Nul n'a oublié que, le 24 janvier 2024, le Conseil constitutionnel a annulé pas moins de 32 articles sur 86 du texte qui allait devenir la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration. A l'époque, le Conseil sanctionnait des cavaliers législatifs, c'est-à-dire des dispositions intégrées dans la loi, mais sans rapport avec son objet.
Aujourd'hui, dans une décision rendue sur question prioritaire de constitutionnalité (QPC) le 25 mai 2025, le Conseil déclare inconstitutionnelle une autre disposition de la même loi, qui ne lui avait pas été déférée en janvier 2024 et qui, elle, avait été ajoutée au Sénat par un amendement gouvernemental. Il s'agit de l’article L. 523-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (ceseda) qui autorisait la rétention administrative d'un demandeur d'asile, en dehors de toute procédure d'éloignement. Les associations de protection des étrangers, au premier rang desquelles figure le Gisti, ont vu dans ces dispositions une atteinte à l'article 66 de la Constitution, et le Conseil constitutionnel leur donne satisfaction.
Le principe de sûreté
La « lettre de cachet » pratiquée sous l’Ancien Régime permettait un internement d’une durée indéterminée, à la seule initiative du monarque et pour des motifs de son choix. Cet enfermement fut perçu comme le symbole même de l’arbitraire d’un pouvoir absolu. Aujourd’hui, l’article 66 de la Constitution énonce que « nul ne peut être arbitrairement détenu ». Est donc prohibé tout internement administratif qui ne s’accompagnerait d’aucune garantie juridictionnelle.
La privation de liberté sans intervention préalable d’un juge n’est cependant pas absolument interdite par le droit positif. Elle peut parfois être justifiée par une menace immédiate sur la sécurité des personnes et des biens ou pour des motifs d'ordre public.
Dans le cas des étrangers, la rétention administrative existe déjà dans trois hypothèses. La première est lorsque la personne fait l'objet d'une expulsion parce que sa présence sur le territoire porte atteinte à l'ordre public, par exemple en cas d'infractions graves ou de participation à des groupes terroristes. La seconde concerne les "dublinés", c'est-à-dire ceux qui se sont vu refuser l'asile dans un autre État de l'Union européenne et qui ne sont pas autorisés à déposer une nouvelle demande.
La troisième enfin vise les étrangers en situation irrégulière, lorsque les autorités craignent qu'ils ne se soustraient à une mesure d'éloignement. Lorsque ce risque n'est pas avéré, elles doivent toutefois décider d'une simple assignation à résidence, avec ou sans surveillance électronique. La « directive retour » du 16 décembre 2008 précise d’ailleurs que la rétention administrative est décidée « à moins que d’autres mesures suffisantes mais moins coercitives puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier » (art. 15 § 1). La loi du 10 septembre 2018 allonge considérablement la durée maximale de la rétention, qui est passée de 45 à 90 jours, voire 210 lorsque l’étranger s’est rendu coupable d’activités en lien avec le terrorisme.
Certes, mais précisément, cette rétention a lieu après la décision d'éloignement, et concerne les étrangers en situation irrégulière. La disposition abrogée par le Conseil le 25 mai 2025 concerne des demandeurs d'asile, étrangers qui ne sont pas en situation irrégulière et qui n'ont fait l'objet d'aucune décision d'éloignement. Ils attendent simplement la décision de l'Ofpra qui doit leur accorder ou leur refuser le droit d'asile. C'est seulement en cas de refus, à l'issue de la procédure, qu'ils deviendront des déboutés du droit d'asile, et donc des étrangers en situation irrégulière. Ils seront alors, en quelque sorte, rattrapés par le droit commun, et pourront faire l'objet d'une rétention.
Observons tout de même que le Conseil constitutionnel ne déclare pas inconstitutionnelle la disposition permettant d'assigner à résidence un demandeur d'asile pour les mêmes motifs. Sur ce point, la décision est parfaitement logique car l'assignation à résidence ne s'analyse pas comme un internement administratif portant atteinte à l'article 66 de la constitution.
Encadrer la notion d'ordre public
Le Conseil constitutionnel pose ainsi des limites à l'élargissement constant de la notion d'ordre public par le législateur, pour justifier des atteintes au principe de sûreté. En l'espèce, les dispositions contestées prévoyaient qu'il était possible de placer un demandeur d'asile en rétention dans deux hypothèses, soit lorsque son "comportement constitue une menace à l'ordre public", soit "lorsqu'il présente un risque de fuite".
Certes, mais, aux yeux du Conseil, les motifs de l'internement sont, en l'espèce, trop imprécis. Ainsi, le "risque de fuite" ne donne lieu à aucune précision. Lors des débats parlementaires, le gouvernement a invoqué l'hypothèse d'un étranger qui attend plus de 90 jours pour faire sa demande d'asile, ou qui affirme, lors d'une audition, qu'il désire rester en France. Le lien entre ces motifs et le risque de fuite ne semble donc pas clairement établi.
Quant à la notion d'ordre public, il ressort des débats parlementaires que le législateur a entendu éviter que des étrangers en situation irrégulière se prévalent du droit d’asile dans le seul but de faire obstacle à leur éloignement du territoire national. Il a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière, qui participe de cet objectif. Le Conseil l'avait déjà affirmé dans sa décision du 9 juin 2011 et dans une jurisprudence ultérieure constante.
Le Conseil observe toutefois qu'en l'espèce, il n'existe pas d'atteinte à l'ordre public mais seulement une menace d'atteinte à l'ordre public, purement hypothétique au moment du placement en rétention. Sur ce plan, la décision du Conseil se place résolument dans la tradition contentieuse française, qui veut qu'une mesure de police administrative restreignant une liberté ne peut être décidée pour une atteinte à l'ordre public qui ne s'est pas encore produite mais qui risque, peut-être, de se produire.
La décision du 25 mai 2025 n'est donc guère surprenante et on pourrait se borner à considérer qu'elle constitue le dernier épisode, ou plutôt le plus récent, de mise en cause d'une loi mal rédigée et débattue dans des conditions invraisemblables. A l'époque en effet, le gouvernement avait laissé filer le débat, accepté tous les amendements et ajouté des dispositions de nature à obtenir le vote du Rassemblement national. Il ne pouvait ignorer cependant que la plupart d'entre elles seraient censurées par le Conseil constitutionnel.
Sur le fond, les dispositions abrogées avaient aussi pour objet de contraindre l'Ofpra à rendre rapidement une décision concernant les demandeurs d'asile internés. Ces derniers avaient cinq jours pour déposer leur demande, et l'Ofpra devait se prononcer dans les 72 heures. Les autorités devraient sans doute essayer de raccourcir la procédure pour l'ensemble des demandeurs d'asile, tenir compte aussi de l'échec de la procédure mise en place au sein de l'Union européenne, à une époque où le nombre de demandeurs était sans rapport avec aujourd'hui. Considérées sous cet angle, les dispositions abrogées constituaient une mauvaise réponse à un vrai problème. L'ensemble de procédure s'effondre d'ailleurs, car le Conseil d'État, devant lequel la QPC a été posée, va bientôt déclarer illégal le décret d'application de ces dispositions.
Il reste aussi à s'interroger sur la tendance lourde qui consiste, pour les gouvernants, à mélanger sciemment l'immigration et l'asile. Les demandeurs d'asile sont présentés comme des migrants ordinaires, et il y en a certainement parmi eux. Mais cela ne retire rien au fait qu'il y aussi des personnes persécutées et que la demande doit être sérieusement examinée. Les procédures sont différentes, le droit d'asile étant garanti par la Constitution et par des conventions internationales. L'assimilation entre les deux régimes juridiques est donc vouée à l'échec.
La rétention des étrangers : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 4, section 2 § 2 A