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dimanche 27 septembre 2020

La mère est amère et le père perd ses re-pères : Filiation et changement de sexe


Dans un arrêt du 16 septembre 2020, la première chambre civile de la Cour de cassation confirme le rejet d'une demande de transcription de la reconnaissance de maternité d'une femme transgenre, Mme X. La décision semble étrange dans la mesure où ce lien biologique est bel et bien présent. Mais il s'agit, en l'espèce d'une filiation paternelle. 

Il convient d'expliquer un peu une situation tout-à-fait exceptionnelle. Mme Y et M. X. se sont mariés en août 1991 et ont eu deux enfants en 2000 et 2004. Par la suite, M. X. a pris conscience de son identité sexuelle féminine. Il a donc demandé un changement de sexe dans les actes de l'état civil, et il est devenu Mme X par un jugement de 2011. Le couple était toujours marié, union de deux femmes avant même l'intervention de la loi sur le mariage des couples de même sexe. Mais Mme X. n'a pas, à l'époque, achevé sa conversion sexuelle. En témoigne la naissance du troisième enfant du couple, en 2014. Mme X. entend donc avoir avec cet enfant un lien de filiation maternelle, conforme à son état civil, alors qu'il a été  conçu par la méthode artisanale, par ses gamètes masculins.

Le transsexualisme se définit comme un trouble de l'identité, le sentiment profond d'appartenir au sexe opposé, malgré un aspect physique en rapport avec le sexe chromosomique. La personne se sent victime d'une insupportable erreur de la nature, et ne peut vivre sans parvenir à une cohérence entre son psychisme et son physique. Elle doit donc changer de sexe et de prénom dans le registre d'état-civil. C'est exactement ce qu'a fait Mme X., et elle est ainsi la victime inattendue d'une jurisprudence libérale.

 

Victime d'une jurisprudence libérale

 

En effet, le changement de sexe est une opération de très longue durée. Pendant de nombreuses années, la jurisprudence, incarnée dans deux arrêts de la Cour de cassation intervenus le 13 février 2013. Dans les deux cas, la Cour refusait la modification de l'état-civil des requérants, au motif qu'ils ne produisaient pas "la preuve médico-chirurgicale" de leur changement de sexe. Autrement dit, le changement de sexe et de prénom ne pouvait être prononcé qu'à l'issue de longues années de traitement hormonal et de plusieurs interventions chirurgicales.

Mais tout a changé avec un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) du  6 avril 2017 A. P. Garçon et Nicot c. France. Pour la Cour, en subordonnant le changement d'état-civil à la preuve du "caractère irréversible du changement de l'apparence physique", le droit français portait une atteinte excessive à la vie privée des intéressés. Les juges ont alors abonné définitivement le critère de la stérilité, jusqu'alors largement utilisé pour démontrer l'effectivité de la conversion sexuelle. Cette jurisprudence libérale a été largement saluée, la personne n'étant plus contrainte durant de longues années de vivre dans un état civil ne correspondant pas à son identité profonde. La loi du 18 novembre 2017 de modernisation de la justice du XXIe siècle a finalement démédicalisé la procédure. Il est désormais possible de prouver le transsexualisme par tout autre moyen, comme le fait de se présenter publiquement comme appartenant au sexe revendiqué ou d'avoir déjà changé son prénom. Il n'est plus impossible de demeurer biologiquement un homme en se revendiquant psychologiquement comme une femme. 

Précisément, Mme X. est demeurée biologiquement un homme,  capable d'avoir un enfant. Et le problème est que la loi est parfaitement muette sur le cas des enfants nés pendant la période de conversion.

 

 

T'es plus dans l'coup, Papa. Ludivine Sagnier

 Huit Femmes. François Ozon. 2002

 

Les enfants nés pendant la période de conversion


La Cour d'appel de Montpellier, statuant sur cette même affaire le 14 novembre 2018, s'était trouvée face à une situation juridique inextricable. 

Il était impossible de répondre positivement à la demande de Mme X, qui désirait qu'un lien de maternité soit établi. La Cour d'appel constate que le droit positif ne reconnaît pas l'existence de deux liens de filiation de même sexe, dualité qui irait à l'encontre du principe "mater semper certa est". Seule subsiste alors l'adoption, mais Mme Y. déclare la refuser, ce qui est évidemment son droit le plus strict, la mère biologique pouvant toujours s'opposer à l'adoption de son enfant. Bien entendu, le couple écarte une solution par laquelle Mme X. se verrait contrainte d'adopter son enfant biologique.

Il n'était pas davantage possible d'imposer une filiation paternelle, même si celle-ci était conforme à la vérité biologique. Mme X. a désormais l'état civil d'une femme, et c'est au nom du respect de sa vie privée qu'elle a obtenu cet état civil. Lui imposer une identité sexuelle qui n'est plus la sienne reviendrait à porter atteinte à sa vie privée, alors même qu'elle continue les opérations de conversion sexuelle. 

 

Le refus du "parent biologique"

 

Devant cette situation inédite, la Cour d'appel de Montpellier avait fait oeuvre créatrice en décidant l'inscription de Mme X. sur l'acte de naissance de l'enfant comme "parent biologique", sans mention de sexe. Ce choix présentait l'avantage de faire en sorte que le troisième enfant d'une famille se trouve dans la même situation juridique que ses frères. Mais il ne satisfaisait pas la requérante qui voulait être reconnue comme mère de son enfant, conformément à sa nouvelle identité sexuelle.

La Cour de cassation, quant à elle, ne considère que le droit positif. Elle se borne à constater que la cour d'appel a créé une nouvelle catégorie juridique qui n'est pas prévue par la loi, le code civil ne connaissant que "le père" et "la mère". Quant à l'intérêt supérieur de l'enfant, il n'est pas si évident à établir. En effet, l'égalité au sein de la fratrie peut être invoquée par la Cour de cassation pour justifier le choix d'attribuer à celui né en 2014 une filiation identique à celle de ses frères nés avant 2011. Mais si l'intérêt de l'enfant exige qu'il ait une filiation établie à l'égard de ses parents, il n'est pas certain que son intérêt soit que cette filiation corresponde au sexe choisi par son parent transgenre. Pour la Cour, le choix d'une filiation paternelle correspond la réalité biologique et n'emporte pas de conséquences excessives sur la vie privée du parent transgenre qui n'est évidemment pas contraint de renoncer à sa nouvelle identité sexuelle.

Dans une telle affaire, il n'y avait sans doute pas de bonne solution. On peut toutefois regretter que la Cour de cassation n'ait pas cherché, elle aussi, à faire oeuvre constructive. Son avocat général l'y incitait pourtant, faisant observer que la loi bioéthique actuellement en cours de discussion, ouvrait l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes, imposerait bientôt une double filiation maternelle des enfants. Par ailleurs, il peut sembler étrange que la jurisprudence soit plus sévère à l'égard de Mme X., parent biologique de son enfant, qu'à légard de la mère d'intention d'un enfant né à l'étranger par gestation pour autrui. Dans un arrêt du 4 octobre 2019, la Cour de cassation a en effet accepté, après bien des réticences, la  transcription de la filiation maternelle des jumelles Mennesson, se pliant à l'avis de la CEDH qui affirmait, en avril 2019, que les parents sont ceux qui apportent aux enfants "l’environnement dans lequel ils vivent et se développent et (...) qui ont la responsabilité de satisfaire à leurs besoins et d’assurer leur bien-être". Mme X. n'a pas droit à un traitement identique, alors même que le couple n'a eu recours à aucune technique de gestation illicite en droit français.

Derrière cette rigueur se cache sans doute une volonté de susciter l'intervention du législateur, alors même que les débats sur les débats de la loi bioéthique ne sont pas clos. En renvoyant l'affaire à la cour d'appel de Toulouse, elle laisse le temps d'une évolution législative. Car le responsable de cette situation est le législateur qui ne s'est jamais réellement intéressé au statut des transgenres, laissant les juges élaborer un droit purement réactif, au fil des affaires qui se présentent à eux et des décisions de la CEDH.


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