Le 6 décembre 2019, le Conseil d'Etat a rendu treize décisions relatives aux modalités d'exercice du droit à l'oubli. Il figure dans l'article 17 du Règlement général de protection des données (RGPD) qui affirme que "la personne a le droit d'obtenir du responsable du traitement l'effacement, dans les meilleurs délais, de données à caractère personnel la concernant". En ce qui concerne les moteurs de recherches, ce droit à l'oubli prend la forme d'un déréférencement des données personnelles sur le domaine concerné (par exemple Google.fr) et d'une désindexation qui interdit au moteur de diffuser comme résultat d'une recherche un lien pointant vers les données personnelles qui sont l'objet du droit à l'oubli.
Ces treize décisions ont été rendues après l'arrêt du 24 septembre 2019 de la Cour de justice de l'Union européenne, réponse à une question préjudicielle précisément posée par le Conseil d'Etat. Cette décision impose le droit à l'oubli dans le cadre européen, en laissant toutefois aux autorités compétentes des Etats membres le soin d'en préciser les conditions de mise en oeuvre. De toute évidence, le Conseil d'Etat prend ce rôle au sérieux, et ces treize arrêts sont autant de directives données à la fois à la CNIL et aux juges du fond.
Le Conseil d'Etat rappelle que le déréférencement est un droit de la personne, "également dénommé droit à l'oubli". Comme tous les droits, il s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent, tant le RGPD que la loi du 6 janvier 1978, dans son actuelle rédaction. Si le droit à l'oubli protège les données personnelles, c'est-à-dire la vie privée de la personne, il doit se concilier avec le droit à l'information du public. Il appartient donc à la CNIL et au juge d'apprécier cet équilibre. Sur ce point, le Conseil d'Etat rejoint la Cour de cassation
qui, le 27 novembre 2019, a également confié aux juges du fond le soin de réaliser cet arbitrage.
Précisément, ces treize décisions définissent un critère d'appréciation, à partir du degré de sensibilité des données personnelles à l'origine de la demande de droit à l'oubli.
Les données sensibles, et les autres
Sont considérées comme particulièrement sensibles, depuis l'origine de la loi du 6 janvier 1978, les données qui touchent le plus à l'intimité de la vie privée, comme la santé, la vie intime, les convictions religieuses ou politiques etc. Dans l'affaire 409212, le requérant demande ainsi le déréférencement d'un compte-rendu littéraire faisant état de son homosexualité.
Dans la plupart des arrêts du 6 décembre 2019, les données personnelles dont le requérant à demandé l'effacement renvoient à une affaire pénale, soit qu'il ait été mis en examen (407776 - 397755- 399999 - 407776), soit qu'il ait été condamné pour attouchements sexuels sur mineurs (401258), pour apologie de crimes de guerre ou contre l'humanité (405464), voire pour violences conjugales (429154). Les données judiciaires sont donc des données sensibles, au sens du RGPD.
Reste qu'il existe des données personnelles qui ne sont pas spécialement sensibles. Celles-là peuvent certes faire l'objet d'une demande de droit à l'oubli, mais cette demande pourra être écartée si le droit à l'information du public peut être utilement invoqué. Dans l'affaire 403868, un médecin demandait ainsi l'effacement de données le concernant sur une page du site Yelp. Les commentaires des internautes sur sa pratique ayant été effacés, il ne reste donc que des données faisant état de son activité de généraliste et précisant l'adresse et le numéro de téléphone de son cabinet. Il s'agit certes de données personnelles, mais ce sont globalement celles qui figurent dans n'importe quel annuaire. Aux yeux du Conseil d'Etat, cette publication est donc justifiée par "l'intérêt prépondérant du public à avoir accès à ces informations" à partir d'une recherche sur le nom du requérant.
Le Conseil d'Etat indique trois critères susceptibles d'être utilisés, tant par la CNIL que par le juge, pour apprécier le bien fondé de la réponse positive ou négative de Google.
Le premier d'entre eux est lié aux données en cause. Il convient alors d'apprécier leur contenu, leur exactitude et leur ancienneté, ainsi, bien entendu, que les conséquences de leur accessibilité sur internet pour la personne concernée. Dans l'affaire 393769, Google avait ainsi refusé le déréférencement d'un article de presse de 2008, mentionnant, après le suicide d'un adepte, l'appartenance de l'intéressé à l'Eglise de Scientologie. Or les faits sont anciens et se traduits par un non-lieu. Quant à l'intéressé, il a quitté l'Eglise depuis plus de dix ans au moment de sa demande. Contrairement à Google, le juge estime donc qu'il n'existe plus "d'intérêt prépondérant" du public à connaître ces informations.
Le second critère se rapporte plus directement à la personne concernée, et plus précisément à sa notoriété. Il ne distingue guère de la jurisprudence traditionnelle qui protège avec davantage de rigueur la vie privée du simple quidam que celle de la célébrité habituée à vivre sous la pression de la presse. Dans l'affaire 409212, le Conseil d'Etat opère ainsi une distinction très claire. Il estime que la révélation de l'homosexualité d'un auteur justifie un déréférencement, dès lors que l'intéressé n'exerce plus aucune activité littéraire et que le roman autobiographique dont il est question n'est plus publié. Sur ce plan, l'intéressé est redevenu un simple quidam. En revanche, la recension de ce même roman sur un autre site, sans aucune mention personnelle sur son auteur, est justifiée par "l'intérêt prépondérant du public" qui a le droit d'être informé sur cet ouvrage. En écrivant un livre, il a, en quelque sorte, accepté que cet ouvrage soit livré au public.
Le troisième critère repose, quant à lui, sur l'analyse de l'offre d'information sur internet, sur la possibilité d'accéder aux mêmes données à partir d'une recherche ne mentionnant pas le nom de l'intéressé, et aussi sur le rôle de ce dernier. Dans l'affaire 395335, le Conseil d'Etat estime ainsi fondée la demande d'effacement de données relatives à la liaison entretenue par la requérante avec un Chef d'Etat étranger, alors même que celle-ci est bien connue dans ce pays. En effet, ce n'est pas elle qui a donné ces informations à un journal français, et elle peut donc légitimement invoquer le droit à l'oubli sur Google.fr.
Ces trois éléments seront certainement précisés au fil de la jurisprudence, mais ils s'analysent d'ores et déjà comme des armes redoutables dans le conflit qui oppose les autorités européennes et françaises à Google. Il n'a échappé à personne en effet que toutes les demandes de déréférencement étaient dirigées contre le moteur de recherches américain. Or celui-ci donne l'apparence de se conformer au droit à l'oubli en ouvrant aux internautes un formulaire permettant de matérialiser leur demande d'effacement. Mais les critères de la décision finalement prise par Google demeurent d'une remarquable opacité. En permettant à la CNIL et aux juges d'appliquer leurs propres critères, et de les utiliser pour sanctionner des pratiques opaques, le Conseil d'Etat empêche Google de créer son propre droit, opposable aux internautes sans qu'ils puissent réellement le connaître. Ces treize arrêts sont donc autant de pierres posées sur un chemin qui devrait permettra d'imposer aux GAFA le standard européen de protection des données.
Dans la plupart des arrêts du 6 décembre 2019, les données personnelles dont le requérant à demandé l'effacement renvoient à une affaire pénale, soit qu'il ait été mis en examen (407776 - 397755- 399999 - 407776), soit qu'il ait été condamné pour attouchements sexuels sur mineurs (401258), pour apologie de crimes de guerre ou contre l'humanité (405464), voire pour violences conjugales (429154). Les données judiciaires sont donc des données sensibles, au sens du RGPD.
Reste qu'il existe des données personnelles qui ne sont pas spécialement sensibles. Celles-là peuvent certes faire l'objet d'une demande de droit à l'oubli, mais cette demande pourra être écartée si le droit à l'information du public peut être utilement invoqué. Dans l'affaire 403868, un médecin demandait ainsi l'effacement de données le concernant sur une page du site Yelp. Les commentaires des internautes sur sa pratique ayant été effacés, il ne reste donc que des données faisant état de son activité de généraliste et précisant l'adresse et le numéro de téléphone de son cabinet. Il s'agit certes de données personnelles, mais ce sont globalement celles qui figurent dans n'importe quel annuaire. Aux yeux du Conseil d'Etat, cette publication est donc justifiée par "l'intérêt prépondérant du public à avoir accès à ces informations" à partir d'une recherche sur le nom du requérant.
La durée poignardée. René Magritte. 1938 |
Les critères utilisés
Le Conseil d'Etat indique trois critères susceptibles d'être utilisés, tant par la CNIL que par le juge, pour apprécier le bien fondé de la réponse positive ou négative de Google.
Le premier d'entre eux est lié aux données en cause. Il convient alors d'apprécier leur contenu, leur exactitude et leur ancienneté, ainsi, bien entendu, que les conséquences de leur accessibilité sur internet pour la personne concernée. Dans l'affaire 393769, Google avait ainsi refusé le déréférencement d'un article de presse de 2008, mentionnant, après le suicide d'un adepte, l'appartenance de l'intéressé à l'Eglise de Scientologie. Or les faits sont anciens et se traduits par un non-lieu. Quant à l'intéressé, il a quitté l'Eglise depuis plus de dix ans au moment de sa demande. Contrairement à Google, le juge estime donc qu'il n'existe plus "d'intérêt prépondérant" du public à connaître ces informations.
Le second critère se rapporte plus directement à la personne concernée, et plus précisément à sa notoriété. Il ne distingue guère de la jurisprudence traditionnelle qui protège avec davantage de rigueur la vie privée du simple quidam que celle de la célébrité habituée à vivre sous la pression de la presse. Dans l'affaire 409212, le Conseil d'Etat opère ainsi une distinction très claire. Il estime que la révélation de l'homosexualité d'un auteur justifie un déréférencement, dès lors que l'intéressé n'exerce plus aucune activité littéraire et que le roman autobiographique dont il est question n'est plus publié. Sur ce plan, l'intéressé est redevenu un simple quidam. En revanche, la recension de ce même roman sur un autre site, sans aucune mention personnelle sur son auteur, est justifiée par "l'intérêt prépondérant du public" qui a le droit d'être informé sur cet ouvrage. En écrivant un livre, il a, en quelque sorte, accepté que cet ouvrage soit livré au public.
Le troisième critère repose, quant à lui, sur l'analyse de l'offre d'information sur internet, sur la possibilité d'accéder aux mêmes données à partir d'une recherche ne mentionnant pas le nom de l'intéressé, et aussi sur le rôle de ce dernier. Dans l'affaire 395335, le Conseil d'Etat estime ainsi fondée la demande d'effacement de données relatives à la liaison entretenue par la requérante avec un Chef d'Etat étranger, alors même que celle-ci est bien connue dans ce pays. En effet, ce n'est pas elle qui a donné ces informations à un journal français, et elle peut donc légitimement invoquer le droit à l'oubli sur Google.fr.
Ces trois éléments seront certainement précisés au fil de la jurisprudence, mais ils s'analysent d'ores et déjà comme des armes redoutables dans le conflit qui oppose les autorités européennes et françaises à Google. Il n'a échappé à personne en effet que toutes les demandes de déréférencement étaient dirigées contre le moteur de recherches américain. Or celui-ci donne l'apparence de se conformer au droit à l'oubli en ouvrant aux internautes un formulaire permettant de matérialiser leur demande d'effacement. Mais les critères de la décision finalement prise par Google demeurent d'une remarquable opacité. En permettant à la CNIL et aux juges d'appliquer leurs propres critères, et de les utiliser pour sanctionner des pratiques opaques, le Conseil d'Etat empêche Google de créer son propre droit, opposable aux internautes sans qu'ils puissent réellement le connaître. Ces treize arrêts sont donc autant de pierres posées sur un chemin qui devrait permettra d'imposer aux GAFA le standard européen de protection des données.
Sur le droit à l'oubli : Chapitre 8 Section 5 § 1 B , 3, du manuel de Libertés publiques sur internet
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