Dans une décision du 17 septembre 2015, le Conseil constitutionnel se prononce sur la conformité à la Constitution de la loi du 24 décembre 2012 suspendant la fabrication, la mise sur le marché, l'exportation et l'importation de tout plastique alimentaire contenant du bisphénol A. Il donne une satisfaction partielle à l'association requérante, Plastics Europe, qui regroupe un certain nombre de professionnels du secteur.
Celle-ci avait commencé par introduire devant le Conseil d'Etat un recours dirigé contre la note de la Direction générale de la concurrence organisant l'application de la loi de 2012. Une fois devant le Conseil d'Etat, elle pose une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) invoquant une atteinte excessive à la liberté d'entreprendre. Le 17 juin 2015, le Conseil a décidé de renvoyer la question au Conseil constitutionnel.
Sur le fond, ce dernier se livre à une distinction qui peut sembler quelque peu byzantine. Il estime en effet que la suspension de l'importation et de la mise sur le marché ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre. En revanche, la fabrication et l'exportation "apporte à la liberté d'entreprendre des restrictions qui ne sont pas en lien avec l'objectif poursuivi". Doit-on en déduire que le Conseil interdit aux industriels d'empoisonner les consommateurs français, mais les autorise à empoisonner les étrangers ? Pas tout-à-fait. Cette distinction subtile trouve en réalité son origine dans approche de la liberté d'entreprendre dans sa dimension en quelque sorte mondialisée.
Une liberté organisée par la loi
Depuis sa décision du 16 janvier 2001,
le Conseil constitutionnel affirme que la liberté d'entreprendre trouve
son fondement dans l'article 4 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789. Il affirme en même temps que le législateur peut lui apporter
des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées
par l'intérêt général. Par voie de conséquence, le
Conseil exerce un contrôle de proportionnalité, dans lequel il apprécie
la conciliation opérée par le législateur entre la liberté
d'entreprendre et les motifs d'intérêt général invoqués pour justifier
les limitations apportées à son exercice.
Blanche Neige et les sept nains. Walt Disney. 1937
Liberté d'entreprendre et santé publique
En l'espèce, les limitations apportées à la liberté d'entreprendre sont justifiées par des exigences constitutionnelles. Dans une jurisprudence constante, le Conseil qualifie en effet la protection de la santé publique d'"exigence constitutionnelle", fondée sur le Préambule de la Constitution de 1946 (al. 11).
D'une manière générale cependant, le Conseil n'exerce qu'un contrôle relativement modeste sur les restrictions à la liberté d'entreprendre destinées à protéger la santé publique. Dans sa décision QPC du 16 mai 2012 rendue à propos de la loi autorisant le prélèvement de cellules souches sur l'embryon, le Conseil affirme ainsi qu'il "ne dispose pas d'un pouvoir général (...) de remettre en cause, au regard de l'état des connaissances et des techniques, les dispositions prises par le législateur". Cette formule est ensuite reprise par la décision QPC du 20 mars 2015 pour justifier la vaccination obligatoire imposée par le législateur au nom des impératifs de santé publique. Elle figure également dans la présente décision, le Conseil refusant d'entrer dans le débat qui existe, notamment au plan européen, sur les dangers du bisphénol A.
L'exercice du contrôle de proportionnalité
Si le contrôle est modeste, il n'est pas pour autant inexistant. Il est vrai que, d'une manière générale, le Conseil constitutionnel a tendance a estimer qu'une restriction à la liberté d'entreprendre reposant sur un objectif de santé publique n'est "pas manifestement disproportionnée" au but poursuivi. Il en a décidé ainsi, par exemple, dans toutes ses décisions portant l'interdiction de la publicité ou le contrôle des prix du tabac. Il statue de la même manière à propos des interdictions de l'importation et de la mise sur le marché de produits contenant du bisphénol A, estimant donc que ces mesures ne portaient "pas une atteinte manifestement disproportionnée à l'objectif de protection de la santé". Il s'agit ainsi de mettre à l'abri les consommateurs.
Liberté d'entreprendre et distorsion de concurrence
En revanche, la suspension de la fabrication et de l'exportation de ces produits se heurte à un autre problème. Le Conseil fait observer qu'une telle mesure n'empêcherait pas leur vente dans les autres pays où le bisphénol A. demeure autorisé. Les entreprises locales, voire celle des Etats tiers, continueraient donc, en toute légalité, à mettre sur ces marchés des plastiques contenant du bisphénol A. Seuls les produits français se verraient ainsi interdire l'accès à ces marchés. Dans ces conditions, la disposition législative interdisant la fabrication et l'exportation de ces produits est manifestement disproportionnée par rapport à l'objectif constitutionnel de santé publique, tout simplement parce que cet objectif a disparu. Il est en effet impossible d'invoquer la santé des populations alors que les consommateurs locaux peuvent déjà acheter librement des produits contenant du bisphénol A.
Cette décision illustre parfaitement les difficultés liées à l'appréciation de la liberté d'entreprendre, qui comporte également la liberté d'activité professionnelle. En interdisant la fabrication et l'exportation de produits à base de bisphénol A, le législateur a, en réalité, provoqué une distorsion de concurrence, pénalisant les entreprises françaises du secteur. Sur ce plan, le Conseil constitutionnel semble donner de la liberté d'entreprendre une définition mondialisée, prenant acte du fait qu'elle ne saurait s'exercer sur le seul territoire.
Reste que cette jurisprudence risque de susciter de nouveaux recours. Nul n'ignore, par exemple, que le droit de certains Etats autorise parfaitement le versement aux décideurs de commissions destinées à favoriser la passation de tel ou tel contrat. Le fait que les industriels français ne puissent pas opérer de tels versements sans violer le droit interne ou des conventions OCDE que les grands Etats exportateurs n'ont pas ratifiées constitue-t-il une distorsion de concurrence susceptible de constituer une atteinte à la liberté d'entreprendre ? La question est théoriquement posée, en attendant qu'elle le soit pratiquement par des QPC.
excellent manuel.
RépondreSupprimerMerci pour ce post, Il est vraiment très intéressant. Je viens de trouver un post sur l' affiliation, commment gagner de l'argent avec le marketing d'affiliation, qu'en pensez vous ?
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