Le texte est pourtant d'une remarquable brièveté. Il se compose d'un article unique qui modifie les article 222-22 et 222-23 du code pénal. Il s'agit désormais d'inscrire explicitement la notion de non-consentement de la victime pour qualifier le viol et les autres agressions sexuelles. A priori, l'absence de consentement dans la définition du viol ressemble étrangement à un pléonasme, mais c'est pourtant le choix fait par le législateur.
L'article 222-22 du code pénal s'ouvre ainsi sur ces mots : "Constitue une agression sexuelle tout acte à caractère sexuel commis sur une personne sans son consentement". L'article 222-23, quant à lui, définit le viol comme "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui sans son consentement". Il est en outre précisé que le consentement "ne peut être déduit ni du silence, ni de l’inertie, ni d’une relation antérieure, ni d’une situation d’autorité, de dépendance ou de vulnérabilité."
Le rapt de Proserpine. Le Bernin. 1621
La pression internationale
En adoptant ce texte, le législateur français se conforme à un mouvement international. L'article 36 de la convention d'Istanbul sur la lutte contre les violences à l'égard des femmes stipule que "le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes". Cette convention a été signée et ratifiée par la France.
La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) n'a pas considéré que le droit français, parce qu'il ne prévoyait pas explicitement le consentement, portait atteinte à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. L'examen de la jurisprudence témoigne toutefois de l'exigence de plus en plus ferme de ce consentement.
Dans un arrêt du 23 janvier 2025 H. W. c. France, la CEDH affirme que l'on ne peut déduire du mariage l'existence d'un quelconque "devoir conjugal". En d'autres termes, le consentement concerne tout acte sexuel, qu'il ait lieu dans le mariage ou hors mariage. Encore plus récemment, le 30 avril 2025, la CEDH a, dans une décision L. et a. c. France, la Cour a condamné la France pour les défaillances du système judiciaire dans le cas particulier de violences sexuelles infligées à des mineures. Certes, il s'agissait alors de sanctionner la victimisation causée par un ensemble de dysfonctionnements, mais la Cour notait que le discernement des jeunes victimes devait être évalué à l'aune de leur aptitude à consentir à l'acte sexuel. Enfin, le 4 septembre 2025, dans un arrêt E.A. et AVFT c. France, la Cour sanctionne plus directement les juges français qui avaient considéré qu'un soi-disant contrat extorqué à une femme victime de violences sado-masochistes témoignait de son consentement à de telles pratiques.
De toute évidence, une pression contentieuse de la CEDH s'exerçait sur les autorités françaises, exigeant de placer l'absence de consentement au coeur des enquêtes et des qualifications.
Les juges internes
On doit tout de même observer que le consentement n'était pas absent de la jurisprudence interne. Rappelons en effet que le code pénal, jusqu'à aujourd'hui, définissait les violences sexuelles, et plus particulièrement le viol, comme étant obtenues par la contrainte, y compris psychologique, la surprise ou la menace. L'absence de résistance physique de la victime n'était pas décisive, en tant que telle, dès lors qu'était caractérisée une situation d'emprise, de sidération, d'alcoolisation ou d'abus d'autorité. Si l'absence de consentement ne figurait pas expressément dans la loi, elle était déduite par les juges de ces éléments.
Ainsi, dans un arrêt du 9 août 2006, la chambre criminelle de la cour de cassation déduit l'absence de consentement d'une double contrainte physique et psychologique, avec notamment une soumission chimique obtenue par voie médicamenteuse. La surprise, quant à elle, implique l'absence de consentement lorsque, comme dans la décision du 26 février 2025, la victime était endormie au moment de l'agression. Enfin, un officier de policier judiciaire qui viole une femme dans des locaux de garde à vue ne saurait invoquer le consentement de cette dernière, dès lors qu'il a manifestement abusé de l'autorité qu'il exerçait sur elle pendant la garde à vue. Cette décision n'est pas liée à des évènements récents intervenus à Bobigny. La chambre criminelle se prononçait le 30 septembre 2009 dans une affaire de viol ayant eu lieu à l'Hotel de police de Marseille.
Ce qui était implicite est donc devenu explicite avec la nouvelle rédation des articles 222-22 et 222-23 du code pénal.
Le droit de la preuve
Les effets les plus sensibles de cette rédaction sont attendus dans le domaine de la preuve. Observons d'abord que cette exigence du consentement permet, en quelque sorte, de fragmenter les rapports sexuels, et définissant clairement à partir de quel moment, ou de quelle situation, la personne refuse de poursuivre. On peut ainsi consentir à certains préliminaires, accepter un rapport vaginal mais refuser une sodomie ou une fellation. L'acte sexuel est ainsi le résultat d'un accord entre deux volontés exprimé à chaque étape de la relation.
Concrètement, la nouvelle rédaction suppose une démarche nouvelle du ministère public. Au lieu de rechercher la contrainte, la menace ou la surprise, il doit désormais établir l'absence de consentement libre et éclairé au moment des faits. Pour cela, il peut tenir compte de l'ensemble des circonstances, différence d'âge, relation d'autorité, vulnérabilité particulière de la victime, intoxication, sidération etc... Il n'en demeure pas moins qu'il restera possible d'exclure le consentement en constatant la contrainte, la menace ou la surprise. La preuve semble donc plus simple à apporter, puiqu'elle part du défaut de consentement, et n'a pas à faire entrer les faits plus ou moins difficilement dans l'un des vecteurs traditionnels.
La charge de la preuve demeure à l'accusation, ce qui évidemment garantit la présomption d'innocence. Il est donc probable que l'enquête sera désormais presque entièrement centrée sur la capacité à consentir.
Il reste bien entendu à se demander si cette évolution aura pour conséquence de supprimer cette défense particulièrement insupportable du type "elle n'a pas dit non". Dans l'état actuel du droit, on sait que, en 2023, 42600 plaintes pour viol ou tentative de viol ont été déposées. 70 % ont été classées sans suite et 59 % pour "infraction insuffisamment caractérisée". On doit donc attendre que la nouvelle rédaction produise ses effets, pour savoir si ces statistiques inacceptables vont enfin baisser du fait d'une meilleure répression du viol.


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