volontaires à l'égard des deux autres victimes. En même temps, il a fait l'objet d'une décision préfectorale d'hospitalisation sans son consentement dans un centre hospitalier spécialisé.

Deux collèges d'experts psychiatriques ont ensuite estimé qu'il était atteint, au moment des faits, d'un trouble psychique ayant aboli son discernement (art. 122-1 du code pénal). En février 2009, la Chambre de l'instruction déclara en conséquence l'irresponsabilité du requérant et décida son hospitalisation d'office conformément à l'article 706-135 du code de procédure pénale (cpp), issu de la loi du 25 février 2008. 

Le déroulement des évènements présente un intérêt tout particulier, car la loi du 25 février 2008, qui prévoit précisément cette rétention de sûreté, est intervenue après les faits. M. Berland estime donc que la mesure de rétention prononcée à son encontre porte atteinte au principe de non-rétroactivité de la loi pénale garanti par l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme

Le requérant doit donc démontrer que la mesure d'hospitalisation d'office constitue une sanction pénale. A l'appui de cette affirmation, il développe des arguments tirés du contenu de la loi de 2008, de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de celle de la Cour européenne des droits de l'homme.

La réforme de 2008


Dans le régime antérieur à la loi du 25 février 2008, la personne reconnue comme irresponsable au moment des faits ne pouvait être poursuivie devant aucune juridiction et elle ne faisait donc l'objet d'aucune décision pénale. Depuis la loi de 2008, l'intéressé est renvoyé devant une juridiction pour un procès public au terme duquel il est déclaré qu'il existe contre lui des charges suffisantes permettant de conclure qu'il a commis les faits. La Chambre de l'instruction est alors tenue par la loi d'ordonner l'hospitalisation d'office. La procédure est donc différente de l'ancien système dans lequel le préfet exerçait une simple faculté, assisté évidemment par des experts médicaux.

Observons que cette compétence préfectorale n'a pas disparu, puisqu'elle s'exerce pour la période antérieure à la décision de justice et qu'elle peut s'exerce à l'égard de toute personne dont on va considérer qu'elle constitue un danger pour elle-même ou pour autrui, quand bien même elle n'aurait commis aucune infraction punissable.

Lanskoy. Etude pour le Journal d'un fou. Collage


La décision du Conseil constitutionnel sur la loi de 2008


Le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la conformité à la Constitution de la loi de 2008. Encore faut-il noter qu'il n'était saisi que d'un autre type de décision de rétention, celle qui est éventuellement prononcée par une Cour d'assises et qui est destinée à s'appliquer à l'issue de la peine d'emprisonnement.  Il s'agit alors d'assurer la prise en charge médicale et psychologique, dans un centre fermé, de condamnés  présentant "une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive".

Le Conseil constitutionnel a refusé de qualifier une telle mesure de peine pénale ou de sanction. En revanche, s'appuyant sur la gravité de la mesure et la durée indéterminée de l'enfermement, il a estimé qu'une telle décision ne saurait s'appliquer rétroactivement à des personnes déjà condamnées au moment de l'intervention de la loi de 2008.

La jurisprudence de la Cour européenne


La Cour européenne, quant à elle, rappelle que, selon sa jurisprudence Welch c. Royaume-Uni du 9 février 1995, elle n'est pas liée par la qualification donnée par le droit interne des Etats. Il lui appartient donc d'apprécier si une mesure constitue ou non une "peine" au sens de l'article 7 de la Convention. 

Là encore, la jurisprudence de la Cour semble offrir un angle d'attaque au requérant. Dans un arrêt M. c. Allemagne rendu en 2009, elle considère qu'une rétention de sûreté ordonnée après une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifié constitue une peine au sens de l'article 7. Le principe de non-rétroactivité lui est donc applicable.

Les différentes mesures de sûreté


Les trois moyens développés par le requérant peuvent sembler très forts, sauf si on les regarde de plus près. On s'aperçoit alors qu'ils ne s'appliquent que très imparfaitement au problème juridique posé par l'arrêt Berland. La loi de 2008 ne qualifie pas la rétention de sanction pénale et, au contraire, laisse subsister une large compétence préfectorale en matière d'internement d'office. Le Conseil constitutionnel comme la Cour européenne se prononcent, quant à eux, sur la rétention mise en oeuvre à l'issue de la peine et décidée par le juge au moment de son prononcé. Au demeurant, la Cour européenne sanctionne surtout le fait que la rétention allemande est effectuée au sein des locaux pénitentiaires, situation qui met en cause son caractère thérapeutique. Elle précise d'ailleurs cette position dans un arrêt O.H. c. Allemagne du 24 novembre 2011 que cette rétention ne se distingue pas suffisamment de la peine pénale pour justifier un traitement différent.

Il n'est donc pas surprenant que l'arrêt Berland aboutisse à un résultat inverse. La Cour estime en effet que le principe de non rétroactivité n'est pas applicable à la rétention décidée après la déclaration d'irresponsabilité pénale. Elle fait observer que le droit français prend soin de mentionner que la décision de la Chambre de l'instruction se borne à "déclarer l'existence de charges suffisantes d'avoir commis les fait reprochés". La procédure est avant tout destinée à montrer aux victimes qu'elles sont reconnues comme telles. La décision de la Chambre n'emporte aucune appréciation sur la commission des faits et ne prononce aucune peine. En cela, elle est entièrement différente de la rétention de sûreté à l'issue de la peine, qui accompagne une peine pénale prononcée par une Cour d'assises.

La décision de la Cour est d'autant moins surprenante que, dans une décision Claes c. Belgique du 10 janvier 2013, elle avait déjà affirmé, à propos du droit belge cette fois, que les internements des personnes atteintes de troubles mentaux après déclaration d'irresponsabilité pénale ne constituaient pas des détentions "après condamnation" au sens de l'article 5 § 1 de la Convention.

La Cour européenne parvient ainsi à opérer une sorte de classification entre les mesures de sûreté. Certaines ne sont, en quelque sorte, pas détachables de la peine pénale. D'autres au contraire doivent en être détachées. Elle montre ainsi qu'elle n'a pas d'hostilité de principe à l'internement "automatique" des personnes déclarées irresponsables pénalement. Encore faut-il qu'il soit décidé, et éventuellement prolongé, à partir d'une procédure respectueuse des droits de la défense et de rapports d'expertise particulièrement motivés. 

Sur la rétention de sûreté : chapitre IV, section 2, C, du manuel de Libertés publiques

2 commentaires:

  1. Merci pour cet article très interessant

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  2. Merci pour ces éclaircissements, et bonne continuation pour vos futurs articles.

    Brigitte Sillam

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