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mercredi 3 décembre 2025

Affaire Rouillan : Un dialogue des juges un peu vif


Le 2 décembre 2025, la Chambre criminelle de la Cour de cassation, a rejeté le pourvoi déposé par Jean-Marc Rouillan après sa condamnation à huit mois de prison ferme pour apologie publique d'acte de terrorisme, infraction prévue par l'article 421-2-5 du code pénal.

Rappelons que le requérant, Jean-Marc Rouillan, ancien membre d'Action Directe, a été condamné en 1989 à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une peine de sûreté de dix-huit ans pour avoir participé aux assassinats de l'Ingénieur général de l'armement René Audran et du PDG de Renault Georges Besse. Après avoir passé vingt-cinq ans en prison, il bénéficie d'une liberté conditionnelle en 2012. En février 2016, trois mois après les attentats terroristes de novembre 2015, il accorde une interview à un magazine, qualifiant de "courageux" les auteurs de ces attentats, ajoutant qu'"ils se sont battus courageusement" face à "deux ou trois mille flics autour d'eux".

L'arrêt du 2 décembre 2025 est la dernière étape d'une procédure de réexamen qui intervient après une décision de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) qui, le 23 juin 2022, avait sanctionné la France pour une première condamnation de Rouillan, y voyant une ingérence excessive dans sa liberté d'expression. Dans ce cas, le condamné peut saisir la Cour de révision et de réexamen (CRR) pour annuler sa condamnation, et renvoyer l'affaire devant une nouvelle juridiction pour qu'elle soit rejugée. 

En l'espèce; la cour d'appel de Toulouse a donc été chargée de ce réexamen et, le 19 décembre 2023, elle a persévéré dans la décision de condamner Jean-Marc Rouillan pour apologie publique d'acte de terrorisme. La Cour de cassation confirme donc aujourd'hui cette condamnation, écartant non seulement le pourvoi de l'intéressé mais aussi et surtout la jurisprudence de la Cour européenne.


La prison ferme


Au fil des décisions, la peine infligée à Rouillan a pu varier mais il n'en demeure pas moins qu'il a toujours été condamné à de la prison ferme. La CEDH, dans son arrêt de 2022, ne contestait pas la nécessité d'une sanction pénale dans le cas d'un discours qui ne pouvait être considéré comme la seule expression d'une opinion dérangeante ou même choquante. Dans le contexte des attentats de 2015,  il pouvait être interprété comme la défense publique d'actes terroristes.

D'abord condamné à huit mois fermes pour apologie en première instance, Rouillan va voir son acte déqualifié de complicité d'apologie en appel. Mais la peine est aggravée à dix-huit mois de prison dont dix avec sursis, ce qui revient à confirmer une peine de huit mois fermes. Après la procédure de réexamen, la cour de Toulouse prononce de nouveau la même peine, désormais confirmée par la cour de cassation.

Or la CEDH, précisément, avait estimé, dans sa décision Otegi Mondragon c. Espagne du 15 mai 2011, qu'une peine de prison infligée dans le cadre d'un débat politique ou d'intérêt général n'est compatible avec l'article 10 de la convention européenne que dans des circonstances exceptionnelles. En l'espèce, elle avait estimé la peine disproportionnée, précisément en raison de son caractère privatif de liberté. La Cour de cassation s'oppose ainsi au raisonnement de la CEDH.



Fructueux dialogue des juges

Asterix en Hispanie. René Goscinny et Albert Uderzo. 1969


Le dialogue des juges


La décision de la Cour de cassation est rédigée avec suffisamment d'habileté pour lisser les divergences, montrer un dialogue des juges aussi apaisé que possible. Elle explique donc que les circonstances exceptionnelles invoquées par la CEDH pour justifier une éventuelle peine privative de liberté dans ce domaine sont remplies. La gravité des faits, le lourd passé criminelle du requérant, le contexte des attentats de 2015, tous ces éléments sont invoqués pour justifier ces circonstances exceptionnelles. Certes, mais il n'en demeure pas que la CEDH, saisie exactement de la même affaire et  du même contexte en avait jugé autrement.

Derrière une rédaction sereine, la Cour de cassation assume donc pleinement le choix des juges français de prononcer des peines privatives de liberté, y compris pour des infractions liées à la liberté d'expression. Ce faisant, elle réaffirme clairement la compétence du droit interne pour sanctionner les discours jugés justificateurs du terrorisme. et celle des juges internes pour apprécier la proportionnalité de la peine. La condition essentielle imposée par le droit européen réside dans la nécessité de motiver suffisamment leur décision. C'est d'ailleurs ce qui a été fait, et la cour de cassation  mentionne que les juges du fond ont montré que la peine de prison ferme infligée à Rouillan était parfaitement proportionnée à la gravité des faits.

La décision du 2 décembre 2025 témoigne d'une fermeté affichée de la  cour de cassation qui considère que des propos publics peuvent conduire leur auteur en prison. Sur ce point, elle envoie un message de fermeté aux juges du fond. Mais, bien au-delà de cette question, elle affirme aussi une marge d'appréciation nationale face à la CEDH. Elle rappelle qu'il n'appartient pas aux juges européens de fixer le quantum des peines. La qualification des faits et la gravité du contexte donnent lieu notamment à une appréciation des juges internes, qui ne peut leur être retirée par la CEDH.

Il est clair que la cour de cassation s'engage ici dans une relation un peu compliquée avec la Cour de Strasbourg. Toute condamnation à de la prison ferme pour apologie du terrorisme donnera désormais lieu à un recours devant la CEDH. Mais il semble que la cour de cassation attendent ces recours de pied ferme.